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© CC0 philippematon, flickr
Les anges et leurs manifestations
France
Nº 757
1425-1431

Il y a six cents ans, l’archange saint Michel se présentait à Jeanne d’Arc

Il est midi, un jour de 1425, et l’angélus vient de sonner au clocher de l’église. Une fillette de treize ans est assise dans le jardin de la maison familiale des d’Arc ; c’est leur fille Jeanne. Soudain, « du côté de l’église », elle voit « une grande clarté », et de cette vive lumière provient une voix qui lui parle. Elle éprouve « une grande peur », mais, lorsque, les jours suivants, le phénomène se reproduit, Jeanne comprend à la troisième fois que « c’est la voix d’un ange, venue de Dieu pour l’aider ». Elle saura ensuite qu’il s’agit de l’archange Michel. Ainsi commence, il y a six cents ans, la mission de libératrice de la Pucelle.


Les raisons d'y croire

  • L’on n’a pas attendu les philosophes des Lumières et les rationalistes du XIXe siècle pour s’interroger sur la réalité des voix et des apparitions de Jeanne. Le dauphin Charles, futur Charles VII, ses conseillers laïcs et ecclésiastiques, puis les juges du procès de Rouen, pour des raisons opposées, ont longuement examiné les propos de Jeanne, soumise à des interrogatoires serrés. La crédibilité de son récit et l’orthodoxie de son discours ont été longuement testées, les uns ne voulant pas être dupes d’une mythomane qui ôterait toute légitimité à la cause du jeune roi de France et les autres voulant, au contraire, démontrer que la jeune fille est folle, possédée ou « sorcière ». Les Anglais souhaitaient prouver la validité de la fusion des couronnes de France et d’Angleterre sur la tête du fils d’Henri V et de Catherine de France. Nous sommes donc assurés, eu égard aux enjeux, de la méticulosité et du sérieux des enquêtes menées du vivant de Jeanne, tant par les Français que par les Anglais.

  • Le rôle de Jeanne dans les combats ne fut pas purement symbolique, destiné à remonter le moral des troupes en laissant croire à un secours divin, alors que la Cour entendait laisser le commandement à des généraux expérimentés. Ce serait oublier que les généraux en question allaient depuis des mois de défaites en défaites. On ne voit pas comment en quelques jours ces officiers qui étaient en train de perdre la guerre se seraient transformés en stratèges géniaux capables de retourner en un mois une situation militaire désespérée.

  • L’on sait aussi que Jeanne est une jeune fille de dix-sept ans à peine, totalement ignorante des choses de la guerre, mais qu’elle va intervenir constamment dans la direction des opérations militaires, imposant souvent ses décisions contre l’avis de ses capitaines, qui seront les premiers à avouer leur surprise devant les victoires impossibles qu’elle remporte. Si ce n’est pas elle, ni personne d’autre de l’armée française, il faut admettre que le véritable commandant des opérations est celui que Jeanne nomme « mon conseil », à savoir saint Michel, l’archange guerrier, prince de la milice céleste.

  • Il est parfaitement logique que Michel occupe cette place car il est le patron de la France et de la maison de Valois, de même que de la chevalerie française, qui l’a pris pour protecteur à la place de saint Georges, car celui-ci est le patron de l’Angleterre. Il a déjà manifesté pour quel camp il combattait en apparaissant plusieurs fois devant le Mont-Saint-Michel, investi par l’ennemi, sous les traits d’un mystérieux chevalier blanc qui donne l’avantage aux Français en mauvaise posture. Il existe de nombreux témoignages de ces interventions qui sauvent le Mont.

  • L’archange signe d’ailleurs son intervention déterminante du printemps 1429, qui va libérer Orléans et la vallée de la Loire en donnant la victoire à Jeanne le 8 mai, autrement dit le jour de la Saint-Michel du Mont-Gargan, qui commémore ses apparitions dans les Pouilles en 492.

  • La description que Jeanne livre en mars 1431 de ses « voix », de « son conseil » et de « ses frères du paradis » – récit qu’elle fait avec leur permission et sous leur contrôle – est, comme tous ses propos d’ailleurs, d’une habileté et d’une exactitude théologique remarquable qui dépasse de beaucoup l’instruction quasi inexistante de la jeune fille. Là encore, il faut admettre que ses mots lui sont dictés d’en haut. Elle déjoue tous les pièges tendus par Mgr Cauchon et ses juges, qui tentent de lui faire livrer de saint Michel un portrait trop humain. Ainsi répond-elle, quand on lui demande si l’archange lui apparaissait nu : « Vous pensez que Dieu n’a pas de quoi le vêtir ? » Si elle dit qu’elle a touché sainte Catherine et sainte Marguerite , elle ne le dit pas du pur esprit qu’est Michel, même s’il lui apparaît sous sa forme corporelle, et elle explique seulement le voir « des yeux de mon corps ». Elle précise qu’il lui apparaît toujours dans une grande lumière, très richement couronné.

