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Les moines
Cluny (France)
Nº 636
906 – 994

Un abbé en prière pour son siècle : Mayeul de Cluny (+994)

Mayeul est surtout connu en tant que quatrième abbé de Cluny, siège qu’il occupe pendant pas moins de quarante ans, à partir de 954 et jusqu’à sa mort, le 11 mai 994. Avant son élection, il est déjà réputé pour son érudition et ses qualités de conseiller, et il met ses vertus au service de tous en tant qu’apocrisaire (représentant d’une autorité ecclésiastique). Il est ensuite élu abbé à l’unanimité des voix. Sous sa direction, le monastère connaît un essor spirituel et matériel remarquable. Mayeul réforme plusieurs abbayes en ce siècle florissant pour l’expansion de la règle bénédictine et l’essaimage des abbayes clunisiennes.


Les raisons d'y croire

  • Pendant son abbatiat, Mayeul écrit 959 chartes et titres afin de réformer les monastères qu’il visite selon la règle bénédictine. Ces écrits permettent aussi de recouper les informations rapportées sur sa vie par Syrus, dans Vita Maioli, et plus tard par Pierre le Vénérable, dans De miraculis, de sorte que, malgré l’ancienneté des événements, l’on connaît beaucoup de faits irréfutables.

  • Il entretient des relations avec les empereurs, les rois et les évêques, qui tous le consultent pour sa sagesse et sa droiture. Cependant, son humilité et sa simplicité monastiques n’en souffrent pas. Il fuit les honneurs et préfère la prière à toute forme de gloire humaine.

  • Lors d’une grande famine, touché par les gens qui viennent implorer son aide, il se met en prière, compatissant. En se relevant, il trouve une bourse remplie de sept pièces d’argent. S’assurant d’abord qu’elle n’appartient à personne, il la distribue aux pauvres sans rien garder pour lui.

  • Il rappelle souvent à ses frères les avertissements de saint Paul : « Recherchez la paix avec tous et la sainteté, sans laquelle nul ne verra Dieu. » Il dégage lui-même une telle sainteté qu’il suscite pour l’abbaye de Cluny beaucoup de nouvelles vocations religieuses, venues de toute l’Europe. Les gens le recherchent sans cesse pour lui demander son intercession, le toucher, lui demander des miracles.

  • En juillet 972, de retour d’Italie, il est fait prisonnier par des Sarrasins au sortir des Alpes, près de la Drance. Sa capture a toutes les chances de lui être fatale, mais il se confie, ainsi que son entourage, à la Sainte Vierge pour qu’elle les délivre. Au lendemain de sa prière, les otages sont libérés, car la rançon demandée a été payée. Il arrivera ensuite à temps à l’abbaye pour la fête de la Sainte Vierge, le 15 août. Plusieurs des gardiens musulmans qui l’ont côtoyé décident, à son exemple, de se faire chrétiens.

  • Dieu a guéri plusieurs fois en répondant aux prières que lui adressait Mayeul. De passage à Notre-Dame du Puy-en-Velay, un aveugle retient le cheval de Mayeul et lui tend la gourde d’eau qu’il porte autour du cou. Mayeul, pris de pitié, exorcise l’eau et l’applique sur les yeux du malade. Confiant, les yeux baignés de larmes, Mayeul invite ceux qui l’accompagnent à prier la Mère de Miséricorde. Avant la fin de la prière, l’aveugle retrouve la vue. Mayeul, profondément ému, reprend sa route après lui avoir dit : « Va en paix chez toi et raconte tout ce que la puissance de la bienheureuse Vierge Marie t’a fait. »

  • Parmi les miracles les plus marquants de Mayeul, on peut aussi retenir ceux, spectaculaires, des expulsions de démons. Jamais Mayeul ne les recherche ; ils arrivent à lui comme attirés par la lumière qu’il dégage. Un jour, Mayeul se trouve à Lyon lorsqu’une femme possédée « lui [est] amenée, retenue de force par plusieurs personnes ». Elle n’aurait pu se rendre elle-même jusqu’à lui dans son état. Elle se roule à terre, criant avec fureur, et ne peut être contenue par aucun lien. « Ceux qui l’avaient amenée », rapporte l’écrivain, sont donc convaincus de ce que peut accomplir Mayeul par sa foi. Personne n’ayant pu aider cette pauvre femme, ils le supplient. Mayeul, à nouveau, est « ému de compassion » et convoque son entourage pour prier la Sainte Vierge avec lui. Dans ce cas, la femme délivrée tombe « comme morte ». Quand elle retrouve ses sens, elle raconte « qu’une lumière éclatante l’avait soudain environnée ».

