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Les martyrs
Berry (France)
Nº 635
878

Solange, martyre de la pureté (+878)

Ce pourrait être un banal fait divers, tristement commun, d’hier comme d’aujourd’hui : « Ce 10 mai, au paisible village de Villemont, à douze kilomètres de Bourges, le corps de la jeune Solange, fille d’un couple d’exploitants viticoles, a été retrouvé horriblement mutilé sur un terrain communal. Les soupçons se portent sur un certain Bernard, qui, peu avant le crime, se serait présenté au domicile de la victime pour lui parler. Inquiets de ne pas voir leur fille rentrer de son travail à l’heure habituelle, ses parents, partis à sa recherche avec leurs voisins… » Toutefois, ce crime, sur les circonstances duquel nous sommes très bien renseignés, n’a pas été perpétré de nos jours, mais en 880. L’Église a canonisé Solange comme martyre de la pureté.


Les raisons d'y croire

  • Si, depuis 880, l’on conserve le souvenir de ce drame, c’est que la piété populaire a aussitôt spontanément canonisé la victime. Il ne s’agit cependant pas d’une émotion passagère qui pousserait à rendre un culte à une innocente dont la mort violente a frappé les esprits. En pareil cas, sans contredire l’adage « Vox populi vox Dei », l’Église laissait faire et attendait de constater les fruits de ces dévotions improvisées – ou leur absence –, ne les reconnaissant que si des signes manifestes de la sainteté du défunt se multipliaient. Ce fut le cas pour Solange, puisque l’on constata très vite parmi les malades et infirmes qui se pressaient sur sa tombe un nombre impressionnant de guérisons.

  • De surcroît, la fama sanctitatis – la « réputation de sainteté » –, toujours nécessaire de nos jours à l’aboutissement d’une cause de canonisation, n’a jamais diminué, au contraire. La mémoire populaire a conservé le souvenir de l’emplacement de la maison natale de la sainte, de celui de la pâture communale où elle fut agressée, qui prit le nom de « champ de Sainte-Solange » ou « champ du martyre », de l’emplacement de sa sépulture au village de Saint-Martin-du-Crot, qui fut rebaptisé Sainte-Solange. Un tel souvenir ne se justifie que par des faits exceptionnels, d’autant plus que le village natal de Solange, Villemont, n’existait déjà plus.

  • Au demeurant, il ne fait aucun doute que la réputation de sainteté de la jeune fille était antérieure à son assassinat. Le culte était donc fondé, appuyé sur des témoignages, dont celui de ses parents, et a perduré, alors que l’on connaît bien des cas où ces dévotions émotionnelles ont disparu aussi vite qu’elles étaient apparues, le Ciel ne les cautionnant pas.

  • Solange, qui avait une dévotion particulière pour la sainte martyre romaine Agnès, patronne des jeunes filles, s’était placée tôt sous sa protection et sous celle de Notre Dame. On sait aussi que, désireuse de prendre le voile, elle avait consacré sa virginité à Dieu et choisi, comme Agnès, de n’avoir d’autre époux que le Christ. Il n’y a aucune raison de mettre cette tradition en doute.

  • Les contemporains se sont souvenus d’elle comme d’une âme contemplative à la vie intérieure intense, faite de jeûnes, de sacrifices et d’oraisons. Déjà de son vivant, on lui prêtait des dons de thaumaturge. Certains prétendront aussi avoir vu son visage irradier une clarté surnaturelle donnant l’impression qu’une étoile brillait sur son front et l’éclairait dans les ténèbres. Le futur Benoît XIV, impitoyable aux pieuses fantaisies, atteste l’existence de tels phénomènes chez de nombreux saints, bien plus proches et mieux documentés, de sorte que l’Église y reconnaît une marque visible de sainteté, le corps irradiant la lumière divine. L’étoile de sainte Solange serait alors aussi réelle que les faits similaires relatés dans les vies de Philippe Néri , Charles Borromée, Ignace de Loyola , François de Sales , Angèle de Foligno , Lydwine, Thomas de Cori et des dizaines d’autres.