  • L’on sait que le dauphin Charles et certains de ses proches ont été témoins d’au moins une apparition des deux anges qui apportaient la couronne au jeune roi afin de le rassurer sur sa légitimité. Parmi les personnes présentes, certaines ne croyaient pas à la mission de Jeanne, ce qui en fait des témoins particulièrement crédibles.

  • La meilleure preuve de la réalité des visions célestes de Jeanne, c’est qu’elle a mené à bien la mission qui lui était confiée, au prix de sa vie, alors que la reconquête de la France paraissait impossible.

  • Guide de Jeanne, saint Michel le demeure à ses côtés jusqu’au bout puisque l’église qui s’élevait place du Vieux-Marché, à Rouen, près du bûcher, portait le nom de « Saint-Michel ».


En savoir plus

Pendant l’été 1425, saint Michel se manifeste pour la première fois à la petite Jeanne d’Arc , à midi, dans le jardin de son père, à Domrémy. Ce n’est qu’à la troisième visite que l’enfant de treize ans, d’abord très effrayée, comprend qu’elle reçoit la visite de l’archange. « Cette voix m’a toujours bien gardée et je l’ai toujours bien comprise […]. Elle m’apprit à me bien diriger, à fréquenter l’église. Elle m’a dit que, moi, Jeanne, il fallait que je vienne en France, que je m’en aille et que mon père ne sache rien de mon départ. » Et comme Jeanne, prudente, s’inquiète de devoir se cacher de ses parents, Michel lui donne des preuves de son identité et lui annonce que la mission qu’il lui confie vient bien de Dieu. Jeanne est formelle : elle s’est assurée qu’il ne s’agit pas d’un tour démoniaque, preuve qu’elle n’est pas crédule, et elle ne croira qu’après avoir eu des signes tangibles. « Avant toute chose, il me disait d’être une bonne fille et que Dieu m’aiderait. Et entre autres bonnes choses, il m’a dit de venir au secours du roi de France et l’ange me disait la pitié qui était au royaume de France. »

La mission de Jeanne est si extravagante que l’on ne peut pas sérieusement croire que cette adolescente se l’est inventée, d’autant qu’elle répétera à l’envi qu’elle aurait pour sa part préféré rester au foyer paternel à s’occuper des tâches ménagères qui étaient les siennes. Il n’est pas crédible non plus qu’elle ait été la dupe d’une machination abracadabrante ourdie par la belle-mère de Charles VII, Yolande d’Aragon, pour soutenir les droits de son gendre.

Un autre signe qu’il s’agit de Michel est qu’il lui donne un profond désir des choses de Dieu, au point que la fin d’une apparition cause à Jeanne une grande douleur : « Et quand ils partaient [Michel est accompagné de saint Gabriel, saintes Marguerite et Catherine et de nombreux anges], je pleurais ; j’aurais voulu qu’ils m’emportassent avec eux. » Par contre, jusque dans sa prison, sa présence est un grand réconfort. De l’aspect de Michel, Jeanne dira que c’est celui d’un « très vrai prud’homme » et qu’il parlait « le parler des anges ».

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Minutes françaises des interrogatoires de Jeanne la Pucelle.


En complément

  • Pierre Tisset et Yvonne Lanhers, Procès de condamnation de Jeanne d’Arc, Duparc, 1960-1971.

  • Pierre Duparc, Procès en nullité de Jeanne d’Arc, Klincksieck, 1977. Un article compte-rendu est disponible en ligne .

  • Jean-Baptiste-Joseph Ayroles, La Vraie Jeanne d’Arc, 1890 (réédité aux Éditions Saint-Rémi).

  • Anne Bernet, Enquête sur les anges, réédition Artège, 2023.

  • Jacques Trémolet de Villers, Le procès de Jeanne d’Arc, Les Belles Lettres, 2016.

  • Jacques Olivier, Le Prophétisme politique et ecclésial de Jeanne d’Arc, Le Cerf, 2021.

  • Dominique Le Tourneau et Pascal-Raphaël Ambrogi, Dictionnaire encyclopédique de Jeanne d’Arc, Desclée de Brouwer, 2010.

  • Le débat organisé par 1 000 raisons de croire : « Jeanne d’Arc, voix du Ciel ou troubles mentaux ? » et la synthèse qui en fut faite.

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