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Les interventions du Christ dans l'Histoire
France
Nº 798
Du XVIIe à nos jours

Comment le Sacré Cœur sauve la France, pour peu qu’elle le demande

Depuis le XVIIe siècle, une tradition traverse les siècles : celle des Français qui cousent le Cœur Sacré de Jésus sur leur drapeau. En effet, une série de messages divins transmis par le Christ, la Vierge Marie et différents mystiques demande à la France de se consacrer au Sacré Cœur de Jésus, en échange de sa protection et de sa paix. L’amour infini a soif d’amour en retour, autant qu’il désire offrir les solutions au bonheur et nous épargner le mal et la souffrance. Au long de l’histoire, malgré l’ingratitude, l’inconscience ou l’incrédulité des hommes, le Seigneur demande toujours la même chose : « M’aimes-tu ? » Dès que la ferveur et la piété du peuple et de ses dirigeants se tournent vers le Sacré Cœur, la paix revient.


Les raisons d'y croire

  • Le Christ ne cesse de mettre en garde contre le mal qui progresse et il appelle à se tourner vers le Sacré Cœur. Cette demande est formulée à plusieurs reprises et avec constance au fil des siècles, en particulier en France ; différentes personnes s’en font les porte-parole, à commencer par sainte Marguerite-Marie Alacoque en 1689. Dieu ne s’impose pas, sa pédagogie est à l’œuvre ; l’histoire humaine est l’histoire du oui ou du non à Dieu.

  • Depuis le XVIIe siècle, les apparitions mariales sont très nombreuses en France. Elles forment une même ligne de continuité spirituelle, dont le centre n’est autre que le Cœur du Christ. À la rue du Bac , en 1830, Marie unit son Cœur immaculé au Sacré Cœur. À La Salette , en 1846, la Vierge pleure et reproche à la France son oubli de Dieu. Son cœur et celui de son fils, blessés par l’ingratitude des hommes, doivent être consolés. À Pellevoisin , en 1876, le Sacré Cœur de Jésus figure sur le scapulaire de la Vierge, etc.

  • On observe donc une continuité et une constance du message de révélation de l’amour miséricordieux de Jésus : Dieu offre à la France, par Marie, la grâce de revenir au Cœur de son Fils et Marie, le Cœur immaculé uni au Sacré Cœur, en est un canal.

  • Quand le Christ apparaît à sainte Marguerite-Marie Alacoque, il présente son Cœur comme un signe d’alliance et de protection, non seulement pour les âmes, mais aussi pour la France en tant que nation. En juin 1689, Jésus demande expressément que la France soit officiellement consacrée à son Sacré Cœur. Mais ni Louis XIV, ni Louis XV, ni Louis XVI n’accéderont à la demande de consécration au Sacré Cœur. Or exactement un siècle plus tard, en 1789, c’est la Révolution française et le trône est renversé. Dans une lecture théologique et mystique de l’Histoire, on peut lier la chute de la monarchie française et les refus répétés des rois de consacrer la France au Sacré Cœur.

  • Chaque fois que la France s’en remet sincèrement à Dieu, les événements prennent une tournure providentielle : le pays obtient une victoire, les peuples déclarent l’armistice… Ainsi, lors de la guerre de 1870, alors que le pays semblait perdu, la prière fervente au Sacré Cœur aboutit à un vœu et à la construction extraordinaire de la basilique de Montmartre, signe d’espérance et de relèvement spirituel.

  • Les malheurs du pays ne viennent pas du fait que Dieu se venge. C’est qu’en rejetant Dieu, la France se prive de la force et de la paix de Dieu. Ses messages ne sont pas des menaces de châtiments, mais plutôt les avertissements d’un père à ses enfants sur les conséquences de leur incrédulité, de leur éloignement, de leur orgueil… Dieu souhaite par-dessus tout établir une relation d’amour véritable avec les hommes, et qu’ils soient tous sauvés.