  • Rien d’étonnant dans ces conditions que la réputation de sainteté de Solange grandisse, dépassant les limites de son village et de sa région. De tout le centre de la France, l’on vient implorer l’aide de la vierge thaumaturge de Villemont.

  • Le 10 mai 880, un jeune seigneur, prénommé Bernard, vient rencontrer la villageoise dont on parle tant. Mais ce n’est ni par piété ni pour obtenir une grâce. Ce qui l’a attiré, c’est la beauté de la jeune fille, non sa sainteté. Preuve qu’il nourrit de mauvais desseins, Bernard a menti à ses parents en prétendant aller à la chasse.

  • Ébloui, sincère peut-être, Bernard dit à Solange qu’en l’apercevant, il s’est pris d’un fol amour pour elle et lui offre titres, fortune, terres et puissance, si elle l’épouse. Solange répond qu’elle est déjà mariée : au Christ. Le refus de Solange n’est perturbé ni par les promesses ni par les menaces : il est fondé sur son vœu de virginité – vœu qu’elle défend jusqu’à la mort contre son agresseur qui l’enlevait.


En savoir plus

Solange naît dans les années 860 à Villemont, dans le Berry, à trois lieues de Bourges, d’un couple de vignerons fort pieux. Exceptionnellement belle et vertueuse, l’adolescente se consacre à Dieu dès qu’elle prend conscience des dangers auxquels l’expose sa beauté. L’on note que, pendant longtemps, malgré sa beauté, personne ne se permet un geste ou un mot déplacé, ce qui sera pareillement le cas de Jeanne d’Arc, dont la pureté ôtait aux hommes toute pensée coupable.

Son entourage témoignera qu’elle guérissait les malades et les infirmes ; on la disait capable d’éloigner d’un signe de croix les ravageurs des cultures, comme les vipères et les prédateurs. On affirmait aussi que ses brebis et agneaux n’allaient jamais divaguer ni abîmer les champs des voisins lorsque la bergère, en extase, ne les surveillait pas. Si l’on admet une certaine part d’exagération, il est loisible de tenir pour véridiques la plupart de ces faits que l’on retrouve, mieux attestés et à des dates plus récentes, dans d’autres hagiographies.

Sa consécration à la Vierge Marie, sa vertu et l’estime dont l’entoure le voisinage ne suffiront pas à la protéger. Le 10 mai 880, un jeune seigneur, présenté tantôt comme le fils du comte de Bourges, tantôt comme celui du comte d’Auvergne ou du Poitou, demande à la voir. Solange, comme chaque jour, garde le troupeau familial sur la pâture communale. La découvrant encore plus belle qu’il l’imaginait, il lui aurait alors promis le mariage. Si l’on peut douter que ce garçon puissant et riche ait fait pareille promesse à une petite paysanne, sinon pour la duper et obtenir d’elle ce qu’il voulait, il est en revanche certain que Solange lui a opposé un refus déterminé.

Bernard, humilié par son refus catégorique, fou de rage, ne supportant pas d’être repoussé, indifférent au vœu de virginité de Solange, la hisse de force sur son cheval qu’il éperonne, la menaçant de mort si elle lui résiste. Solange se débat, échappe à son ravisseur et s’enfuit. Bernard la rattrape et se jette sur elle, brandissant son couteau de chasse. Accident ou crime délibéré ? Dans sa fureur, il poignarde Solange en pleine poitrine. Ses derniers mots ? « Jésus ! Jésus ! Jésus… »

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Anonyme : Abrégé de la vie de sainte Solange, vierge et martyre, patronne du Berry, 1759.


En complément

  • Père Jean Alet : Vie de sainte Solange, patronne du Berry, Hachette (édition de 1859).

  • Cardinal Lambertini (pape Benoît XIV) : De beatificatione et canonizatione, Rome, 1828.

  • Jean Guitton et Jean-Jacques Antier, Les Pouvoirs mystérieux de la foi, Perrin, 1993.

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