  • Beggon, évêque de Clermont, n’hésite pas à ériger un autel sur le tombeau de Mayeul, en y inscrivant : « Que le ciel couvre de tant de faveurs. »


En savoir plus

Mayeul (ou Maïeul) est né en Provence, vers 906, dans une famille noble d’Arles. Orphelin adolescent, il est confié à l’évêque de Mâcon, puis part étudier à Lyon. Doué dès son jeune âge pour les lettres, il reçoit une excellente éducation et choisit tôt de se consacrer à Dieu. Toute sa vie, il met son intelligence, avec sagesse et douceur, au service de Dieu et des autres. Au Moyen Âge, le culte de saint Mayeul revêt une importance considérable en Occident. La reconnaissance de ses vertus est attestée dès les premières années qui suivent sa mort, car, dès 996, le roi de France Hugues Capet se rend en pèlerinage à Souvigny sur son tombeau, de même que Robert le Pieux, roi de France quelques années plus tard. La bulle d’exemption délivrée par le pape Grégoire V le 22 avril 998 évoque « la bienheureuse mémoire de saint Mayeul » et constitue une sorte d’authentification de sa sainteté à cette époque. Il est connu et vénéré jusqu’en Italie, où une chapelle du monastère Sainte-Marie de Pavie est placée sous son vocable en 999, en mémoire de ses venues régulières lors de ses rencontres avec les grands d’Italie. Son culte se répand aussi jusqu’en Bretagne (Saint-Mayeux, Côtes-d’Armor), dans le Jura (Chapois) et le Lyonnais (Ternay, Rhône).

En 948, l’abbé Aymard de Cluny, vieux et aveugle, nomme Mayeul coadjuteur. Il accepte uniquement pour ne pas désobéir à son supérieur. Cependant, Aymard croit un instant que Mayeul ne respecte plus sa dignité d’abbé ; aussi le démet-il de ses fonctions devant le chapitre rassemblé. Mayeul lui obéit sans se justifier. Au contraire, il semble heureux d’être humilié publiquement. Aymard comprend alors combien Mayeul est peu attaché aux honneurs, et il démissionne de ses fonctions pour que celui-ci devienne abbé. Mayeul obéit à nouveau humblement.

En revenant de Rome, où le pape l’a appelé, Mayeul et son escorte sont pris en otage par des Sarrasins qui occupent le col du Grand-Saint-Bernard. Mayeul n’hésite pas, lors de cette capture mémorable, à s’interposer pour éviter qu’une flèche n’atteigne un de ses frères : il en gardera toute sa vie une blessure à la main. On réclame une somme astronomique (mille besants d’argent) en échange de sa libération. On saisit notamment par cet événement la portée politique du rôle de saint Mayeul auprès des papes et des empereurs, car l’empereur germanique Othon Ier et l’impératrice Adélaïde participent au paiement d’une partie de la rançon. Une mobilisation générale de la noblesse provençale, de même que des comtes chrétiens qui estiment l’abbé, appelle « au nom de Mayeul » à combattre les Sarrasins en Provence, ce qui mène à sa libération après la bataille de Tourtour en 973.

Enfin, au soir de sa vie, à quatre-vingt-huit ans, malgré sa grande fatigue et toujours animé du même esprit de service qui le caractérise, Mayeul répond à l’appel insistant du roi Hugues Capet de venir réformer l’abbaye de Saint-Denis. Mais il s’éteint en route le 11 mai 994, au prieuré de Souvigny, abbaye fondée par ses soins, où il est enterré. Le roi prend en charge ses funérailles. Cent ans après, en 1093, Urbain II élève de terre le corps du bénédictin pour l’exposer plus solennellement au culte des fidèles.Mayeul est le premier abbé de Cluny reconnu saint.