  • La puissance divine n’agit pas seulement au moyen des grands de ce monde, mais aussi par la foi sincère des gens ordinaires. C’est la ferveur des familles et des soldats qui opère un revirement inattendu lors de la Grande Guerre et pousse finalement le maréchal Foch à consacrer les armées au Sacré Cœur. Médailles et scapulaires sont spontanément cousus dans les vêtements militaires. Les articles des journaux relatent les témoignages de soldats protégés par le Sacré Cœur de Jésus. Parmi mille autres exemples, on lit dans L’Écho du Sacré-Cœur d’août 1917 : « J’ai cousu le Sacré-Cœur dans ma capote, je n’ai pas été touché quand mes camarades tombaient autour de moi. » Ou encore : « Un soldat remercie le Sacré Cœur d’avoir été sauvé d’une balle, la médaille ayant arrêté l’impact. »


En savoir plus

En juin 1689, sœur Marguerite-Marie Alacoque, future sainte de Paray-le-Monial, adresse une lettre à sa supérieure : « Faites savoir au fils aîné de mon Sacré Cœur (le roi de France) que, comme sa naissance temporelle a été obtenue par la dévotion aux mérites de ma sainte enfance, de même il obtiendra sa naissance de grâce et de gloire éternelle par la consécration qu’il fera de lui-même à mon Cœur adorable, qui veut triompher de son cœur, et par son moyen, de ceux des grands de la terre. Il veut régner dans son palais, être peint sur ses étendards et gravé sur ses armes, pour les rendre victorieuses de tous ses ennemis, en abattant à ses pieds les têtes orgueilleuses et superbes, afin de le rendre triomphant de tous les ennemis de la sainte Église. »

La mère supérieure remet la lettre au père de La Chaise, confesseur du roi. Louis XIV prend bien connaissance de cette missive, dont les demandes et promesses sont claires : que le roi consacre la France à son Sacré Cœur, qu’il fasse apposer l’image du Sacré Cœur sur ses étendards et qu’il construise un édifice public en l’honneur de ce Cœur divin. Le but ? Obtenir la protection divine sur le royaume, rétablir la paix intérieure, garantir la prospérité et la victoire sur les ennemis. Louis XIV a donc bien été informé de ces révélations, mais il choisit de les considérer comme de la piété privée, peu compatible avec sa politique. Il craint également de heurter certains courants jansénistes, qui critiquent déjà le Sacré Cœur comme une dévotion « trop sentimentale ».

Ses successeurs ne donnent également pas suite à cette demande. Louis XV est adepte d’une religiosité plus « rationnelle », alors que Louis XVI, qui est pourtant personnellement attaché au Sacré Cœur (il portait un scapulaire les dernières années de sa vie), ne mettra jamais en œuvre cette consécration publique officielle en tant que roi. Il projette de le faire en 1792, mais c’est trop tard. Ainsi, peut-on dire que la France des rois refuse de se laisser sauver par le Christ, malgré ses demandes insistantes. À ce propos, sœur Lucie , voyante des apparitions à Fatima en 1931, rapporte par ailleurs que lorsque le Christ lui demande avec insistance de convaincre Rome de consacrer la Russie au Cœur immaculé de Marie, il ajoute : « Ses ministres [de Rome], en retardant l’exécution de mes demandes, suivront l’exemple du roi de France, et ils le suivront dans le malheur. »

Mais le Seigneur n’est jamais avare de son aide, et, même dans les malheurs de la fin du XIXe siècle, il ne cesse de se pencher sur la France. À la mystique Marie-Julie Jahenny, il dit en 1874 : « Mon divin Cœur veut sauver la France, mais elle doit se confier à lui et se placer sous sa garde. » La voyante Estelle Faguette, à Pellevoisin, reçoit la visite de la Sainte Vierge portant le Sacré Cœur sur sa poitrine. Elle dit avec insistance : « J’aime cette dévotion », en montrant le cœur de Jésus, et en demandant la confiance de la France. En outre, de nombreux prêtres prêchent la dévotion nationale au Cœur Sacré, comme le père Ramière, jésuite, vers 1860, ou bien l’abbé Languet, en pleine guerre contre la Prusse.

