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Les moines
Europe (Leinster, Bangor, Luxeuil, Bobbio…)
Nº 800
547 – 615

Saint Colomban façonne l’Europe chrétienne

En 577, Colomban quitte le monastère de Bangor, où il a reçu sa formation monastique. Il traverse la Manche avec douze disciples, à l’image des apôtres du Christ. Arrivé près de Saint-Malo, il entame alors une immense pérégrination à travers l’Europe, fondant des communautés monastiques ferventes. Persécuté par certains rois et reines, il porte plus loin encore le message du Christ et termine sa course extraordinaire en Italie, dans l’abbaye de Bobbio, où il meurt le 23 novembre 615. La vie, l’œuvre et l’influence prodigieuses de saint Colomban s’expliquent pleinement parce que le Christ qu’il annonce est réel, vivant et agissant à travers lui.


Les raisons d'y croire

  • On connaît très bien la vie de saint Colomban par le récit qu’en fit son disciple Jonas de Bobbio, à peine vingt-cinq ans après sa mort (Vie de saint Colomban et de ses disciples). Cette proximité temporelle rend les témoignages sur sa vie hautement crédibles.

  • Les lieux et les faits qui jalonnent sa vie demeurent inscrits dans la toponymie, la dévotion populaire et les vestiges archéologiques. Bangor, Luxeuil, Fontaine et Bobbio existent toujours et attestent l’existence de cet homme dont l’action a durablement transformé l’Europe chrétienne. Ainsi, la foi chrétienne ne repose pas sur des mythes incertains, mais sur des figures historiques cohérentes dont la vie et l’œuvre confirment la solidité du message qu’elles ont transmis.

  • Saint Colomban reçoit sa formation monastique à l’abbaye de Bangor. Près d’un millier de moines y vivent alors. Un tel foyer de vocations, stable, structuré et fécond, ne peut guère s’expliquer par un simple enthousiasme humain ou par une idéologie passagère : il témoigne de la puissance intérieure de la foi chrétienne. La longévité et la fécondité de Bangor sont, en elles-mêmes, un signe historique de la vitalité surnaturelle du christianisme.

  • À trente ans, Colomban renonce au cadre familier de son monastère et quitte sa patrie bien-aimée pour répondre à un appel, le même que Dieu avait adressé à Abraham : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je te montrerai » ( Gn 12,1 ). Colomban débarque en Bretagne vers 577, entre Saint-Malo et Cancale, au lieu précis de l’anse du Guesclin ; une croix fut dressée pour commémorer son arrivée et l’on en conserve toujours un morceau.

  • On peut retracer la marche de plus de six mille kilomètres que Colomban entreprend à travers les royaumes francs, semant sur son passage des foyers de vie monastique et intellectuelle. De Luxeuil, qui devient l’un des grands centres spirituels de la Gaule mérovingienne, jusqu’à Bobbio, en Italie, qui deviendra un haut lieu de préservation des manuscrits antiques, son œuvre rayonne bien au-delà de sa propre existence. Une telle fécondité ne s’explique pas par la seule énergie humaine d’un moine, sans armée et sans richesse ; elle confirme la vérité de l’élan spirituel qui l’animait.

  • Ayant réprimandé le roi Thierry II et la reine Brunehaut pour leur corruption, Colomban est banni de Luxeuil et envoyé en exil avec tous ses frères irlandais. Il garde cependant en lui une paix et une fermeté impressionnantes. Ses lettres montrent une intelligence libre et une foi inébranlable. « Rien ne peut me séparer de l’amour du Christ », écrit-il. Ce courage calme, sans haine ni compromis, reflète la certitude existentielle du Christ vivant.

  • Sur le chemin qui le mène à Nantes, où il doit embarquer, il multiplie les prodiges : à Avallon, il délivre un démoniaque et guérit cinq frénétiques ; à Auxerre, il délivre un autre démoniaque ; à Nevers, il prophétise la mort d’un de ses gardes ; à Orléans, il guérit un aveugle, et, à Tours, un miracle lui signale le voleur qui l’avait détroussé pendant qu’il priait la nuit sur la tombe de saint Martin.

