
Walsingham, « Nazareth anglais »
En 1061, la Vierge Marie apparaît à deux reprises à une aristocrate, Richeldis (ou Richild) de Faverches, veuve du seigneur de Walsingham, dans le Norfolk. L’apparition lui montre en vision la maison qu’habitait jadis la Sainte Famille à Nazareth et lui demande d’en faire construire une réplique. La voyante obéit. Bientôt sorti de terre, ce bâtiment est connu sous le nom de « Sainte Maison ». Un pèlerinage régional se développe rapidement et une chapelle est édifiée. Quelques années plus tard, Geoffroy, le fils de Richeldis, entreprend la construction d’un vaste prieuré, qu’il confie aux chanoines réguliers de Saint-Augustin. Le pèlerinage et la dévotion à Notre Dame de Walsingham ont perduré jusqu’à aujourd’hui, rassemblant des milliers de croyants, catholiques, anglicans et orthodoxes.
Les raisons d'y croire
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Depuis les premiers siècles, les chrétiens ont vénéré les lieux liés à la vie du Christ et de la Vierge. Parmi eux, la maison de Nazareth occupe une place particulière comme symbole de l’Incarnation et du mystère de la Sainte Famille. La demande que la Vierge adresse à Richeldis s’inscrit donc dans une véritable tradition spirituelle, et la construction d’un tel lieu à Walsingham est loin d’être absurde ou isolée. Cette dévotion trouve d’ailleurs un écho manifeste dans le sanctuaire de Lorette, en Italie, où l’on vénère depuis le XIIIe siècle laSanta Casa.
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Les apparitions mariales en Angleterre sont rares, en tout et pour tout une petite dizaine depuis le Xe siècle. La tradition les concernant est ancienne et continue depuis plus de 950 ans. Cette constance à travers les siècles, et malgré les destructions pendant la Réforme, est un signe de sa crédibilité. Le sanctuaire a toujours surmonté les aléas de l’histoire : concurrence d’autres pèlerinages, destructions des soldats anglicans au XVIe siècle, climat d’indifférence religieuse du XXe siècle…
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À Walsingham, la foi et la dévotion se sont rapidement enracinées autour de ce lieu, et un pèlerinage s’est développé immédiatement après la vision. Le sanctuaire de Walsingham devient un lieu de pèlerinage majeur en Angleterre, rivalisant avec Canterbury. Il serait stupéfiant qu’un tel pèlerinage, qui rassemblait des milliers de personnes jusqu’en 1538 (année de la destruction du prieuré par les troupes d’Henri VIII), fût la conséquence d’un mensonge ou d’une illusion d’optique.
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La vie de la voyante est un témoignage authentique et édifiant de foi au quotidien : obéissance au clergé, charité permanente aux plus démunis, prière continue. La piété de Richeldis de Faverches est une louange adressée à Dieu.
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Plusieurs récits bien attestés relatent un miracle qui fit grand bruit en Angleterre : peu après les deux apparitions de la Vierge, des pèlerins remarquèrent la présence de deux sources « jaillies miraculeusement » dans le sanctuaire, et des guérisons inexpliquées furent notées à la suite de la consommation de cette eau.
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Les enquêtes canoniques en bonne et due forme menées sur les lieux d’apparition, comme nous les connaissons aujourd’hui, n’existent que depuis le début du XIXe siècle. Ainsi, il n’existe pas de documentation de ce type pour les deux apparitions de Walsingham en 1061. Cependant, l’ampleur et la vivacité du sanctuaire sont perçues comme un signe de reconnaissance implicite.
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De plus, l’accord et le soutien du clergé se sont manifestés à plusieurs reprises et de différentes façons au cours des siècles. En 1934 par exemple, le cardinal-archevêque de Westminster, Mgr Francis Bourne, déclare Walsingham sanctuaire national. Le Saint-Siège n’a jamais manqué non plus d’honorer le sanctuaire : la statue de la Vierge à l’Enfant est couronnée sur décision du pape Pie XII le 15 août 1954, et l’église est érigée au rang de basilique mineure en 2015.
