
Première lecture
Le Seigneur est un juge qui se montre impartial envers les personnes. Il ne défavorise pas le pauvre, il écoute la prière de l’opprimé. Il ne méprise pas la supplication de l’orphelin, ni la plainte répétée de la veuve. Celui dont le service est agréable à Dieu sera bien accueilli, sa supplication parviendra jusqu’au ciel. La prière du pauvre traverse les nuées ; tant qu’elle n’a pas atteint son but, il demeure inconsolable. Il persévère tant que le Très-Haut n’a pas jeté les yeux sur lui, ni prononcé la sentence en faveur des justes et rendu justice.
Psaume
Un pauvre crie ; le Seigneur entend.
Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sans cesse à mes lèvres. Je me glorifierai dans le Seigneur : que les pauvres m’entendent et soient en fête !
Le Seigneur regarde les justes, il écoute, attentif à leurs cris. Le Seigneur entend ceux qui l’appellent : de toutes leurs angoisses, il les délivre.
Il est proche du cœur brisé, il sauve l’esprit abattu. Le Seigneur rachètera ses serviteurs : pas de châtiment pour qui trouve en lui son refuge.
Deuxième lecture
Bien-aimé, je suis déjà offert en sacrifice, le moment de mon départ est venu. J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Je n’ai plus qu’à recevoir la couronne de la justice : le Seigneur, le juste juge, me la remettra en ce jour-là, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront désiré avec amour sa Manifestation glorieuse. La première fois que j’ai présenté ma défense, personne ne m’a soutenu : tous m’ont abandonné. Que cela ne soit pas retenu contre eux. Le Seigneur, lui, m’a assisté. Il m’a rempli de force pour que, par moi, la proclamation de l’Évangile s’accomplisse jusqu’au bout et que toutes les nations l’entendent. J’ai été arraché à la gueule du lion ; le Seigneur m’arrachera encore à tout ce qu’on fait pour me nuire. Il me sauvera et me fera entrer dans son Royaume céleste. À lui la gloire pour les siècles des siècles. Amen.
Évangile
Alléluia. Alléluia. Dans le Christ, Dieu réconciliait le monde avec lui : il a mis dans notre bouche la parole de la réconciliation
.Alléluia.
En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici : « Deux hommes montèrent au Temple pour prier. L’un était pharisien, et l’autre, publicain (c’est-à-dire un collecteur d’impôts). Le pharisien se tenait debout et priait en lui-même : "Mon Dieu, je te rends grâce parce que je ne suis pas comme les autres hommes – ils sont voleurs, injustes, adultères –, ou encore comme ce publicain. Je jeûne deux fois par semaine et je verse le dixième de tout ce que je gagne." Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : "Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !" Je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste, plutôt que l’autre. Qui s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
Méditer avec les carmes
Deux hommes prient le même Seigneur, dans le même temple. Et pourtant quelle différence dans la connaissance du vrai Dieu, quelle différence d’authenticité dans la prière !
Pour le pharisien, la prière n’a qu’un pôle : le moi satisfait et sécurisé. Cet homme est, à ses yeux, le seul intact, le seul digne, l’artisan de sa propre perfection.
« Les autres » se laissent compromettre avec l’argent ; « les autres » connaissent des aventures avec la femme d’autrui ; « les autres » trempent dans des affaires injustes. D’autres encore, comme ce publicain, sont entrés dans le système fiscal de l’occupant, et leur métier leur salit les mains. Tandis que lui, le « séparé », l’homme à part, est demeuré inentamé, inattaquable.
Mais il confond la paix du cœur et l’autojustification. Pour lui la sainteté consiste à coïncider avec une image gratifiante de lui-même, à remplir les cases qu’il a lui-même tracées.
Il est le seul digne de l’amour de Dieu, ou du moins il a besoin d’être le seul à capter son estime. Il lui faut éliminer les autres pour se sentir aimé du Seigneur ; et dès lors l’autre n’est plus le frère, mais le coupable. Il n’a jamais su « être avec » les autres devant Dieu, et pour se sentir vivre, il lui faut se percevoir comme en dehors de la destinée commune. L’insécurité n’a plus de sens pour lui : il a mis Dieu à son service, il l’a satellisé, à portée de son orgueil.
Désormais toute son assurance repose sur ses œuvres : ses comptes pour le Temple sont en règle, et, une fois la dîme versée, il se sent tranquille pour user de tout le reste comme bon lui semble. Par ailleurs ses jeûnes réguliers le rassurent sur la possession qu’il a de lui-même et le confirment dans son impression d’équilibre et de réussite.
Le plus étrange est que de tout cela il parvienne à faire une prière :
« Je te rends grâces, Seigneur, d’être l’unique à tes yeux ; je te rends grâces de m’avoir élu pour être à part ; je te rends grâces de n’être pas comme le reste des hommes ; je te rends grâces de la lumière que tu me donnes sur moi-même et sur les autres. »
Non content d’introduire dans sa prière tous ses mépris, toutes ses agressivités, non content d’écraser les autres pour se pousser devant Dieu au premier rang, il va s’imaginer que Dieu l’aurait choisi en excluant les autres, comme si le cœur de Dieu était trop petit pour aimer aux dimensions du monde.
Le publicain, lui, ne vient pas au Temple pour trouver en Dieu un témoin de sa réussite, mais un confident de sa misère. Il se tient à distance, comme un homme qui n’aurait pas droit à l’amour de Dieu ; et pourtant il est venu car il sait que l’amour n’est pas une question de droit.
Il n’ose pas lever les yeux, de peur de rencontrer un regard qu’il ne saurait supporter, le regard de Dieu, chargé d’amour, mais d’un amour tellement immérité ! Il ne songe même pas à se comparer aux autres, car une première comparaison déjà l’a rendu humble, celle de sa vie lourde et lâche, fausse et mesquine, avec ce qu’il pressent de la bonté de Dieu.
Il a rejoint le sens du péché, qui ne consiste pas à nous imaginer criminel ni à nous charger de misères plus ou moins artificielles, mais à reconnaître humblement, avec une sorte d’évidence, combien le mensonge s’est installé dans nos vies, combien nous avons perdu la hâte du Royaume et combien peu nous savons aimer.
C’est alors que peut monter la vraie prière, celle qui traverse le dépit orgueilleux et exprime la vraie conversion, l’authentique retournement vers Dieu : « Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis ! »
Les années passent, les illusions tombent, le temps se fait court : seule cette prière de pauvre peut nous ouvrir le chemin de la paix, parce qu’elle nous resitue devant Dieu dans notre vérité de créature, dans notre responsabilité de pécheurs, mais aussi dans la certitude de la victoire du Christ et dans l’espérance de ce qu’il nous prépare.
« Qui s’abaisse sera élevé » : c’est le Seigneur qui l’a promis, et c’est lui qui le fera. Il saura restaurer dans son amour et élever tout près de lui, sur la même croix et dans la même gloire, ceux qui pour lui se seront abaissés dans l’humilité, la douceur et le service.
C’est notre espérance, et ce sera son œuvre :
« Qui se libérera de ses basses manières si Toi-même ne viens l’élever jusqu’à Toi en pureté d’amour ? Comment s’élèvera jusqu’à Toi, notre Père, l’homme venu d’en bas, si tu ne le secours de Ta main qui l’a fait ? »