
Première lecture
Moi Jérémie, j’entends les calomnies de la foule : « Dénoncez-le ! Allons le dénoncer, celui-là, l’Épouvante-de-tous-côtés. » Tous mes amis guettent mes faux pas, ils disent : « Peut-être se laissera-t-il séduire... Nous réussirons, et nous prendrons sur lui notre revanche ! » Mais le Seigneur est avec moi, tel un guerrier redoutable : mes persécuteurs trébucheront, ils ne réussiront pas. Leur défaite les couvrira de honte, d’une confusion éternelle, inoubliable.
Seigneur de l’univers, toi qui scrutes l’homme juste, toi qui vois les reins et les cœurs, fais-moi voir la revanche que tu leur infligeras, car c’est à toi que j’ai remis ma cause.
Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants.
Psaume
Dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi.
C’est pour toi que j’endure l’insulte, que la honte me couvre le visage : je suis un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils de ma mère. L’amour de ta maison m’a perdu ; on t’insulte, et l’insulte retombe sur moi.
Et moi, je te prie, Seigneur : c’est l’heure de ta grâce ; dans ton grand amour, Dieu, réponds-moi, par ta vérité sauve-moi. Réponds-moi, Seigneur, car il est bon, ton amour ; dans ta grande tendresse, regarde-moi.
Les pauvres l’ont vu, ils sont en fête : « Vie et joie, à vous qui cherchez Dieu ! » Car le Seigneur écoute les humbles, il n’oublie pas les siens emprisonnés. Que le ciel et la terre le célèbrent, les mers et tout leur peuplement !
Deuxième lecture
Frères, nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché. Avant la loi de Moïse, le péché était déjà dans le monde, mais le péché ne peut être imputé à personne tant qu’il n’y a pas de loi. Pourtant, depuis Adam jusqu’à Moïse, la mort a établi son règne, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam. Or, Adam préfigure celui qui devait venir.
Mais il n’en va pas du don gratuit comme de la faute. En effet, si la mort a frappé la multitude par la faute d’un seul, combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance sur la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus Christ.
Évangile
Alléluia. Alléluia. L’Esprit de vérité rendra témoignage en ma faveur, dit le Seigneur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage. Alléluia.
En ce temps-là, Jésus disait à ses Apôtres : « Ne craignez pas les hommes ; rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le en pleine lumière ; ce que vous entendez au creux de l’oreille, proclamez-le sur les toits. Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps. Deux moineaux ne sont-ils pas vendus pour un sou ? Or, pas un seul ne tombe à terre sans que votre Père le veuille. Quant à vous, même les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux cieux. »
Méditer avec les carmes
« Ne craignez pas... courage ! » Telle est la consigne de Jésus qui noue en gerbe les quatre paroles retenues aujourd’hui par la liturgie.
Il s’agit, dans sa pensée, non pas de ces craintes fugitives qui gênent ou empoisonnent la vie de tous les jours, mais de la crainte qui saisit le croyant au moment de témoigner de sa foi et de son attachement à Jésus-Christ ; la crainte de paraître fou, ou demeuré, ou dépassé ; la crainte de la persécution, dont Jésus vient de parler dans le contexte de saint Matthieu : « Vous serez haïs de tous à cause de mon nom » (v. 22).
Et si nous demandons à Jésus ce qui peut nous aider à traverser la crainte, sa réponse nous semblera étrange. Il la donne juste avant sa consigne, lorsqu’il dit : « Le disciple n’est pas au-dessus du Maître, ni le serviteur au-dessus de son Seigneur. Puisqu’ils ont traité de Béelzéboul le maître de maison, à combien plus forte raison le diront-ils de ceux de sa maison ! »
Ainsi notre raison de ne pas craindre, c’est que notre destin reproduit celui du Serviteur de Dieu, et que dès le départ nous sommes compromis par lui et avec lui. Notre assurance, notre audace de témoins, est donc d’emblée paradoxale : ce qui doit nous immuniser contre la peur, c’est que notre Maître est allé jusqu’à la mort !
Mais Jésus ajoute aussitôt une autre raison de ne pas nous laisser entamer par la crainte : « Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé. Rien n’est secret qui ne sera connu. » Ce n’est pas là remarque banale, comme si Jésus disait : « Tout vient à son heure », « tout finit par se savoir », c’est l’affirmation, par le Christ, que la lumière est déjà victorieuse, et que Dieu accompagne le témoignage de ses fils et de ses filles parce qu’il veut, par eux et par elles, dévoiler au monde ses richesses. Il ne faut pas avoir peur, pas plus pour nous que pour notre message. Car si nous sommes porteurs de ce que Dieu révèle, il n’y a rien à craindre ni de l’oppression physique, ni de la solitude intellectuelle, ni des mutations de la culture et de l’histoire, ni de la perte de tout modèle autre que Jésus-Christ.
Celui qu’il faut craindre, nous dit Jésus, c’est Celui qui a le pouvoir de vouer à la géhenne et le corps et l’âme, c’est-à-dire Dieu lui-même, qui seul est maître de l’irréversible, Dieu, maître de la mort et de la vie. Mais ici le mot craindre change de sens, quand on passe de la crainte des hommes à ce que le monde juif appelait « la crainte de Dieu ».
La crainte de Dieu, au sens biblique, c’est un mélange de respect et d’affection, c’est à la fois le sens de la majesté de Dieu et une spontanéité filiale pour lui obéi ; c’est, en quelque sorte, la délicatesse de l’homme en réponse à la délicatesse de Dieu. C’est pourquoi, alors que la crainte des hommes, ou de leur jugement, ronge, paralyse et mène au doute, la crainte de Dieu, au sens biblique, réveille sans cesse en nous le meilleur de nous-mêmes et nous rend aptes à percevoir la tendresse de notre Dieu qui s’occupe si bien des moineaux et compte tous les cheveux de notre tête.
Le témoin de Jésus, c’est donc un homme de foi chez qui l’amour pour Dieu a banni la crainte des hommes, et qui est prêt, malgré ses limites et ses faiblesses, à confesser hardiment le Christ sauveur, à se déclarer pour lui devant les hommes, c’est-à-dire à se déclarer solidaire de lui, en tout temps et en tout milieu, partout où il est aimé, partout où il est trahi, partout où des hommes à tâtons, le cherchent.
Et ce témoignage-là, même s’il met en œuvre toutes les ressources humaines de l’apôtre, dépasse le niveau de l’habileté et du prestige ; il s’enracine humblement dans l’amitié avec Jésus, mort et ressuscité.
Ce que le disciple crie au monde, ce qu’il a le droit et de devoir de proclamer sur les toits, c’est ce que Dieu lui a murmuré à l’oreille, ce qu’il n’a jamais cessé de murmurer à son peuple. Voilà pourquoi notre témoignage ne peut être ni agressif, ni contraignant, et ne peut céder à aucune tentation d’impatience. Il renvoie à une parole entendue, à un visage toujours cherché. C’est un message tout d’intériorité et de douceur, enveloppé de la même miséricorde qui nous enveloppe nous-mêmes.