Autoportrait

Thérèse se demande si l'offrande qu'elle fait d'elle-même à l'Amour de Jésus est légitime ou non...

« Je ne suis qu'une enfant, impuissante et faible, cependant c'est ma faiblesse même qui me donne l'audace de m'offrir en Victime à ton Amour, ô Jésus ! Autrefois les hosties pures et sans taches étaient seules agréées par le Dieu Fort et Puissant. Pour satisfaire la Justice Divine, il fallait des victimes parfaites, mais à la loi de crainte a succédé la loi d'Amour, et l'Amour m'a choisie pour holocauste, moi, faible et imparfaite créature... Ce choix n'est-il pas digne de l'Amour ?... Oui, pour que l'Amour soit pleinement satisfait, il faut qu'Il s'abaisse, qu'il s'abaisse jusqu'au néant et qu'il transforme en feu ce néant... »

Mais qu'est devenue la « jeune fille en fleurs » qui se livrait en 1895 dans son « Histoire printanière d'une petite fleur blanche » (Ms A 2 ) ? Aura-t-elle rejoint la ronde des « Filles du feu » lancée depuis 1842 par leur poète désespéré, Gérard de Nerval ? Ne se dit-elle pas "victime (...) choisie pour holocauste" (Ms B 3)? Sera-t-elle ainsi la proie d'une palingénèsequi la détacherait d'elle-même pour la rapatrier dans l'éternel retour purificateur d'une « Justice Divine » sans cesse plus avide de réparations successives et réparatrices ? Un peu moins d'elle-même ne contribuerait il pas à « satisfaire » l'implacable nécessité d'un Dieu plus juste que tendre ? D'autres moniales, avant elle, l'avaient précédé sur ce chemin spirituel proposée à tant de confidentes du Sauveur humilié par l'ingratitude des fils des Lumières et des enfants de la Révolution : sainte Marguerite-Marie Alacoque dans sa Visitation de Paray ou la servante de Dieu Marie de Saint-Pierre et de la Sainte-Famille dans son Carmel de Tours, par exemple.

Si ce n'est qu'« à la Loi de crainte a succédé la Loi d'Amour ». Amour prend donc sur lui de réduire la distance oublieuse de son don rédempteur. Sainte Thérèse, dans son carmel de Lisieux, comprend qu'« il faut qu'Il s'abaisse », ne serait-ce que par fidélité, à l'échelle de notre humanité dans laquelle il reste d'autant plus incarné qu'il l'a, par ailleurs, glorifiée. Ainsi, chacune et chacun d'entre nous ne peut que l'attendre pour l'atteindre et l'étreindre, au plus bas de soi-même : « Au fond de la mer, au fond du temps, au fond du plaisir. » (Françoise Sagan, Bonjour tristesse, p. 136). Nous voilà ainsi moins fils et filles du feu qu'enfants incendiés. Nos cendres précèdent la flamme quand nous reconnaissons le bois qui nous brûle.

Que répondrons nous au Christ qui nous demande : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » (Mc 10, 51)