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© Shutterstock/Anton Watman
Les mystiques
Savogna di Cividale (Frioul, Italie)
Nº 783
1255 – 1292

Bienvenue Bojani, la mystique discrète du Frioul

Membre d’un tiers ordre dominicain, Bienvenue Bojani est une mystique importante du XIIIe siècle et une figure extraordinaire de la sainteté féminine. Venue au monde en 1255 dans la région du Frioul, en Italie, elle mène une vie ascétique ponctuée d’expériences d’union à Dieu : visions, extases, locutions intérieures se succèdent à un rythme impressionnant. Accompagnée par des confesseurs estimés, Bienvenue est connue dès son vivant pour sa proximité avec Jésus. Elle a été proclamée bienheureuse par le pape Clément XII en 1763.


Les raisons d'y croire

  • Bienvenue Bojani naît dans une famille aisée, catholique de tradition mais sans ferveur particulière. Ses parents veulent un mariage avantageux pour leurs filles, veillant au maintiende leur position sociale. Rien, dans son milieu, n’explique la ferveur exceptionnelle de sa foi,dès l’enfance, ni son désir radical de pauvreté. Étrangère aux attentes sociales de son rang, elle fait un vœu de virginité avant ses quinze ans. Une telle vocation, surgissant sans modèle ni avantage humain, porte la marque d’un appel intérieur qui ne s’explique pas par des causes naturelles. Dans la vocation très précoce de Bienvenue, on ne voit pas une influence sociale, mais la trace d’une Présence vivante : celle du Christ-Jésus qui appelle, inspire et agit dans les âmes.

  • Plusieurs miracles sont attribués à bienheureuse Bienvenue Bojani, tant de son vivant qu’après sa mort. Ces récits proviennent notamment de la Legenda de Vita Beatae Benvenutae Bojani, rédigée peu après sa mort, à la fin du XIIIe siècle, et ont été repris dans les actes dominicainsdu XVe siècle. La Vita fut rédigée à partir de témoignages recueillis par les frères dominicains de sa ville natale, Cividale del Friuli ; plusieurs l’avaient connu personnellement.

  • Les messages et les visions qu’elle reçoit de Jésus et de la Vierge Marie sont parfaitement orthodoxes sur le plan doctrinal. Ils conduisent à aimer le Christ, à vivre l’Évangile, à grandir dans la charité et la pauvreté évangélique.

  • Pendant plusieurs années, elle entend régulièrement des anges déchus crier des blasphèmes près d’elle ou chanter des chansons obscènes. Parfois, ils la frappent physiquement. Les coups et blessures reçus ont été parfaitement identifiés sur le corps de la sainte par son confesseur, par son entourage, par des médecins et par maintes religieuses. Les différentes expériences mystiques vécues par Bienvenue rendent sensibles les différentes réalités spirituelles dont parle le christianisme.

  • Les charismes mystiques de Bienvenue sont réputés véritables car ils suscitent chez elle unmode de vie édifiant. On note une intensification de la prière et du détachement du monde, une charité active envers les autres, et une paix intérieure, même dans la souffrance. Ces fruits sont ceux de la présence de l’Esprit Saint : « Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix, patience, bonté… » ( Ga 5,22 ).

  • Les sources insistent sur la simplicité et l’humilité de Bienvenue. Elle n’est pas intéressée par les honneurs ni par la notoriété : son expérience mystique se vit dans le silence, la prière et le service. Cette absence de vanité et de recherche de prestige est un signe fort d’authenticité.

  • Au XIIIe siècle, l’Église regarde les révélations privées féminines avec une certaine méfiance, surtout quand ces femmes sont des laïques comme Bienvenue. Pourtant, ses contemporains, y compris le clergé, ne la considèrent ni comme une suspecte ni comme une marginale, mais reconnaissent au contraire la piété et la respectabilité de cette femme, qui a donné sa vie pour servir Dieu.

