
Première lecture
Moïse disait au peuple d’Israël : « Interroge les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? Il t’a été donné de voir tout cela pour que tu saches que c’est le Seigneur qui est Dieu, il n’y en a pas d’autre. Du haut du ciel, il t’a fait entendre sa voix pour t’instruire ; sur la terre, il t’a fait voir son feu impressionnant, et tu as entendu ce qu’il te disait du milieu du feu. Parce qu’il a aimé tes pères et qu’il a choisi leur descendance, en personne il t’a fait sortir d’Égypte par sa grande force, pour chasser devant toi des nations plus grandes et plus puissantes, te faire entrer dans leur pays et te le donner en héritage, comme cela se réalise aujourd’hui. Sache donc aujourd’hui, et médite cela en ton cœur : c’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Tu garderas les décrets et les commandements du Seigneur que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir, toi et tes fils, bonheur et longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours. »
Psaume
Je me souviens des exploits du Seigneur.
Je me souviens des exploits du Seigneur, je rappelle ta merveille de jadis ; je me redis tous tes hauts faits, sur tes exploits je médite.
Dieu, la sainteté est ton chemin ! Quel Dieu est grand comme Dieu ? Tu es le Dieu qui accomplis la merveille, qui fais connaître chez les peuples ta force.
Tu rachetas ton peuple avec puissance, les descendants de Jacob et de Joseph. Tu as conduit comme un troupeau ton peuple par la main de Moïse et d’Aaron.
Évangile
Alléluia. Alléluia. Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux ! Alléluia.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera. Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? Car le Fils de l’homme va venir avec ses anges dans la gloire de son Père ; alors il rendra à chacun selon sa conduite.
Amen, je vous le dis : parmi ceux qui sont ici, certains ne connaîtront pas la mort avant d’avoir vu le Fils de l’homme venir dans son Règne. »
Méditer avec les carmes
L’Évangéliste ne s’est pas trompé en rapportant ces quelques paroles de Jésus juste après la première annonce de la Passion ; car ces paroles de Jésus sont autant d’appels à la loyauté et à la générosité en des circonstances qui exigent beaucoup de courage et d’abnégation. La passion des disciples est ainsi replacée d’avance dans l’axe spirituel de la Passion du Maître, et Jésus, à partir de ce moment-là, commence à réclamer, de plus en plus souvent, non plus seulement l’adhésion à sa doctrine, mais un attachement inconditionnel à sa personne.
« Si quelqu’un veut venir derrière moi, qu’il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive ! »
« Si quelqu’un veut venir »... Jésus souligne bien qu’il ne contraint personne. Il invite ; puis il passe devant, sans se retourner pour voir s’il est suivi, parce qu’il ne veut pas douter de notre amour. La liberté reste entière, et nous pourrons, aussi souvent que nous le voudrons, manquer notre heure.
Mais si nous voulons vraiment marcher derrière lui, trois attitudes sont requises de nous : deux d’entre elles impliquent des ruptures : se renier, prendre sa croix ; et la troisième sera une relation durable de disciple à Maître, étalée sur le temps de toute une vie : suivre Jésus. « Prendre sa croix » est une image, mais l’image va loin : à l’horizon se profilent les gibets, que l’on connaissait trop bien à Jérusalem depuis le début de l’occupation romaine.
Prendre sa croix aujourd’hui, c’est accepter pour demain, s’il le faut, de prendre des risques par amour pour le Christ, mais en sachant que Celui qui marche devant a assumé le premier l’existence risquée qu’il nous offre, sans autre raison que son amour pour nous.
Et celui qui prend sa croix commence à vivre, en suivant le Maître, une étrange folie qui est la plus douce des sagesses. Il se met à perdre l’avoir, le valoir, le pouvoir ; il se perd lui-même des yeux, n’ayant de regard que pour Celui qui marche devant. Il perd « son âme » (sa nefesh), c’est-à-dire sa vie liée à un corps, mais surtout l’autonomie de son moi volontaire, capable de vibrer à tout bonheur. Il perd sa vie, sans rien tuer en lui-même, mais en vivant son temps d’homme au compte de Dieu. Il perd sa vie en tant que sienne, parce qu’il laisse Dieu libre de la prendre pour la survolter ou pour l’enfouir, pour en faire une parole ou un silence. Et voilà « l’admirable échange » : l’homme s’est fait perdant et il a gagné ; il s’est laissé gagner par Dieu. Souvent il a perdu ce qui fait courir le monde ; mais il a trouvé son âme, il a trouvé sa vie, il s’est trouvé luimême en Dieu et selon Dieu, il a trouvé Dieu. Il ne servirait à rien de laisser dans le monde une traînée de puissance : ce que le Christ nous demande, c’est de creuser un sillon de bonté, et d’aller à Dieu par le chemin de l’amour, et donc du don de soi. La suite du Christ pauvre de lui-même implique pour nous une nouvelle relation à l’œuvre de nos mains et à la durée de notre propre vie : « Fais-nous savoir comment compter nos jours ; que nous venions de cœur à la sagesse ! » (Ps 90, 12). Il ne s’agit pas d’une perception maladive du temps qui passe et qui s’écoule, mais il s’agit d’insérer notre vie chaque jour dans le projet de Dieu, de décréter pour nous l’état d’urgence, car « l’amour du Christ est urgent » pour nous et pour le monde.
Toutefois, avant même de mobiliser nos forces vives, l’essentiel est de laisser faire Dieu, de laisser Dieu Trinité nous aimer autant qu’il veut nous aimer ; car il veut être en nous la source de tout don, de toute réponse, de toute fidélité, comme il est déjà la source de la vie éternelle. L’Esprit est là, qui murmure en nous : « Viens vers le Père ! » et qui nous montre chaque jour Jésus marchant sur la route, là, devant nous, tout près, sans se retourner.