
Vincent de Paul révèle sa vocation à Catherine Labouré (1824)
Malgré ses journées chargées, Zoé Labouré trouve le temps de se rendre chaque matin à la messe à plusieurs kilomètres de chez elle et de se livrer à diverses activités caritatives. Ce qui l’étonne, toutefois, en ce jour de 1824, c’est d’assister au saint sacrifice dans l’église de Fain (Côte-d’Or, France), fermée depuis la Révolution faute de prêtres. Un prêtre, il y en a pourtant un à l’autel, petit et frêle, âgé. Zoé ne l’a jamais vu. Quand il se retourne vers elle, unique assistante, elle est frappée par l’intensité bienveillante de son regard et la bonté qui rayonne de lui. Mais, à la fin de la messe, lorsqu’il lui fait signe d’approcher, au lieu d’obéir, la jeune fille s’enfuit à toutes jambes et se rend au chevet d’une personne alitée. Là, à sa vive surprise, revoilà le vieux prêtre ! Il lui dit doucement : « Ma fille, c’est bien de soigner les malades. Vous me fuyez maintenant, mais, un jour, vous serez heureuse de venir à moi. Dieu a des desseins sur vous. Ne l’oubliez pas. » Paniquée, Zoé s’enfuit encore mais elle ne court pas : elle vole et cela lui fait prendre conscience qu’elle est en train de rêver.
Les raisons d'y croire
Pieuse, Zoé sait qu’il ne faut pas croire aux rêves, que c’est un péché et qu’elle ne doit pas s’arrêter à ce fantasme onirique. Pourtant, le moindre détail de ce rêve particulier de 1824 se fixe dans sa mémoire. Elle commence à admettre que ce songe vient de Dieu et qu’elle doit le décrypter pour comprendre ce que le Ciel attend d’elle.
Nul n’est plus pragmatique que mademoiselle Labouré, fille de fermier, dont les supérieurs diront, quand elle sera entrée en religion, qu’elle ne possède aucune imagination. Elle est donc le contraire d’une jeune fille impressionnable et rêveuse. Seule l’anormalité du songe explique qu’il l’obsède.
Avec bon sens, elle cherche une explication rationnelle : elle se dit qu’elle a déjà rencontré ce prêtre et l’a oublié. Elle retourne ses souvenirs en quête de cet épisode de son passé et doit finalement conclure qu’elle ne l’a jamais vu dans la réalité.
Par hasard, en 1825, sa cousine l’emmène chez les Filles de la Charité de Châtillon-sur-Seine. Zoé est abasourdie quand, introduite au parloir, la première chose qu’elle y voit est, accroché au mur, le portrait du prêtre de son rêve de l’année précédente. Elle le reconnaît aussitôt, sans l’ombre d’un doute. Quand elle les questionne, les religieuses lui disent qu’il s’agit de saint Vincent de Paul, leur fondateur, mort le 27 septembre 1660.
Zoé n’éprouvait aucune attirance particulière pour la congrégation des Filles de la Charité. Elle ne projette donc pas ses aspirations à la vie religieuse sur la première occasion qui se présente.
Il est certain que Zoé n’a pas vu auparavant de portrait de saint Vincent de Paul. Il n’y a pas de livre chez les Labouré, ni d’images pieuses. Il existe bien un très beau portrait de Vincent chez les Filles de la Charité de Moutiers-Saint-Jean, maison où elle est allée, mais dans une pièce à laquelle elle n’a jamais eu accès. D’ailleurs, dans le cas contraire, elle aurait reconnu Monsieur Vincent et ne se serait pas tourmentée à identifier le prêtre inconnu.
Pleine de bon sens et d’humilité, Zoé ne veut d’abord pas penser que le saint est vraiment descendu du Ciel pour lui indiquer sa voie. Elle n’est donc pas en train de se monter la tête. Prudente, elle prend conseil de son confesseur. Ce dernier lui dit que, sans doute, saint Vincent de Paul l’appelle à servir Dieu chez les Filles de la Charité. Preuve qu’elle n’a pas projeté ses désirs sur cette congrégation, Zoé va encore hésiter avant d’envisager sérieusement la chose.
De nombreux saints reçoivent de Dieu la permission après leur mort de se manifester aux vivants. Il peut ainsi se tisser des amitiés entre des personnes qui ne se sont pas connues sur terre. L’expérience de Catherine n’est donc pas inusitée ; il en existe d’autres cas, documentés, même à l’époque contemporaine.