  • Après sa mort, fin octobre 1292, son corps est porté à l’église Santa Maria della Valle, à Cividale. Plusieurs jours durant, « une lumière d’origine céleste illumina l’église où reposait son corps ; parfois elle ne brillait que sur sa tombe, parfois elle emplissait tout l’édifice ». Parmi les personnes qui ont témoigné de ce phénomène sous serment figurent des responsables municipaux, des prêtres, des soldats, des religieuses et religieux...

  • De nombreux pèlerins vinrent prier sur sa tombe, où se produisirent plusieurs guérisons inexplicables. En effet, peu de temps après la mort de Bienvenue, une jeune fille de la ville, aveugle de naissance, fut conduite par sa mère au tombeau de la bienheureuse. Elle recouvra la vue instantanément en touchant la pierre du tombeau. L’événement fut considéré commeun signe manifeste de la sainteté de Bienvenue, et contribua à expliquer l’affluence de pèlerins à Cividale. Ce miracle est mentionné dans plusieurs chroniques dominicaines frioulanes du XIVe siècle, où il est cité comme le premier miracle posthume officiellement reconnu par la communauté locale.

  • Les habitants de Cividale attribuèrent aussi à son intercession la protection miraculeuse de la cité lors d’épidémies et d’invasions.


En savoir plus

Dernière des sept enfants d’une famille noble, Bienvenue naît en 1255 dans la région du Frioul, dans la commune de Savogna di Cividale. Ses parents, gens aisés, pieux catholiques, mènent un train de vie confortable et entendent que leurs enfants occupent un rang honorable dans la société de l’époque. Alors qu’elle n’est encore qu’une enfant, on essaye déjà de lui apprendre les codes vestimentaires et sociaux de l’aristocratie d’alors. En vain… La fillette ne songe déjà qu’à servir Dieu coûte que coûte – à contre-courant des autres enfants de la fratrie. Les belles parures et les formules de politesse mondaines ne l’intéressent nullement.

Dès l’âge de dix ans, elle consacre chaque jour de longues minutes à la prière, dans sa chambre ou à l’église de son village. Elle se dit que marcher à la suite de Jésus sera sans doute pour elle chose difficile, tant son entourage partage des valeurs et des idéaux très éloignés des siens, comme l’esprit de pauvreté, la charité envers tous, la Parole de Dieu comme seule nourriture consistante… Elle-même est parfois tentée d’abandonner Jésus, de rentrer dans le rang, de faire plaisir à ses parents… Prise de doutes affreux, elle se réfugie alors dans l’église du village, où elle prie de longs moments. Sa confiance dans la Vierge Marie grandit au fil des mois. En son honneur, elle prononce bientôt un vœu de chasteté. Elle n’a pas quinze ans.

Vers 1280, après avoir prié longuement et fait un vœu à saint Dominique de Guzman, Bienvenue guérit miraculeusement d’une longue maladie qui, pendant cinq longues années, l’avait empêché de se nourrir et de se déplacer normalement. À cette occasion, elle fait un pèlerinage à Bologne (Italie), au tombeau du saint, sans aucune difficulté.

Quitter le monde pour vivre dans un couvent eût été chose facile pour elle : nombre de religieuses de son temps étaient issues de familles aisées. Mais elle sent que Dieu l’appelle à témoigner dans le monde, dans son milieu social. Elle devient ainsi tertiaire dominicaine : tout en continuant à vivre dans la maison familiale – mais en séjournant certaines années de longs moments dans divers monastères italiens –, elle s’engage à suivre les offices liturgiques (avec quelques ajustements) propres aux dominicaines cloîtrées.

C’est pour elle le début d’une vie spirituelle intense, jalonnée de phénomènes mystiques rares. Bienvenue a des visions de Jésus, de Marie, de saint Dominique et d’anges. Elle reçoit des messages célestes exempts de la moindre erreur doctrinale, ainsi que le don de prophétie, ce qui impressionne beaucoup ses contemporains.

