
Les fraises de Thérèse Rondeau (+1866)
En 1818, à la demande de son confesseur jésuite, une jeune repasseuse lavalloise accepte de fonder une « miséricorde », autrement dit un asile pour les femmes qui veulent quitter le trottoir ou une vie de désordre. En dépit des grandes difficultés financières et sociales auxquelles Thérèse Rondeau va durablement se heurter, la Providence veille sur cette œuvre qui arrachera des centaines de femmes malheureuses à une vie misérable. Tenue pour une sainte par tous ceux qui l’ont connue, mère Thérèse Rondeau, par son total abandon à Dieu, arrachait parfois de petits miracles au Ciel. Tel le jour où elle fit pousser des fraises pour adoucir les derniers instants d’une fillette. Thérèse Rondeau meurt le 16 juillet 1866.
Les raisons d'y croire
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Les compagnes qui fondent avec Thérèse la congrégation Notre-Dame de la Miséricorde sont témoins de sa prodigieuse confiance en Dieu qui va lui permettre, en remettant tout entre les mains de la Providence, d’accomplir sans un sou d’improbables prodiges. C’est pourquoi elles prennent tôt l’habitude de noter non seulement les faits et gestes de la supérieure, mais aussi les événements étonnants qui se produisent régulièrement dans sa vie et ressemblent à des miracles.
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Très gênée de cette réputation de thaumaturge, mère Rondeau, quand elle s’en aperçoit, demande que soient détruits ces recueils de fioretti. Ils sont aussitôt reconstitués par ses proches. Nous sommes donc assurés de l’authenticité de ces événements par les nombreux témoins variés qui les constatent, ébahis, et par l’humilité de Thérèse Rondeau, qui fuit cette notoriété.
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Destinée à l’origine à recueillir des prostituées repenties, la Miséricorde se diversifie au fil du temps, finissant par héberger toutes les femmes, jeunes filles et fillettes qui frappent à sa porte. Vers 1860, la maison reçoit une jeune fille d’une quinzaine d’années prénommée Marie-Claire, que sa belle-mère accuse d’être un « monstre de méchanceté ». Il s’avère très vite qu’il n’en est rien. Marie-Claire s’épanouit à la Miséricorde, où elle souhaiterait rester, tout en sachant que sa famille refusera et la reprendra quand elle aura dix-huit ans, le 21 mai 1864. L’approche de cette date la terrifie tellement qu’elle prie saint Stanislas Kotska, jeune saint polonais qu’elle vénère, mort à dix-huit ans, d’obtenir de Dieu qu’elle ne vive pas plus vieille. Effectivement, à l’automne 1863, Marie-Claire tombe malade. En mai 1864, les médecins la tiennent pour perdue et elle s’en réjouit, affirmant « qu’elle se serait perdue dans le monde » si sa famille l’avait reprise.
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Dans l’espoir de la guérir, Thérèse cherche à lui redonner de l’appétit et lui propose, pour son anniversaire, de lui faire des fraises au vin sucré. Il y a du vin et du sucre à la cuisine, et elle pense que le jardin de la maison fournira les fruits. Hélas, le printemps 1864 ne le permet pas : il pleut, il fait froid et tous les fruits de saison ont plusieurs semaines de retard. Thérèse a beau fouiller le potager, retourner les feuilles de tous les plans de fraisiers, elle ne trouve que des embryons de fruits verts qui ne mûriront pas de sitôt… Mais Thérèse se refuse à priver la mourante du dessert qu’elle lui a promis : elle va alors se planter devant la statue de Notre Dame, qui veille sur la maison, et lui réclame des fraises pour Marie-Claire. Elle récite « deux ou trois Ave » ; cela ne lui prend donc pas plus de quelques minutes.
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Thérèse retourne au potager et recommence, comme elle vient déjà de le faire, de parcourir les plates-bandes en battant les buissons de fraisiers. Or, dès le premier plan qu’elle retourne, elle découvre une énorme fraise, mûre à point, d’un rouge éclatant, sucrée, d’un goût et d’une taille exceptionnels, digne d’un concours agricole, comme le jardin n’en a jamais produit et n’en produira jamais plus. Elle va ainsi en trouver huit, plus belles les unes que les autres ; largement de quoi faire le dessert annoncé.
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Toute la maison est témoin du prodige, les religieuses comme les femmes qu’elles ont recueillies. Tout le monde peut affirmer qu’il n’y avait aucun fruit dans le jardin et que l’on n’en trouve aucun dans le voisinage ni chez les commerçants de la ville.
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Il faut noter que mère Thérèse, capable de se faire approvisionner en fraises par la Sainte Vierge, ne réclame pas un miracle de guérison, elle qui en opère parfois. C’est parce que, pleine d’espérance, elle est convaincue que Marie-Claire sera plus heureuse dans l’autre monde que dans celui-ci et qu’elle aura assuré son salut éternel, seule chose qui importe.
En savoir plus
Née à Laval le 6 octobre 1793, très pieuse, élevée par des parents qui ont pris tous les risques sous la Terreur pour protéger les prêtres clandestins, Thérèse Rondeau espère entrer comme converse chez les Dames du Sacré-Cœur de la mère Barat.
Mais Dieu en décide autrement. À la mort accidentelle de son père, elle doit prendre en charge sa mère et son petit frère, de vingt ans son cadet. Contrainte de rester à Laval et de faire vivre les siens avec son salaire de repasseuse, Thérèse, qui se dévoue en sus à diverses œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles, se voit proposer par un nouveau confesseur jésuite de l’aider à fonder une « miséricorde », un refuge pour filles perdues.
Bien que la prostitution choque cette jeune fille très chaste et que l’aide qu’elle apporte aux prostituées fasse d’elle désormais la victime des calomnies de la ville, y compris du clergé, Thérèse, désormais certaine que Dieu l’appelle à cette tâche, en dépit de difficultés innombrables, de la misère, du froid, de la faim, des insultes et d’une santé ruinée, va, jusqu’à sa mort, le 16 juillet 1866, se consacrer corps et âme à soulager la misère de centaines de femmes, mais surtout à rendre à ces « dévoyées », ces épaves de la vie, leur dignité de filles de Dieu, et leur assurer, à défaut du bonheur terrestre, la félicité éternelle.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Anne Bernet, La Voie de la miséricorde, Thérèse Rondeau, fondatrice de la communauté de sainte Faustine, Artège, 2023.
En complément
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Marc Nurit, Vie de la mère Thérèse Rondeau, fondatrice de la Miséricorde de Laval, 1869.
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Édouard Le Segretain du Pâtis, Vie de la Mère Thérèse, fondatrice de la Miséricorde de Laval, de celle de Quimper et de trois autres à l'étranger, Laval, Mary-Beauchêne, 1873.