Un sanctuaire de la paix est officiellement érigé à Souvigny le 7 mai 2017 pour inviter les fidèles à la paix intérieure, à la paix en famille, et entre les religions, les peuples et les nations. À l’époque médiévale, le pèlerinage de Saint-Mayeul et Saint-Odilon – son successeur – comptait parmi les plus grands de l’Occident chrétien, avec ceux de Saint-Martin de Tours et Saint-Julien de Brioude, eux aussi sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle.

Les exactions de la Révolution française n’ont pas épargné Souvigny, vandalisant puis éparpillant en trois mille morceaux les deux tombes de saint Mayeul et de saint Odilon. Elles ne seront retrouvées qu’en l’an 2000 grâce à des recherches d’envergure, puis reconstituées avec leurs magnifiques gisants. Les reliques de saint Mayeul y sont également conservées et vénérées régulièrement à l’occasion d’ostensions ou de processions, et de nombreux miracles sont dénombrés, comme le mentionnent les archives clunisiennes, comme c’est encore le cas aujourd’hui dans ce sanctuaire.

Élisabeth de Sansal, pigiste.


Au delà

Face à l’humilité dont fait preuve saint Mayeul de Cluny, on a le sentiment de toucher du doigt le mystère de la foi en Dieu. Il est difficile d’être concis quand on parle de lui, surtout quand il s’agit de recenser tous les miracles obtenus par son intercession. Pierre le Vénérable, septième abbé de Cluny, n’a pas craint de dire « que, après la Sainte Vierge, il n’y avait aucun saint dans l’Europe qui eût fait plus de miracles que saint Mayeul ». Les miracles sont si parlants et si nombreux, tant de son vivant que post-mortem, qu’il vaut la peine de se pencher plus longuement sur sa vie exemplaire. Au-delà de son rôle politique extrêmement intéressant pour l’époque, cet abbé donne un témoignage vivant des vœux monastiques qu’il a professés : pauvreté, chasteté, obéissance. Habité par la prière continuelle et sans cesse tourné vers les autres, il nourrira des milliers de pauvres durant son abbatiat, parcourra des kilomètres sur les routes pour visiter les fondations filles de Cluny et y mener des réformes, ou encore pour conseiller des rois, des dignitaires épiscopaux ou le pape en personne.

Mayeul semble surpris chaque fois qu’une personne demande une grâce par son intercession. Il n’est pas faussement modeste, il cherche avant tout à purifier l’intention des personnes qui le suivent, vérifiant ainsi qu’elles adressent bien leurs demandes à Dieu : « Pourquoi me demandez-vous ce que je ne puis faire ? », répond Mayeul quand on lui amène un homme tourmenté par un démon. Puis, devant l’insistance de ses proches et profondément attristé pour lui, il se prosterne devant l’autel de la Vierge et prie avec tous les frères : « Mettez votre espoir dans la miséricorde de Dieu. Peut-être, par les mérites de la bienheureuse Marie, Mère de notre Rédempteur, votre fils obtiendra-t-il la délivrance. » Dans ce cas précis, le démon l’interpelle : « Pourquoi me tourmentes-tu, Mayeul, serviteur du Dieu vivant ? Tu m’obliges à quitter mon habitation ! » On constate également que toutes ces personnes guéries retrouvent la foi parfois perdue ou tiennent à rester au service de Mayeul pendant plusieurs jours, ou encore entrent dans les ordres… Les fruits de la grâce abondent.


Aller plus loin

Pierre le Vénérable, Livre des merveilles de Dieu (De miraculis), Jean-Pierre Torrell et Denise Bouthillier, Éditions du Cerf, avril 1992.


En complément

  • L’article d’Aleteia : «  Saint Mayeul, l’ami des papes et des rois  ».

  • Les Petits Bollandistes, Vies de saints, tome 5. Le chapitre sur saint Mayeul peut être lu en ligne .

  • Vita Maioli, manuscrit de Syrus (numérisé, mais en latin : Vita et officium sancti Maioli).

  • Léon Bourdon, Les Voyages de saint Mayeul en Italie. Itinéraires et chronologie, 1926. Des extraits peuvent être consultés en ligne .

  • Dominique Iogna-Prat, Agni immaculati. Recherches sur les sources hagiographiques relatives à saint Maieul de Cluny (954 – 994), Paris, 1988, p. 12, 39, 44, 79-80, 96-97, 198. p. 44, 79.

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