En 1871, deux laïcs, Alexandre Legentil et Hubert Rohault de Fleury, font le vœu suivant : « En reconnaissance des miséricordes infinies du Sacré Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ envers la France, et pour obtenir son pardon, nous promettons de construire à Paris un sanctuaire qui lui soit consacré. » Ce vœu est signé dans une chapelle, puis partagé à des évêques et des prêtres qui l’approuvent. Une souscription populaire est lancée, pour « expiation et réparation » au Sacré Cœur. Alors, enfin, comme un miracle, en 1873, au moment où la France se relève lourdement, meurtrie par la défaite de 1870 et par les événements clivants de la Commune, l’Assemblée nationale autorise la construction d’une basilique dédiée au Sacré Cœur, sur la butte de Montmartre. Le lieu est choisi à la fois pour sa hauteur, surplombant Paris, et son symbolisme religieux (le martyre de saint Denis). Ainsi se concrétise le vœu national, alors que beaucoup de catholiques voient dans cette défaite et dans l’état de meurtrissure de la France une conséquence de son manque de foi (révolutions, persécutions religieuses, laïcisme outrancier). C’est un miracle pour la France : l’élan de foi est relancé contre toute attente. La France veut se convertir, se consacrer au Sacré Cœur et réparer ses péchés. On pose la première pierre en 1875 et la construction durera jusqu’en 1914 (consécration en 1919, après la guerre).

La loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905 divise également les Français. On éjecte toute dévotion ou piété de la sphère publique. L’été 1914 se termine avec la déclaration de guerre de l’Allemagne contre la France dans un contexte social brisé. Mais l’entrée dans ce conflit réunit les Français sous les drapeaux : on proclame l’Union sacrée, on oublie un temps les antagonismes sous le feu des bombes. La conférence des évêques de France décide de consacrer solennellement le pays au Sacré Cœur le 11 juin 1915. On récite dans toutes les paroisses le texte de « l’Amende honorable et consécration », mais pas le gouvernement. La France de Raymond Poincaré cueille ce fruit spirituel si bénéfique pour ses troupes, mais elle n’a pas le courage de l’élever au fronton républicain. Cependant, en mars 1917, l’issue de la guerre est encore incertaine, et les souffrances au front sont immenses. Le président Poincaré reçoit une lettre d’une certaine Claire Ferchaud : « Monsieur le Président, Jésus veut sauver la France ; mais il demande qu’elle se place sous sa protection, et qu’elle porte le Sacré Cœur sur ses drapeaux. C’est là le moyen de hâter la victoire et d’arrêter tant de sang versé. » Très rapidement, elle est reçue à l’Élysée, le 21 avril de cette même année. Elle raconte : « Je lui ai exposé la volonté de Notre Seigneur : il faut faire figurer l’image du Sacré Cœur sur le drapeau français. Sans cela, les malheurs continueront. » Le président du conseil l’écoute poliment, mais ne fait rien.

Il faudrait transmettre au maréchal Foch. Une entrevue ne paraît pas possible ; alors la vaillante Claire ne se démonte pas, et lui écrit cette lettre à l’été 1917 : « Mon général, Dieu me charge de vous dire que la victoire de la France viendra si vous placez le Sacré Cœur sur vos drapeaux et que vous vous consacrez à lui. C’est la condition du triomphe. » La lit-il en personne ? L’histoire ne le dit pas. En revanche, des témoignages confirment que cette dernière a bien été transmise. Alors que la tête louvoie, le corps prend un cap clair. La Ligue du Sacré-Cœur, fondée en 1914, diffusait déjà des médailles et des scapulaires aux soldats. Ils sont cousus dans les vareuses. Le Sacré Cœur est brodé sur les drapeaux nationaux. Une véritable ferveur envahit les tranchées. L’homme du peuple, perclus de souffrance, se tourne vers son seul et unique roi. Les articles dans les journaux, comme L’Action catholique, La Croix, L’Écho du Sacré-Cœur, relatent des témoignages de soldats protégés par le Sacré Cœur de Jésus. Parmi mille autres exemples, on lit dans L’Écho du Sacré-Cœur d’août 1917 : « J’ai cousu le Sacré Cœur dans ma capote, je n’ai pas été touché quand mes camarades tombaient autour de moi. » Ou encore : « Un soldat remercie le Sacré Cœur d’avoir été sauvé d’une balle, la médaille ayant arrêté l’impact. »

Même si le général Foch ne suit pas à la lettre la demande de broder le Sacré Cœur sur les drapeaux, il lui consacre solennellement les armées lors d’une cérémonie privée en juillet 1918. Ce geste est interprété comme un accomplissement partiel du message transmis par Claire Ferchaud. Et la ferveur des soldats semble combler ce manquement du haut commandement. Juillet 1918 marque le tournant du conflit. L’offensive majeure des Allemands en Champagne est brisée nette, tandis que, de Soissons, les Alliés lancent la contre-offensive, que plus rien n’arrête. Dès le 18 juillet, la victoire de Villers-Cotterêts revêt une importance capitale : 28 000 prisonniers, 612 canons et 3 300 mitrailleuses sont pris, ce qui n’est pas négligeable, mais, stratégiquement, les Allemands n’ont plus l’initiative, et surtout, moralement, l’impact sur l’armée française est immense. Entre août et novembre, la Triplice s’effondre, l’Allemagne quitte le sol national français l’épée collée aux reins. La paix est enfin signée le 18 novembre.

