
Victoire Rasoamanarivo garde l’Église malgache
En 1886, quand les missionnaires français peuvent revenir à Madagascar, d’où ils avaient été expulsés, ils découvrent que la survie de la catholicité insulaire est due au courage et à la foi d’une jeune femme apparentée à la famille royale, Victoire Rasoamanarivo, véritablement devenue le chef d’une Église persécutée. En quittant l’île, le curé de sa paroisse lui avait demandé d’en « être l’ange gardien ». « Je ferai ce que je pourrai », avait-elle répondu. Elle a tenu parole contre vents et marées jusqu’à sa mort, le 18 août 1894.
Les raisons d'y croire
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Elle épouse en 1864 l’un de ses cousins, fils du Premier ministre, qui l’humiliera et la rendra très malheureuse. Homme violent, alcoolique et opposé à sa foi, son mari lui fait une vie infernale. Lorsqu’on lui conseille de demander le divorce, elle s’y refuse toujours, au nom de la sainteté du mariage chrétien, et demeure fidèle à son engagement matrimonial.
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Sa belle-famille se convertit au protestantisme et prétend l’obliger à abjurer la foi catholique. Comme elle s’y refuse absolument, elle est bannie de la table familiale, où elle n’a plus le droit de s’asseoir avec les autres : elle doit manger par terre en compagnie des esclaves. Cette humiliation, qui dure longtemps, n’entame pas la détermination de cette jeune femme de seize ans.
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Victoire, citant les Actes des Apôtres, dit, à l’exemple de Pierre et Jean, « être heureuse d’avoir été jugée digne de souffrir pour le nom de Jésus ». Elle n’ignore pourtant pas ce que cela peut lui coûter, car elle doit se souvenir des catholiques martyrisés quand elle était enfant. Il y a donc chez elle un véritable héroïsme chrétien qui est le fruit de la grâce.
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Victoire, au lieu de profiter des avantages de sa condition – elle est dame d’honneur de la souveraine – se voue aux bonnes œuvres, s’occupe de fonder des écoles et des dispensaires, nourrissant les pauvres, soignant les malades et spécialement les lépreux, dont les autres se détournent avec horreur. Elle pratique héroïquement les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles, comme le demande l’Église. Sa vie illustre admirablement le commandement d’amour de Jésus.
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Lorsque les missionnaires français sont expulsés, profitant d’une faille dans la législation, elle a l’audace d’affirmer que la fermeture des églises n’est pas prévue par la loi, et, usant de sa position à la Cour, obtient le maintien de ce qu’elle appelle la liberté de prière. Elle peut ainsi maintenir tout ce qu’il est possible de maintenir. On ne peut qu’admirer l’énergie de cette femme, qui va porter la survie du catholicisme malgache jusqu’au retour des missionnaires, après la conquête de l’île par les Français en 1895. Son courage, sa foi et son influence ont été les instruments de Dieu pour préserver l’Église à Madagascar.
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Apparentée à la famille royale, elle est princesse. Le fait est qu’elle va s’inscrire dans la lignée de ces jeunes femmes de sang royal qui, depuis les origines du christianisme, ont joué un rôle prépondérant dans la conversion de leur peuple, comme Clotilde, Berthe, Théodelinde, Olga, Hedwige…
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C’est à juste titre qu’on la présentera au nouvel évêque comme « le chef de l’Église », un titre que personne ne lui contestera. Mais avec une humilité et une simplicité admirables, Victoire ne va pourtant rien revendiquer et abandonnera sans se plaindre son œuvre entre les mains de la hiérarchie. Cela demande une vertu exceptionnelle et montre que tout ce qu’elle a accompli était bien pour Dieu et non pour elle-même.
En savoir plus
Née en 1848 à Antananarivo (Tananarive), celle qui recevra plus tard au baptême le prénom prophétique de Victoire appartient à la très haute aristocratie de l’île de Madagascar. L’Angleterre s’impose alors en dominatrice dans l’océan Indien, et les missionnaires protestants, tissant un puissant réseau à la cour malgache, convertissent bon nombre d’aristocrates à l’anglicanisme. Les parents de Victoire préfèrent pourtant confier leur fille, pour son éducation, à la communauté française des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Victoire est l’une des premières jeunes filles élevées par les religieuses. L’enfant s’y plaît tellement qu’elle demande et reçoit le baptême catholique le 1er novembre 1863. Elle aspire aussi à embrasser la vie religieuse, mais ses parents, qui ont d’autres projets pour elle, s’y refusent. Malgré son jeune âge, Victoire se soumet, consciente de pouvoir être utile à l’Église dans le monde.
Le 13 mai 1864, elle épouse un lointain cousin, le prince Randriaka, commandant en chef de l’armée malgache, non baptisé mais dont les sympathies penchent pour le protestantisme, par admiration pour la reine Victoria. Victoire le sait, comme elle sait que son fiancé est coléreux, brutal, violent, et qu’il ne lui sera pas fidèle. Pourtant, elle exige un mariage catholique, dont les exigences la lieront seule, car elle refuse absolument de vivre dans le péché, en dépit du prix à payer.
Son union restant stérile, et Victoire étant ostracisée par sa belle-famille parce qu’elle refuse de se faire anglicane, celle-ci trouve ses consolations dans la prière et les œuvres de charité. Elle fonde ainsi une œuvre mariale pour les femmes, les Filles de la Sainte-Vierge, en 1876, qu’elle présidera jusqu’à sa mort. La dignité et la charité de son attitude font d’elle un exemple pour toutes les femmes mariées, y compris celles de la Cour, où elle tient son rang de dame d’honneur de la souveraine. À ceux qui la plaignent de ce qu’elle endure pour demeurer fidèle à son époux et au catholicisme, elle répond que « la persécution est la compagne de l’Église ».
Elle tient bientôt un rôle essentiel dans la vie de la communauté catholique malgache. Elle en assure la survie après l’expulsion des missionnaires, soupçonnés par les autorités anglophiles de collusion avec la France en vue de s’emparer de l’île. Elle se revendique devant les autorités « vraie Malgache et vraie catholique ». Elle essaie même d’obtenir la venue de prêtres catholiques britanniques, mais en vain.
Très malade depuis 1890, alors qu’on lui dit de se ménager, Victoire refuse de manquer la procession du 15 août 1894. Cet effort l’achève. Elle meurt le 18, le sourire aux lèvres, en disant son chapelet. Ainsi aura-t-elle préféré jusqu’au bout ses devoirs de catholique à son repos et même à sa vie. Sa dépouille repose à Andohalo.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
Béatifiée en 1989, elle est un exemple du rôle qu’une vraie catholique peut tenir, tant dans la vie publique qu’au sein de son foyer.
Aller plus loin
J.L.C. Ramahery, L’Ange visible de l’Église naissante à Madagascar, Victoire Rasoamanarivo, 1990.
En complément
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Étienne Fourcadier, La Vie héroïque de Victoire Rasoamanarivo, Dillien, 1937.
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Homélie de béatification par le pape Jean-Paul II, le 30 avril 1989.
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François Simon Perret, Victoire Rasoamanarivo, une chrétienne dans toute sa stature de laïque, 1995. Peut être consulté en ligne .
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Sur le site Internet Codex Dei, l’article « La conversion miraculeuse de la bienheureuse Victoire Rasoamanarivo ».