  • Ces prodiges viennent authentifier une vie cohérente et vertueuse, ce qui renforce leur crédibilité interne et le message de celui qui les opère. En effet, la vie de Colomban se distingue par la continuité entre la foi qu’il professe et la manière dont il agit : pauvreté, chasteté et obéissance stricte à la règle monastique. Ce type de cohérence, constante jusqu’à la mort, est difficile à expliquer sans la sincérité profonde de la foi : un imposteur ou un fanatique ne le pourrait pas.

  • Son obstination à faire célébrer la Pâque selon l’usage irlandais, le quatorzième jour de la lune, au lieu de la célébrer avec toute l’Église le dimanche qui suit, montre que son biographe Bobbio et ses successeurs n’ont pas enjolivé sa vie pour en faire un saint parfait. Cette controverse le troubla toute sa vie, et ce ne fut que plus tard que ses successeurs acceptèrent définitivement le jugement du pape.


En savoir plus

Saint Colomban naît en 547, l’année de la mort de saint Benoît. Le lieu de sa naissance est bien connu, à Myrshall, dans le comté de Leinster, en Irlande, où il reçoit sa première formation chrétienne. Puis, quittant son pays, il se réfugie dans la célèbre abbaye de Bangor, sur les rives du Belfast Lough, où un millier moines sont formés à l’école de saint Congal. Il y compose un commentaire sur les Psaumes.

À l’âge de trente ans, après avoir quitté l’Irlande, sa patrie, il sillonne les Cornouailles britanniques, puis débarque avec douze disciples à Saint-Coulomb, près de Saint-Malo. L’un d’eux, le moine saint Gall, établit son ermitage au cœur de la Bretagne, près de Loudéac, à Querrien. Or, le 15 août 1652, la Sainte Vierge apparaît à la bergère Jeanne Courtel, lui révélant la présence d’une antique statue en bois, sculptée par « mon serviteur saint Gall », qui gisait alors dans une mare. Cette découverte authentifia les déclarations de la voyante, et servit à la reconnaissance de l’apparition un mois plus tard, par Mgr Denis de La Barde, l’évêque de Saint-Brieuc.

Colomban, quant à lui, bénéficie de la bienveillance du roi Sigebert d’Austrasie, qui lui permet d’installer un premier monastère au lieu-dit d’Annegray, près de la commune de La Voivre, au sud-est des Vosges. En 1958, les fouilles menées sur le site même de l’ancien prieuré Saint-Jean-Baptiste d’Annegray ont justement mis en évidence une église (démolie en 1777) ainsi que des sarcophages mérovingiens.

Colomban fonde deux autres abbayes, dont la célèbre abbaye de Luxeuil (Franche-Comté) qui est construite sur les ruines d’un bourg gallo-romain, Luxovium, ravagé par Attila en 451, et consacré à saint Pierre. Tant de disciples y affluent que Colomban peut y instituer la Laus perennis, louange perpétuelle des moines qui se relaient en permanence pour la prière. La première écriture calligraphique en minuscule, appelée « l’écriture de Luxeuil », issue de la cursive romaine, avec une ornementation marginale empruntée à la grammaire décorative de l’Irlande, est l’un des trésors sortis du scriptorium de l’abbaye. Colomban insiste également sur l’importance du travail manuel, si bien que tous les moines, lettrés ou non, se retrouvent dans les champs pour les rendre cultivables. Un article de sa règle prescrit aussi au moine de se mettre au lit si fatigué qu’il dorme déjà en y allant, et de se lever avant d’avoir dormi suffisamment. C’est au prix d’un tel labeur qu’une partie de l’Europe est rendue à la culture et à la vie chrétienne : saint Colomban passe vingt ans dans cette abbaye pour former une génération de saints qui vont ensuite essaimer un peu partout.