Le rêve de Fain est la première manifestation de l’amitié privilégiée qui va se tisser, au-delà de la mort, entre le fondateur et la jeune fille. Entrée au noviciat de la rue du Bac à Paris en 1830, Zoé Labouré, devenue en religion Catherine, assiste à la translation des reliques de saint Vincent de Paul, épargnées par la Révolution et rapportées dans la chapelle des Lazaristes, la congrégation masculine qu’il a également fondée. Là, elle dira avoir éprouvé la sensation physique de la présence du saint.
À compter du 25 avril, sœur Catherine Labouré vit ses premières grandes expériences mystiques. Alors qu’elle prie « Monsieur Vincent de lui enseigner ce qu’il fallait qu’elle demande avec une foi vive », elle voit à plusieurs reprises le cœur du saint. La première fois, elle le voit « blanc, couleur de chair » et il en émane douceur et réconfort ; elle comprend intérieurement que ce blanc symbolise « la paix, le calme, l’innocence et l’union ». Le lendemain, le cœur est « rouge feu, ce qui doit allumer la charité dans les cœurs. Il me semblait que toute la communauté devait se renouveler et s’étendre jusqu’aux extrémités du monde. » Le troisième jour, elle a la vision d’un cœur « rouge-noir, ce qui me mettait de la tristesse dans le cœur […]. Je ne savais ni comment ni pourquoi cette tristesse se portait sur le changement de gouvernement. »
C’est l’annonce de la révolution qui, en juillet 1830, renversera la Restauration et déclenchera contre le catholicisme de nouvelles violences. Cette symbolique est trop complexe pour que Catherine, qui n’est absolument pas savante, l’ait inventée.
En savoir plus
Née à Fain-lès-Moutiers, en Côte-d’Or, le 2 mai 1806, Catherine Zoé Labouré doit, depuis la mort de sa mère, en 1815, assumer l’écrasante responsabilité de la ferme familiale et de l’éducation de ses cadets.
Ancien séminariste, son père est opposé à sa vocation religieuse et n’hésite pas à persécuter sa fille pour l’obliger à accepter le riche mariage qu’il a prévu pour elle. Devant son refus, il la chasse à sa majorité, la privant de sa dot et de sa part de l’héritage maternel. Acceptée avec le trousseau minimal payé par l’un de ses frères, Catherine, presque analphabète, est traitée comme une paysanne pauvre que l’on astreint au noviciat aux rudes travaux, sans mesurer ses vertus et sa piété mariale.
C’est pourtant elle que Notre Dame prend pour messagère, entre le 19 juillet et le début décembre 1830 , lui révélant les malheurs qui menacent la France, en rupture avec la loi de Dieu et la médaille miraculeuse .
Catherine ne se confiera qu’à son confesseur, refusant toujours que l’on sache qu’elle est la confidente privilégiée de Marie. Jusqu’à sa mort, le 31 décembre 1876, jamais elle ne rompra ce silence héroïque, en dépit des humiliations subies toute sa vie et des emplois subalternes qui lui seront donnés, et c’est la plus grande preuve de sa sainteté et de l’authenticité de ses visions.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
Après le décès de sa mère, en 1815, Catherine a embrassé la statue de Notre Dame en la suppliant de lui servir désormais de mère ; de même, reniée par son père qui n’a pas admis sa vocation religieuse et l’a chassée en la déshéritant, elle a pris saint Vincent pour père de substitution.
Il est simplement logique que, le 19 juillet 1830 (date, avant la réforme du calendrier, de la Saint-Vincent), ce soit lui qu’elle implore de lui obtenir la grâce de voir Marie, comme elle le voit, lui, et comme elle voit le Christ dans l’hostie consacrée. « Comme on nous avait distribué un morceau de linge d’un rochet de saint Vincent, j’en ai coupé la moitié que j’ai avalée, et je me suis endormie dans la pensée que saint Vincent m’obtiendrait la grâce de voir la Sainte Vierge. » Elle sera exaucée la nuit même.
Aller plus loin
Abbé René Laurentin, Catherine Labouré et la médaille miraculeuse, Lethielleux, 1979. Disponible également en anglais : Life of Saint Catherine Labouré, Colins, 1980.
En complément
André Dodin, L’Esprit vincentien, le secret de saint Vincent de Paul, Desclée de Brouwer, 1981.
Lucien Misermont, Les Grâces extraordinaires de la bienheureuse Catherine Labouré, Lecoffre, 1934.
Colette Yver, La Vie secrète de Catherine Labouré, Spes, 1935.
Anne Bernet, La Vie cachée de Catherine Labouré, Perrin, 2001.
Marie-Joëlle Guillaume, Saint Vincent de Paul, un saint au Grand Siècle, Perrin, 2015.
Le film de Armand Isnard, Vie de Catherine Labouré, RDM Édition, 2020.
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