Élisabeth de Sansal, diplômée de bioéthique à l’université pontificale Regina Apostolorum, à Rome. Article écrit grâce au travail de recherche de Christophe de Sansal, auteur de romans historiques.


Au delà

Texte de « l’Amende honorable et consécration au Sacré Cœur de Jésus » en 1915 : « Ô Cœur de Jésus, notre souverain et notre Roi, notre salut et notre résurrection, nous vous offrons l’hommage le plus profond de nos cœurs, et nous reconnaissons que c’est par votre bonté que nous sommes conservés dans l’existence. Ô Cœur de Jésus, pour réparer l’ingratitude de nos cœurs, nous vous offrons les nôtres. Pour réparer l’indifférence de notre Patrie à votre égard, nous nous offrons et nous consacrons à vous. Pour réparer les outrages dont vous êtes l’objet, nous vous offrons l’hommage le plus filial de nos cœurs. Nous nous prosternons devant vous, reconnaissant en vous le Dieu de nos pères, le Dieu de l’univers, le seul qui puisse nous rendre la paix. Ô Cœur de Jésus, nous vous offrons et nous vous consacrons notre patrie, avec tous ses biens, toutes ses familles et toutes ses institutions. Nous vous offrons et nous vous consacrons tous ceux qui vous servent et tous ceux qui vous offensent. Nous vous offrons et nous vous consacrons les cœurs de tous nos compatriotes. Ô Cœur de Jésus, pour réparer toutes les offenses que vous avez reçues en ces derniers jours, nous vous offrons notre amour et notre fidélité, et nous vous demandons d’agréer notre consécration. Nous nous offrons à vous, ô Cœur de Jésus, nous vous consacrons notre patrie, et nous vous demandons, par votre sang, de nous délivrer du fléau de la guerre, de nous rendre la paix, de nous conserver la foi et de nous sauver. Ainsi soit-il. »


Aller plus loin

Jean-Baptiste-Henri de Montaud, Le Sacré Cœur et la France, le culte du Sacré Cœur de Jésus dans l’histoire de France, 1930.


En complément

Livres :

  • Patrick Sbalchiero, La Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre : une épopée incroyable au cœur de l’histoire de France, Artège, 18 novembre 2020.

  • Ivan Gobry, Sainte Marguerite-Marie, la messagère du Sacré Cœur, éditions Téqui, 1989

  • Henru Bourcier, Marie-Julie Jahenny (1850 – 1941), la stigmatisée de La Fraudais, 1927.

  • Estelle Faguette, 1876, Les Apparitions de Pellevoisin, éditions Téqui 1979.

  • René Bazin, Claire Ferchaud et le Sacré Cœur, 1917.

  • Jean de Viguerie, La Stigmatisée de Loublande, 2007.

  • Jacques Benoist, Le Sacré-Cœur de Montmartre, de 1870 à nos jours, Atelier, 1992

Archives :

  • Carmel de Coimbra ;

  • Paray-le-Monial (lieu central du culte du Sacré Cœur) ;

  • Diocèse aux armées françaises ;

  • Service historique de la Défense (SHD), à Vincennes ;

  • Entrevue avec Poincaré : La Croix, avril-mai 1917, La Vérité, journal catholique de l’Ouest (1917) ;

  • Bulletin de L’Œuvre du Sacré-Cœur (1917–1918), mentionnant la diffusion de scapulaires et de drapeaux ;

  • La Croix, avril 1917 : mention de la venue de Claire Ferchaud à l’Élysée ;

  • La Croix, juillet 1918 : consécration des armées par Foch ;

  • Témoignages de soldats : revue L’Écho du Sacré-Cœur (1914–1919), L’Action Catholique (septembre 1918).

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