Quand surviennent les persécutions de Brunehaut et de Thierry II, roi d’Austrasie, il se soumet au décret d’exil, et Dieu bénit son serviteur, car il fait de nombreux miracles partout où il passe. Arrivé à Nantes, d’où il doit repartir en Irlande sous la contrainte, un nouveau prodige empêche sa chaloupe de rejoindre le navire : libéré par ses gardes, il se dirige vers la cour du roi de Neustrie, Clotaire II, qui l’accueille très favorablement, puis de Théodebert, roi d’Austrasie. Il poursuit son chemin pour convertir de nouveaux peuples : il s’embarque sur le Rhin, au-dessous de Mayence, remonte le fleuve jusqu’au lac de Zurich, séjourne à Tuggen, à Arbon, et se fixe enfin à Bregenz, sur le lac de Constance, au milieu des ruines d’une ancienne ville romaine.

En présence du roi d’Austrasie Théodebert, en guerre avec son frère Thierry, roi de Bourgogne, Colomban, éclairé par un pressentiment, lui conseille de céder et de se réfugier dans un monastère, au lieu de risquer son royaume et son salut. Devant le refus du roi, le saint lui réplique : « Puisqu’il ne veut pas l’être de droit, il le sera de force. » Vaincu à Cologne quelque temps plus tard, il est envoyé par son frère à Brunehaut, qui le fait tondre et envoyer dans un monastère, avant de le faire assassiner.

Forcé de quitter sa retraite, il repart avec un seul disciple, Attale, traverse les Alpes, et est accueilli par le roi des Lombards Agilulfe, qui lui donne le territoire de Bobbio, entre Gênes et Milan. Il y a là une vieille église dédiée à saint Pierre, qu’il restaure et à laquelle il adjoint un monastère. Malgré son âge, il veut participer aux travaux des ouvriers, et courbe ses vieilles épaules sous le poids d’énormes poutres de sapin qu’il semblait impossible de transporter à travers les précipices et les sentiers à pic de ces montagnes. Dès qu’il le peut, il allume un foyer de science et d’enseignement, qui sera pendant longtemps le flambeau de l’Italie septentrionale.

S’il demeura toute sa vie très attaché à sa patrie, il le fut plus encore à l’Église catholique de Rome, comme en témoigne cette lettre écrite au pape saint Boniface IV : « Nous autres, Irlandais qui habitons le bout du monde et qui n’acceptons rien en dehors de la doctrine évangélique et apostolique, nous sommes tous les disciples des saints Pierre et Paul […]. Il n’y a chez nous aucun hérétique… aucun schismatique, et on y tient de façon inébranlable à la foi catholique telle qu’elle a été transmise au début par les vôtres, successeurs des apôtres… Pardonnez-moi si je vous ai dit quelques paroles offensantes… La liberté native de ma race me donne cette hardiesse… L’amour de la paix évangélique me fait tout dire… » (Lettre V, vers 613).

Arnaud Boüan, auteur de vies de saints, éditeur des Trésors de nos Pères .


Au delà

L’association des amis de saint Colomban œuvre à conserver les vestiges de son passage, et a dressé sur une carte d’Europe la Via Columbani – voies que l’apôtre et ses disciples ont sillonnées pour porter l’Évangile.


Aller plus loin

Jonas de Bobbio, La Vie de saint Colomban et de ses disciples, rédigée entre 639 et 642, traduit par Adalbert de Vogüé en 1988. Voir aussi les 18 sermons, 6 lettres, 6 poèmes, 2 règles, et un pénitentiel.


En complément

  • La vidéo Trésors de nos Pères : « Sur les traces de saint Colomban ».

  • Paul Guérin, Les Petits Bollandistes, tome 13, 1877.

  • Albert Le Grand, La Vie des saints de la Bretagne Armorique, 1636.

  • Jean Thiébaud, Saint Colomban : instructions, lettres et poèmes, L’Harmattan, 2000.

  • Claudia et Robert Mestelan, La Route de saint Colomban, Éditions du Colombier, 2008.

  • Jean-Baptiste Cornélius, Saint Colomban, le randonneur de Dieu, Lanore, 1992.

  • Joseph Auffret, Saint-Coulomb, des origines à nos jours, Les Presses Bretonnes, 1982.

  • Gérard Moyse, L’essaimage colombanien ; Un moment de l’histoire monastique européenne, dans « Actes colombaniens 1990 », Les Amis de saint Colomban, Luxeuil, 2000.

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