
Saint Serge de Radonège, père du monachisme russe
Saint Serge de Radonège († 1392) est une figure majeure de la spiritualité orthodoxe, également reconnu comme saint par l’Église catholique romaine et l’Église anglicane. Patron des élèves et de l’enseignement, il est le fondateur de plusieurs monastères et incarne la renaissance du monachisme communautaire en Russie. Ces monastères sont rapidement devenus des centres d’enseignement et de rayonnement spirituel, en particulier le monastère de la Sainte-Trinité, qui abrite aujourd’hui l’Académie théologique de Moscou.
Les raisons d'y croire
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Contrairement à ses frères, qui apprenaient aisément, Serge est confronté dans son enfance à de grandes difficultés d’apprentissage. Or, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est essentiel à la vie spirituelle et ecclésiale. Au lieu de se révolter ou de se résigner, l’enfant se tourne vers Dieu avec foi, humilité et prière. Se produit alors une transformation intérieure : ses limites deviennent le lieu même de l’action de la grâce divine, là où se révèle la puissance du Christ. L’enfant devient capable de lire, de comprendre et d’interpréter les Écritures avec facilité.
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Sa vie de prière, d’humilité, de jeûne et de service fraternel témoigne de la présence réelle du Christ dans la vie de ceux qui se donnent entièrement à lui. Saint Serge fonde le monastère de la Sainte-Trinité, qui devient un centre spirituel majeur, et où son exemple suscite de très nombreuses vocations religieuses. Mais, s’il n’a jamais cherché les honneurs, sa sainteté rayonne au point d’attirer des foules. Cette lumière ne vient pas de lui, mais de la vérité du Christ.
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De nombreux miracles sont rapportés pendant et après sa vie. Ces manifestations, souvent discrètes, témoignent de la présence agissante de Dieu à travers son serviteur. Plusieurs récits parlent de guérisons miraculeuses obtenues par sa prière, de son don de clairvoyance et de protection surnaturelle (lors de périodes de famine ou d’invasions, le monastère est parfois mystérieusement épargné).
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Après sa mort, le 25 septembre 1392, son tombeau devient un lieu de pèlerinage et d’intercession. Des malades y sont guéris, des âmes y retrouvent la foi, des vocations y naissent.
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La fécondité spirituelle de saint Serge est durable ; elle renouvelle le monachisme et inspire des générations entières, même au-delà de la Russie. Son monastère, la laure de la Sainte-Trinité, devient le cœur spirituel de la Russie. Tout cela n’est pas seulement dû à la mémoire d’un homme vénéré : c’est la présence du Christ vivant à travers son héritage, et une preuve que la vie en Christ porte du fruit, bien au-delà de la personne elle-même.
En savoir plus
Né à Rostov-le-Grand, soit en 1314 soit en 1322 (les sources hagiographiques et historiques divergent sur la date exacte), Barthélemy – tel est son prénom de baptême – grandit dans une principauté indépendante située au nord de Moscou. Avec ses deux frères, Stéphane et Pierre, il entame son apprentissage dans un contexte culturel singulier. En effet, la ville de Rostov, influencée par la tradition grecque, possède une importante bibliothèque comprenant des ouvrages en slavon mais aussi en grec. La liturgie locale est bilingue, et plusieurs figures spirituelles séjournent à Rostov pour étudier, comme saint Étienne de Perm.
C’est dans ce cadre intellectuel riche que le jeune Barthélemy rencontre cependant de grandes difficultés scolaires, contrairement à ses frères. Était-il dyslexique ? Nous ne pouvons l’affirmer, mais ses difficultés d’apprentissage l’amènent déjà à rêver d’une vie monastique solitaire, moins dépendante du savoir livresque. Vers l’âge de douze ans, il commence à jeûner de manière rigoureuse, au point d’inquiéter sa mère.
Deux traditions hagiographiques expliquent sa transformation : selon l’une, Barthélemy fait une rencontre mystique avec un moine inconnu qui le bénit et l’aide à apprendre à lire ; selon l’autre, c’est l’amour profond pour l’Écriture qui le pousse à surmonter ses difficultés. Quoi qu’il en soit, cette étape marque un tournant spirituel décisif.
Chassée par la menace tatare et accablée par la pauvreté provoquée par les ravages de la Horde d’or, la famille est contrainte de fuir vers Radonège. Après la mort de ses parents, Barthélemy se retire avec son frère aîné, Stéphane, dans la forêt. Ils y vivent en ermites, entourés des loups et des ours, et y construisent une chapelle dédiée à la Sainte Trinité.
Mais la vie dans la forêt est rude. Stéphane, découragé, quitte l’ermitage, sans pour autant quitter l’Église : il devient prêtre. Barthélemy, désormais seul, poursuit sa vocation. Il devient moine sous le nom de Serge et est tonsuré par Mitrophane un 7 octobre (selon les sources, en 1337 ou en 1342).
Très vite, des disciples viennent le rejoindre. Serge fonde une petite communauté de douze moines, vivant chacun en ermite mais se réunissant pour la liturgie dominicale. Leur mode de vie simple, austère et centré sur la prière attire l’attention. Entre 1364 et 1376, la réforme monastique cénobitique venue de Constantinople impose une vie communautaire plus structurée. Une tension s’installe : les frères refusent que Serge devienne higoumène (lesupérieur du monastère, dans la tradition chrétienne orientale). Dans la nuit, il quitte le monastère et rend visite à un ancien compagnon, le moine Stéphane de Mahrishchi. Celui-ci, en signe d’humilité, s’incline devant Serge et lui propose de prendre sa place d’higoumène. Confus et bouleversé, Serge décline.
Malgré son désir profond de solitude, Serge ne cesse d’attirer des disciples. À chaque fois qu’un groupe devient suffisamment stable, il laisse un higoumène sur place et repart plus loin dans la forêt. C’est ainsi qu’il a, presque malgré lui, fondé ou inspiré la fondation de nombreux monastères. On recense plus de cinquante de ses disciples devenus eux-mêmes higoumènes.
Par son humilité, sa sagesse spirituelle et son rejet des honneurs, saint Serge est devenu, sans l’avoir cherché, le père du monachisme russe. À travers lui, c’est toute une renaissance du monachisme communautaire qui s’enclenche en Russie, faisant des monastères des foyers de prière, de culture et de résistance spirituelle face aux tumultes de l’histoire.
Yustina Panina, théologienne orthodoxe.
Au delà
Le rayonnement de saint Serge ne s’est pas limité à la Russie, mais atteint notamment Paris où, au début du XXe siècle, est fondée une école de théologie orthodoxe qui porte son nom. Elle est alors l’école de théologie du monde orthodoxe la plus réputée.
Aller plus loin
Sofia Moniale, La Vie de saint Serge de Radonège, Éditions Bénédictines, 2009.
En complément
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Louis Beroud, Serge de Radonège. Au miroir de l’âme russe, Desclée de Brouwer, 2013.
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Pierre Gonneau, À l’aube de la Russie moscovite. Serge de Radonège et André Roublev, Institut d’études slaves, 2007.
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Dans l’encyclopédie Britannica, l’article « Saint Sergius of Radonezh ».
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Le manuscrit de Pachomius le Serbe, Life of St. Sergius, peut être consulté en ligne .