Dieu lui donne aussi le charisme de guérison. Les gens sont frappés par la fulgurance avec laquelle les guérisons surviennent auprès d’elle. Clergé et fidèles viennent lui demander prières et conseils. Humble, elle mesure sa petitesse en Dieu. Elle déclare souvent qu’elle n’est qu’un instrument fragile entre les mains du Créateur et explique sans cesse qu’elle est un modeste canal où passe l’Esprit Saint.

Ses contemporains savent la sévérité de sa pénitence. Son alimentation est des plus frugales et elle dort peu. Pourtant, jamais personne ne l’a vue accablée, triste ou découragée. Au contraire, Bienvenue manifeste à tout moment une joie communicative, y compris lorsqu’elle est gravement malade. Sa santé se dégrade progressivement sans qu’elle perde son sourire et son sens de l’humour. Elle reste alitée pendant les cinq dernières années de son existence. Trop faible pour marcher, un de ses frères l’emmène à l’église plusieurs fois par semaine. Selon son entourage, la bienheureuse était la « plus douce et la plus spirituelle des contemplatives, si aimable dans sa sainteté que son toucher et sa présence inspiraient l’allégresse et chassaient les tentations ».

Un soir, la veille de la Saint-Dominique, tandis qu’elle assiste à l’office des complies dans un couvent dominicain, non loin de Savogna di Cividale, elle a une vision de la Vierge Marie, de saint Pierre et de saint Dominique. Elle voit ce dernier passer de frère en frère en donnant à chacun le baiser de paix. Puis, lors de la procession du Salve, la Mère de Dieu, tenant l’Enfant-Jésus dans ses bras, salue chaque religieux.

À intervalles réguliers, elle est victime d’actions diaboliques effroyables et caractérisées. Tentations, vexations et oppressions de toutes sortes la laissent dans un grand état de fatigue. Le démon l’oppresse pendant des années, sous différentes formes. Parfois, le prince de ce monde lui apparaît sous forme de bêtes horribles qui la terrifient. Un jour, il se glisse contre elle sous la forme d’un serpent, animal dont elle a une grande peur. D’abord tétanisée, la sainte articule une prière à la Mère de Dieu. L’instant d’après, sans réfléchir à son geste, elle le prend à pleine main et le projette contre un mur. Celui-ci disparaît inexplicablement. Elle en est complètement bouleversée, mais elle se jette alors au pied de son crucifix et retrouve ses esprits dans la prière.

Quelques instants avant sa mort, à la fin d’octobre 1292, Satan cherche à la persuader que ses pénitences lui seront inutiles, que Dieu l’a abandonnée et qu’elle sera damnée. Il lui apparaît, horrible et menaçant, sous une forme corporelle. Les personnes à son chevet la voient fixer un point précis dans la pièce en hurlant de frayeur. Puis elle supplie : « Marie, Marie ! » Soudain, c’est une véritable métamorphose : les traits de son visage expriment dorénavant une joie ineffable. Marie a chassé le diable. Bienvenue tourne son regard vers ceux qui l’entourent, dit une dernière prière, et quitte ce monde dans la paix du Seigneur.

Le culte de Bienvenue a été confirmé le 6 février 1763 par le pape Clément XII, reconnaissant ainsi la constance de sa vénération et la réputation durable de ses miracles. Sa fête est célébrée le 30 octobre.

Patrick Sbalchiero, membre de l’Observatoire international des apparitions et des phénomènes mystiques.


Aller plus loin

Michela Catto, « Benvenuta Boiani », dans Les Femmes mystiques. Histoire et dictionnaire, sous la direction d’Audrey Fella, Paris, Robert Laffont, collection « Bouquins », 2013, p. 159-161.


En complément

  • Tilatti, Benvenuta Boiani. Teoria e storia della vita religiosa femminile nella Cividale del secondo Duecento, Trieste, Lint, 1994.

  • André Vauchez, La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge. D’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, École Française de Rome, 1981.

  • F. Santi, « Benvenuta Bojani », dans G. Pozzi et C. Leonardi, Scrittrici mistiche italiane, Gênes, Marietti, 1988, p. 183-192.

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