Le Bon Marché brûle ; Marie éteint les flammes
Dans la matinée du 22 novembre 1915, un incendie se déclare au sous-sol de l’annexe des magasins du Bon Marché. Bientôt incontrôlable en dépit des secours déployés, le sinistre menace vite tout le quartier. La maison mère des filles de la Charité, rue du Bac en fait partie et, avec elle, la chapelle de la Médaille miraculeuse où Marie est apparue trois fois en 1830 à sœur Catherine Labouré . Malgré les objurgations des pompiers, les sœurs refusent d’évacuer les bâtiments, confiantes en la protection de Notre-Dame.
Les raisons d'y croire
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Nous sommes très bien documentés sur l’événement, tant par la presse que par les rapports de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, de l’armée et les reportages photographiques et cinématographiques qui suivent minute par minute les faits. On ne peut mettre en doute la gravité de l’incendie et les très vives inquiétudes qu’il provoque au plus haut niveau de l’État.
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Les pompiers de la caserne la plus proche, celle de la rue du Vieux Colombier, arrivés sur place à 11h37 avec leur meilleur matériel, comprennent très vite qu’ils ne maîtriseront pas facilement le sinistre sans aide. Ils demandent aussitôt des renforts à toutes les casernes parisiennes, preuve de la gravité du feu.
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À cette époque l’annexe des grands magasins parisiens du Bon Marché est utilisée par les services de santé de l’armée : plus de cinq cents grands blessés y sont hospitalisés et soignés. La préoccupation urgente des pompiers, dans un premier temps, est d’évacuer les blessés de guerre qui s’entassent dans les étages et dont beaucoup sont intransportables ou ne peuvent atteindre par eux-mêmes les sorties de secours. Sur l’instant, les responsables sont persuadés de ne pas y parvenir et redoutent de terribles pertes humaines. Pourtant, contre toute attente, premier et improbable miracle, on ne déplorera aucun décès et tous les blessés comme l’ensemble du personnel médical quitteront sans dommage l’immeuble en flammes.
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Il faut souligner le déploiement remarquable du matériel de pointe de l’époque, entre autres sept échelles Gugumus hautes de 19 mètres. Malgré cela et malgré des renforts arrivés de tout Paris, en début d’après-midi, le colonel Cordier, commandant la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, présent sur feu, comprend qu’il ne sauvera pas l’annexe. Les ressources humaines et matérielles sont vaines.
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Plus grave, le feu va se propager inéluctablement au bâtiment principal du magasin, de l’autre côté de la rue, mais aussi, sur le même trottoir que l’annexe, côté rue de Sèvres, à l’hôpital Laënnec et, côté rue du Bac, à la chapelle de la Médaille Miraculeuse, qui jouxte immédiatement l’immeuble en flammes et que rien, à vues humaines, ne saurait sauver d’une destruction certaine.
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Il est conseillé aux religieuses de se préparer à évacuer la maison-mère avant d’être piégées par le feu. La supérieure générale s’y refuse, affirmant que la protection de Notre-Dame et de saint Vincent de Paul ne fera pas défaut et qu’elles ne sont pas en danger. Rationnellement, c’est de la folie furieuse mais rien ne les fera changer d’avis.
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Les sœurs qui portent toutes la médaille miraculeuse et connaissent les innombrables miracles qui lui sont attribuées, ont une confiance absolue en sa puissance et en l’intercession de Notre-Dame qui, après avoir pendant des décennies, réclamé à Catherine Labouré et aux supérieurs des Filles de la Charité et des Lazaristes l’ouverture de la chapelle des apparitions, celle, jusque-là privée, de la maison-mère, l’a enfin obtenue depuis 1880, ne laissera pas détruire ce précieux témoin de son passage à Paris. Confiantes, elles se mettent en prière comme si de rien n’était et réclament un miracle.
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Contre toute attente, en fin de soirée, bien qu’il ne manque pas de combustibles, le feu, sans raison apparente, perd de son intensité et faiblit, de sorte que les pompiers vont réussir à en reprendre le contrôle et qu’à l’aube du 23 novembre, ils l’auront éteint et n’auront plus qu’à en empêcher une éventuelle reprise et étendre des bâches sur les toitures dévastées pour protéger les bâtiments de la pluie providentielle qui s’est mise à tomber.
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Non seulement la Chapelle des apparitions est sauvée, mais l’incendie n’a fait ni mort ni blessé : bilan inespéré. Même si la presse et le gouvernement se gardent d’en faire état, l’archevêché de Paris et l’Église ne douteront jamais de la réalité du miracle qui est commémoré dans l’allée menant de la rue du Bac à la chapelle parmi les plus fameux prodiges attribués à la médaille miraculeuse.
En savoir plus
Dans la nuit du 19 juillet 1830, Notre-Dame apparaît dans la chapelle de la maison mère des Filles de la charité à une jeune novice bourguignonne, la sœur Catherine Labouré, lui révélant d’abord les menaces qui pèsent sur la France et le trône du roi Charles X, les malheurs qui vont pleuvoir sur le pays car « il a renversé la croix », et le relèvement inespéré des congrégations vincentiennes si durement éprouvées par la Révolution qu’on les pensait vouées à disparaître.
La Sainte Vierge se montrera de nouveau à Catherine le 27 novembre puis début décembre 1830 pour lui présenter un modèle de médaille dont elle devra demander la frappe à l’archevêque de Paris et qui sera une prodigieuse source de grâces pour ceux qui la porteront au cou. Elle demande aussi que les pèlerins « viennent au pied de cet autel », celui de la chapelle, où ils recevront en abondance les grâces dont ils ont besoin.
Mgr de Quelen accepte dès 1832 la frappe de la médaille, bientôt dite miraculeuse en raison des prodiges qu’elle opère et dont le développement international sera prodigieux. Mais les Supérieurs de la Communauté refuseront longtemps l’ouverture de la chapelle privée de la communauté au public, malgré l’insistance de la pauvre Catherine, mue par les locutions intérieures dont elle bénéficiera toute sa vie. Ce n’est qu’en 1880, date à laquelle, sous la pression de Rome qui demande aussi l’ouverture de la cause de béatification de Catherine Labouré, morte le 31 décembre 1876, que les Filles de la charité finissent par accepter d’ouvrir la chapelle au public, permettant aux fidèles de prier au pied de l’autel et devant le fauteuil dans lequel, la nuit du 19 juillet 1830, la Sainte Vierge s’est assise pour converser plus de deux heures avec Catherine agenouillée, ses coudes sur ses genoux.
Il va de soi qu’un tel endroit ne pouvait disparaître dans les flammes.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
On trouve en ligne sur Gallica ou sur le site des pompiers de Paris les documents concernant l’incendie. L’on peut aussi se référer aux Annales de la Médaille miraculeuse.
En complément
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Les archives numérisées de la BnF des périodiques de novembre 1915 (Petit Journal, Le Matin, Excelsior).
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Mémoire de Nathalie Mercier (ENSSIB, 1985) : « Un grand magasin parisien : Le Bon Marché, 1863-1938 », portant sur l’histoire architecturale et commerciale du Bon Marché, y compris les informations relatives à l’incendie de 1915.
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1000 raisons de croire a publié plusieurs articles liés à la Chapelle de la rue du Bac : « La conversion inespérée d’un bourreau de la Terreur », « La nuit extraordinaire de sœur Labouré », « Catherine Labouré et la médaille miraculeuse », « Vincent de Paul révèle sa vocation à Catherine Labouré »…
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Le site de la Chapelle Notre-Dame de la Médaille Miraculeuse .