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Le récit le plus complet vient d’un texte appelé The Pynson Ballad, publié vers 1460-1485. Ce texte relate les visions, la construction de la chapelle, etc. L’absence de documentation détaillée aux XIe et XIIe siècles n’est pas choquante pour le Moyen Âge, car la transmission orale des événements y jouait un rôle infiniment plus important que l’écrit, le nombre des personnes sachant lire et écrire étant portion congrue. La charte fondatrice de la chapelle de Walsingham existe bel et bien, dans laquelle Geoffrey de Faverches donne à Dieu, à sainte Marie et à Edwin, son clerc, « la chapelle que ma mère a fondée à Walsingham en l’honneur de la Vierge Marie éternelle ».
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Les fruits spirituels associés à Walsingham sont un argument additionnel en faveur de la véracité de l’apparition : guérisons, prières exaucées, conversions et vocations, tant sacerdotales que religieuses, sont enregistrées en nombre au fil du temps, attestant de la présence de Marie pour les croyants se rendant à Walsingham dans un esprit de prière et de pénitence.
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Walsingham est aujourd’hui l’un des rares sanctuaires marials partagés entre catholiques, anglicans et orthodoxes. Cette unité spirituelle vient de sa véracité profonde.
En savoir plus
En 1061, cinq ans avant la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, Richeldis de Faverches, aristocrate issue sans doute d’une famille d’origine normande et veuve du seigneur local, a deux apparitions consécutives de la Vierge Marie à Walsingham, petite ville prospère du Norfolk.
La Vierge lui montre la maison dans laquelle vécut autrefois la Sainte Famille, à Nazareth, et l’emplacement précis où elle reçut la visite de l’ange Gabriel. L’apparition lui demande de faire construire une réplique de cette maison à Walsingham. Aisée et pieuse, Richeldis se met immédiatement en quête des futurs responsables de ce chantier. Le bâtiment sort peu après de terre. Ce sera la « Sainte Maison » (« Holy House »), origine et cœur du futur sanctuaire anglais. Dans les décennies suivantes, Walsingham est désignée comme la « petite Nazareth anglaise ».
Anticipant sa mort, la voyante a laissé des instructions à son fils, Geoffroy, pour l’avenir des lieux. Celui-ci va se révéler un excellent entrepreneur et administrateur. Un prieuré flambant neuf est inauguré par les autorités civiles et religieuses du Norfolk. Il est ensuite confié aux chanoines réguliers de Saint-Augustin entre 1146 et 1174.L’administration des lieux et l’accueil des pèlerins par leurs soins prouvent la haute importance du sanctuaire aux yeux de l’Église catholique d’Angleterre à partir du XIIe siècle. À l’époque, le sceau du prieuré représente la Vierge Marie assise avec l’Enfant Jésus, avec la prière tirée des paroles de l’ange Gabriel lors de l’Annonciation ( Lc 1,28 ) : « Ave Maria Gratia Plena Dominus Tecum » (« Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous »).
Le clergé et les autorités civiles accordent leur soutien au pèlerinage, qui connaît un engouement extraordinaire. Plusieurs rois anglais y viennent en pèlerinage : Henri III vers 1226, Édouard Ier († 1307) une douzaine de fois, Édouard II en 1315, Édouard III en 1361, puis Henri VI en 1455, Henri VII en 1487 et même Henri VIII en 1511, avant la Réforme et la destruction du prieuré. Pieux catholique dans son enfance, il vouait un culte sincère à Notre Dame de Walsingham…
En 1538, le prieuré, mais aussi la réplique de la maison de l’Annonciation, construite selon la vision de Richeldis, est entièrement détruit. La célèbre statue de Notre Dame de Walsingham, vénérée par les pèlerins depuis des siècles, est emportée à Londres et brûlée publiquement à Chelsea. Tous les biens du sanctuaire (terres, richesses, objets liturgiques) sont confisqués par la Couronne. Le pèlerinage est interdit. Le flux de pèlerins, autrefois immense (Walsingham rivalisait avec Canterbury), s’interrompt brutalement.
