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Une vague de charité unique au monde
Canada, XIXe siècle
Nº 752
1800 – 1851

À Émilie Gamelin, il ne reste que le Bon Dieu

Émilie Gamelin, née Tavernier à Montréal en 1800, connaît très tôt l’épreuve : orpheline de mère puis de père dans son enfance, elle perd ensuite ses trois enfants en bas âge et devient veuve. Loin de s’enfermer dans sa douleur, elle choisit de se donner aux nécessiteux : pauvres, vieillards, malades, orphelins, prisonniers. Sa maison devient un refuge de miséricorde. En 1843, à l’appel de Mgr Bourget, elle fonde les Sœurs de la Providence, un ordre qui est à l’origine du premier réseau structuré d’aide sociale au Canada. En entrant dans la vie religieuse, elle remet son œuvre et son avenir entre les mains de l’Église, acceptant avec confiance ce nouveau dépouillement : « Il ne me reste que le bon Dieu. » Elle meurt du choléra, contracté auprès des malades qu’elle servait, le 23 septembre 1851, et elle est béatifiée en 2001.


Les raisons d'y croire

  • Profondément éprouvée par la perte de son mari et de ses enfants, voilà madame Gamelin à un dur tournant de sa vie. Elle est seule, souffre et se demande ce que veut le Seigneur. Veuve à vingt-sept ans, riche de l’héritage de son époux et en possession de tous ses charmes, Émilie pourrait très bien refaire sa vie. Les prétendants d’ailleurs ne manquent pas, mais un retournement totalement imprévisible s’accomplit chez elle : Émilie engage l’entièreté de son temps, ses biens matériels et toute sa personne pour ceux qui sont dans le besoin.

  • La souffrance et le deuil entraînent naturellement le repli sur soi, la révolte ou la perte de sens. Mais, au lieu de tout cela, Émilie choisit de répondre à la souffrance par une charité débordante, en se consacrant totalement au service des pauvres, des malades, des personnes âgées et des aliénés. Prière et contemplation transforment peu à peu la jeune veuve : « Mon mari, mes enfants, ce seront désormais les pauvres. » Elle ne fait pas cela pour suivre un plan social ou politique : elle estime simplement répondre à ce que Dieu lui met sous les yeux.

  • Sur le conseil de son confesseur, elle se rapproche spirituellement de la Vierge Marie et développe envers elle, Notre Dame des douleurs, une profonde dévotion, qui va la nourrir et l’accompagner toute sa vie. Émilie trouve en elle une mère, un modèle et une compagne de route. « C’est auprès de Marie au pied de la croix que j’ai tout appris. Elle m’enseigne à souffrir sans me plaindre, à aimer même dans le vide, à me donner sans mesure. » Un concept théorique n’aurait certainement pas pu être une source si efficace de consolation et d’apprentissage. Ce qu’Émilie Gamelin accomplit – son engagement auprès des plus pauvres, sa fidélité au milieu des deuils, sa force dans la souffrance – ne s’explique pas par un idéal psychologique abstrait, mais par des grâces réelles et concrètes, reçues dans la prière.

  • Émilie ne se contente pas de venir en aide aux pauvres : elle les aime comme le Christ les aime. Elle ouvre sa maison, partage tout, soigne les plus délaissés, vit avec eux et voit en chaque miséreux le visage de Dieu. Elle rend visible ce que dit l’Évangile : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait » ( Mt 25,40 ). Sa charité est désintéressée, radicale, joyeuse – ce qui dépasse les simples élans humains.

  • Elle vit ainsi une vie de laïque consacrée, ce qui lui convient très bien. Quand Mgr Bourget lui propose de devenir religieuse pour organiser et étendre son œuvre dans un cadre religieux officiel, elle doit reconsidérer toute l’organisation de son existence, ce qu’elle consent à faire pour obéir à l’appel de Dieu. Elle devient donc novice à quarante-trois ans, puis est élue première supérieure des Sœurs de la Providence. La transformation de ses habitudes et l’abandon de son indépendance ne se fait pas sans douleurs et renoncements, mais elle accepte pourtant, ce qui dépasse largement les forces humaines privées de la grâce de Dieu.

  • Après ses deuils difficiles, Amélie Gamelin a vécu au quotidien dans la proximité des souffrances physiques et psychiques les plus extrêmes. Et pourtant, elle garde une foi inébranlable, un sourire, une bonté constante. Sa vie témoigne donc que l’amour chrétien donne sens même à la plus grande douleur. Elle incarne la promesse du Christ : « Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés » ( Mt 5,4 ). Le Christ ne supprime pas la croix, mais la traverse avec les hommes et permet de transfigurer la souffrance en fécondité.

  • L’Église a enquêté et reconnu un miracle attribué à l’intercession d’Émilie Gamelin, ce qui a permis sa béatification. Il s’agit de la guérison d’un jeune garçon du Québec, Yannick Fréchette. Il souffrait initialement d’une leucémie aplasique aiguë (maladie de la moelle osseuse qui empêche la production normale des cellules sanguines). La greffe rejetée et les complications graves font donner aux médecins un pronostic désespéré. La famille, plusieurs proches, ainsi que les Sœurs de la Providence, invoquent l’intercession d’Émilie Gamelin pour Yannick, qui sera finalement complètement guéri juste avant Noël 1983.


