
Première lecture
Frères, je vous rappelle la Bonne Nouvelle que je vous ai annoncée ; cet Évangile, vous l’avez reçu ; c’est en lui que vous tenez bon, c’est par lui que vous serez sauvés si vous le gardez tel que je vous l’ai annoncé ; autrement, c’est pour rien que vous êtes devenus croyants.
Avant tout, je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis.
Car moi, je suis le plus petit des Apôtres, je ne suis pas digne d’être appelé Apôtre, puisque j’ai persécuté l’Église de Dieu. Mais ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu, et sa grâce, venant en moi, n’a pas été stérile. Je me suis donné de la peine plus que tous les autres ; à vrai dire, ce n’est pas moi, c’est la grâce de Dieu avec moi.
Bref, qu’il s’agisse de moi ou des autres, voilà ce que nous proclamons, voilà ce que vous croyez.
Psaume
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon !
Rendez grâce au Seigneur : Il est bon ! Éternel est son amour ! Oui, que le dise Israël : Éternel est son amour !
Le bras du Seigneur se lève, le bras du Seigneur est fort ! Non, je ne mourrai pas, je vivrai pour annoncer les actions du Seigneur.
Tu es mon Dieu, je te rends grâce, mon Dieu, je t’exalte ! Je te rends grâce car tu m’as exaucé : tu es pour moi le salut.
Évangile
Alléluia. Alléluia. Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, dit le Seigneur, et moi, je vous procurerai le repos. Alléluia.
En ce temps-là, un pharisien avait invité Jésus à manger avec lui. Jésus entra chez lui et prit place à table. Survint une femme de la ville, une pécheresse. Ayant appris que Jésus était attablé dans la maison du pharisien, elle avait apporté un flacon d’albâtre contenant un parfum. Tout en pleurs, elle se tenait derrière lui, près de ses pieds, et elle se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus. Elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux le parfum.
En voyant cela, le pharisien qui avait invité Jésus se dit en lui-même : « Si cet homme était prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, et ce qu’elle est : une pécheresse. » Jésus, prenant la parole, lui dit : « Simon, j’ai quelque chose à te dire. – Parle, Maître. » Jésus reprit : « Un créancier avait deux débiteurs ; le premier lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante. Comme ni l’un ni l’autre ne pouvait les lui rembourser, il en fit grâce à tous deux. Lequel des deux l’aimera davantage ? » Simon répondit : « Je suppose que c’est celui à qui on a fait grâce de la plus grande dette. – Tu as raison », lui dit Jésus. Il se tourna vers la femme et dit à Simon : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu ne m’as pas versé de l’eau sur les pieds ; elle, elle les a mouillés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas embrassé ; elle, depuis qu’elle est entrée, n’a pas cessé d’embrasser mes pieds. Tu n’as pas fait d’onction sur ma tête ; elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds. Voilà pourquoi je te le dis : ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, puisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour. » Il dit alors à la femme : « Tes péchés sont pardonnés. » Les convives se mirent à dire en eux-mêmes : « Qui est cet homme, qui va jusqu’à pardonner les péchés ? » Jésus dit alors à la femme : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! »
Méditer avec les carmes
Curieuse invitation que celle du Pharisien : il a convié Jésus à son repas, mais il a évité soigneusement de trop se compromettre ; et Jésus a bien senti la nuance : pas d’eau sur les pieds, pas de parfum de joyeux avènement ; l’accueil est correct, sans plus.
La femme, elle, va se montrer incorrecte, surtout si l’on se réfère aux usages du temps. Or Jésus va louer son audace. Il en fallait beaucoup pour braver le mépris du Pharisien, mais ce jour-là la Galiléenne était prête à tous les risques.
En entrant, elle ne voit plus que Jésus, celui qui guérit, celui qui pardonne ; elle va droit à lui, et son amour de convertie lui donne la force d’agir comme si elle était seule et de livrer au Christ, en une seule fois, non seulement ses cheveux et son parfum, c’est-à-dire tout ce qu’elle avait pour se faire belle et plaire au monde, mais ses larmes, c’est-à-dire sa détresse, sa lassitude de l’esclavage, son immense solitude dans le plaisir, son espérance d’être enfin comprise et accueillie pour le meilleur d’elle-même.
Elle qui a perdu l’honneur selon le monde et qui n’existe plus pour personne comme une personne, a pressenti qu’elle pouvait encore donner quelque chose à Jésus. Elle le donne maladroitement, avec fougue et réserve à la fois ; mais elle n’a que faire des nuances, qu’elle a désapprises depuis longtemps.
Venir pleurer sur les pieds de Jésus, les couvrir de parfum et de baisers, personne n’en aurait l’idée ; mais elle, la pécheresse, l’ancienne pécheresse, par ce langage du corps, va réussir à dire au Christ en même temps son amour et son respect.
La réponse de Jésus à Simon apparemment est limpide : « Ses péchés, ses nombreux péchés, ont été pardonnés parce qu’elle a montré beaucoup d’amour ». Mais qu’est-ce qui est le premier dans le temps : le pardon, ou l’amour ? le pardon de Jésus ou l’amour de cette femme ?
Ici on pourrait comprendre de deux manières la pensée de Jésus.
Ou bien Jésus veut dire : « Puisqu’elle a montré tant d’amour, je lui pardonne ses péchés » ; et dans ce cas le pardon vient après, pour sceller la rencontre.
Ou bien Jésus renverse la perspective : « Si elle parvient à montrer tant d’amour, c’est qu’elle a fait d’abord l’expérience de mon pardon » ; et dans ce cas le pardon est au point de départ d’une nouvelle qualité de l’amour.
C’est dans ce dernier sens que va la petite parabole proposée par Jésus à Simon : une plus grande dette a été remise ; un plus grand amour est né. Dans le même sens aussi l’autre parole de Jésus : « Celui à qui on pardonne peu, montre peu d’amour ».
En réalité les deux approches coexistent dans cette page d’évangile ; et ce qui ressort avec certitude, c’est le lien direct entre l’amour et le pardon.
Toute démarche d’amour pauvre et humble de notre part appelle une parole libératrice de Jésus : « Tes péchés te sont remis ! » ; et toute expérience du pardon de Jésus rend notre amour pour lui plus intense, plus direct et plus audacieux : « confiant jusqu’à l’audace » (Thérèse de l’Enfant Jésus).
Et c’est bien ce que nous expérimentons dans toutes nos démarches de conversion, et spécialement dans le sacrement où nous fêtons le pardon du Christ : jamais nous ne sommes plus vrais dans notre amour que lorsque nous nous approchons du Seigneur en lui disant, à vingt-cinq ans, à cinquante ou à soixante-dix : « Jésus, j’ai besoin d’être sauvé ! »