L’accès au lieu saint est supprimé et la dévotion populaire est réprimée. Il devient dangereux, voire illégal, de continuer à manifester une piété mariale publique. Walsingham, symbole fort de la dévotion mariale et de la fidélité à Rome, devient un exemple de la purge religieuse.
Malgré l’interdiction, la mémoire de Notre Dame de Walsingham reste vivante dans le cœur du peuple, notamment chez les catholiques restés fidèles à Rome. Des formes de culte clandestin ou domestique persistent. La dévotion mariale devient un acte de résistance religieuse, marquant une forme d’identité catholique souterraine.
En 1850, profitant d’une redécouverte de la piété mariale en Angleterre, les évêques catholiques d’Angleterre décident de reconstruire le sanctuaire de façon à mieux accueillir et encadrer les pèlerins. Ils sont aidés – c’est un fait de grande importance – par les évêques anglicans, qui voient en Walsingham un espace de renouveau de la foi chrétienne dans cette partie de l’Europe.
Dès lors, le sanctuaire retrouve la voie du succès. On s’y rend de toute l’Angleterre, d’Irlande, mais aussi des pays continentaux et d’Amérique du Nord. Un vrai mouvement œcuménique est lancé autour de cette dévotion. Des conversions et des guérisons inexplicables, ainsi que différentes vocations sacerdotales et religieuses, sont enregistrées.
Depuis le XIXe siècle, les papes n’ont jamais manqué d’exprimer leur attachement au sanctuaire britannique. Dès le 6 février 1897, le pape Léon XIII publie un décret bénissant l’image de Notre Dame de Walsingham. En 1954, le pape Pie XII autorise également le couronnement de la statue de la Vierge, geste public reconnaissant l’authenticité et la fécondité des lieux. Jean-Paul II a vénéré l’image à son tour le 29 mai 1982 lors de la messe de la Pentecôte, dans le stade de Wembley. Le pape François a élevé le sanctuaire au rang de basilique mineure en 2015, offrant au sanctuaire une dimension universelle.
C’est une réalité : le nombre des pèlerins, catholiques comme anglicans, augmente de manière régulière depuis le début du XXe siècle et, aujourd’hui, le sanctuaire Notre-Dame de Walsingham est considéré comme l’un des principaux sanctuaires mariaux d’Europe.
Il y a aujourd’hui trois lieux de culte différents au sein du sanctuaire, chacun correspondant à une confession chrétienne (catholique, anglicane et orthodoxe), les fidèles s’unissant dans la foi et la prière lors des pèlerinages.
Patrick Sbalchiero, membre de l’Observatoire international des apparitions et des phénomènes mystiques.
Au delà
La dévotion à Notre Dame de Walsingham s’est largement répandue en Amérique du Nord, à la fois parmi les catholiques et les protestants. Un sanctuaire épiscopal Notre-Dame-de-Walsingham est situé à Grace Church, dans le Wisconsin, et sa branche catholique se trouve à Williamsburg, en Virginie. La paroisse orthodoxe de Mesquite (Texas) porte aussi le nom de « Notre-Dame-de-Walsingham ».
Aller plus loin
Bill Flint, Edith the Fair: Visionary of Walsingham, Gracewing, 2015.
En complément
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John Rayne-Davis et Peter Rollings, Walsingham : England’s National Shrine of Our Lady, Londres, St Pauls Publishing, 2010.
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Patrick Sbalchiero, « Walsingham (Angleterre) », dans Dictionnaire des « apparitions » de la Vierge Marie, sous la direction de Mgr René Laurentin et de Patrick Sbalchiero, Paris, Fayard, 2007, p. 1005.
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Jean Ladame, Notre-Dame de toute l’Europe, Résiac, 1984, p. 35-40.
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W. J. Walsh, The Apparitions and Shrines of Heaven’s Bright Queen in Legend, Poetry ad History. From the Earliest Ages to the Present Time, New York et La Nouvelle-Orléans, 1904, 4 tomes.
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D. Erasmus, Pilgrimages to Saint Mary of Walsingham and Saint Thomas of Canterbury, (écrit en 1526, et publié à Londres, en anglais, 1875).
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L’article tiré de l’Encyclopédie mariale : « Walsingham, Nazareth anglais ».