En savoir plus

Émilie Tavernier naît à Montréal le 19 février 1800, dans une famille modeste et profondément croyante. Très tôt, la souffrance s’invite dans sa vie : sa mère meurt alors qu’elle n’a que quatre ans, et c’est son père qui l’élève dans une foi simple, nourrie par la prière et le service des pauvres. Jeune fille, Émilie montre déjà un cœur compatissant et nourrit un grand intérêt pour la vie en religion, sans que cela se concrétise.

À vingt-trois ans, à la surprise de son entourage, elle épouse Jean-Baptiste Gamelin, un homme de cinquante ans, aisé et engagé dans des œuvres de bienfaisance. Leur union est paisible, empreinte de foi et ouverte aux autres. Mais, en quelques années, Émilie est frappée par une série de deuils foudroyants : elle perd tour à tour ses trois enfants en bas âge, puis son époux. Il lui laisse à charge un jeune handicapé mental qu’il avait recueilli, en lui confiant avant sa mort : « Prends soin de lui en souvenir de notre amour. » À vingt-sept ans, Émilie est esseulée et marquée au plus profond de son être.

Là où beaucoup s’effondreraient, elle choisit une autre voie : la charité radicale. Elle fait de son deuil une offrande. Elle ouvre sa maison aux vieillards abandonnés, aux femmes seules, aux malades mentaux. Peu à peu, des gens viennent l’aider, s’inspirer de son exemple. Elle ne suit pas de plan social ou politique : elle répond simplement à ce que Dieu lui met sous les yeux, dans une foi lumineuse, joyeuse, concrète. La jeune veuve vend une partie de ses immeubles pour subvenir aux besoins des pauvres par l’aumône et les œuvres de charité, et elle ouvre des refuges. Le choléra des années 1832 à 1834 leur amène de nombreux infirmes. Après l’insurrection de 1837 (série de soulèvements armés contre l’autorité coloniale britannique), Émilie s’empresse de visiter aussi les nombreux détenus politiques pour les réconforter.

Elle vit une vie en dehors d’un cadre religieux officiel, mais profondément enracinée dans la prière, la messe quotidienne et la direction spirituelle. À cette époque, on parle de « vie active de dévouement chrétien », inspirée des œuvres de miséricorde. Elle construit un mode de vie propre, en tant que veuve consacrée à Dieu et aux pauvres, sans habit ni vœux. C’est alors que l’évêque de Montréal, Mgr Bourget, propose à Émilie de fonder une congrégation religieuse. Elle hésite. Elle ne s’est jamais sentie faite pour les structures canoniques, et elle aime la liberté du service spontané. Mais, dans l’abandon à Dieu, elle accepte. Elle entre au noviciat, prononce ses vœux un an plus tard, et devient la première supérieure des Sœurs de la Providence.

Les œuvres de la jeune communauté prennent rapidement de l’ampleur un peu partout à Montréal, tant les besoins sont criants. Mère Gamelin ouvre des hospices, des maisons pour les malades mentaux, les sourdes-muettes, les orphelins, les prêtres âgés et les infirmes, et même des écoles. Les sœurs visitent aussi à domicile des pauvres et des malades, sans oublier les prisonniers.

Pourtant, cette nouvelle étape n’est pas sans croix. Elle souffre intérieurement de voir son œuvre peu à peu reprise et dirigée selon des décisions qui ne sont plus les siennes. Elle obéit, silencieuse, parfois blessée, mais toujours fidèle. Ce dépouillement total final devient le sommet de son témoignage. Émilie meurt du choléra en 1851, à cinquante et un ans, épuisée, mais comblée de l’amour qu’elle a semé. Sur son lit de mort, elle exhorte ainsi ses sœurs : « Humilité, simplicité et charité. Par-dessus tout, la charité. »

Son œuvre se poursuit aujourd’hui sur plusieurs continents. En 2001, elle est proclamée bienheureuse par Jean-Paul II, signe que l’Église reconnaît en elle une vie profondément évangélique.

Sophie Stevenson, normalienne diplômée en histoire.


Aller plus loin

André-Marie Cimichella, Emilie Tavernier Gamelin: The Great Lady of Montreal, Foundress of the Sisters of Providence, Carte Blanche, 2002.


En complément

  • Denise Robillard, Émilie Tavernier-Gamelin, Éditions du Méridien, 1988. Biographie approfondie signée par une historienne, docteure en sciences religieuses.

  • Thérèse Frigon, s.p, Mère Gamelin, femme de compassion, publiée par les Sœurs de la Providence, 1984. Étude historique et biographique, disponible en français, en anglais ou espagnol.

  • Jean-Guy Dubuc, Mère Émilie Gamelin, la meilleure amie des pauvres, Éditions du Signe, 2002.

  • Dans la rubrique Un saint, un miracle, un article sur la guérison de Yannick Fréchette.

  • La biographie de la bienheureuse est disponible sur le site Internet du Vatican, ainsi que l’homélie prononcée pour sa béatification, le 7 octobre 2001.

  • Les informations disponibles sur le site Internet de la congrégation : Les Sœurs de la Providence .

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