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Les martyrs
Mexique
Nº 492
1927

Miguel Pro, icône du Christ (+1927)

Le 23 novembre 1927, le président mexicain Plutarco Calles préside l’exécution capitale du jeune jésuite Miguel Pro, qu’il regarde comme une réjouissante cérémonie patriotique, et ordonne que le supplice soit filmé et que les images soient diffusées à travers tout le pays afin de terrifier les catholiques en rébellion contre sa politique persécutrice. Aveuglé par la haine, Calles a perdu de vue une réalité toujours vérifiée depuis l’Antiquité : « le sang des martyrs est semence de chrétiens », de sorte que la mort en direct du père Pro n’aura pas les résultats escomptés, tant s’en faut !


Les raisons d'y croire

  • En 1910, le Mexique est en pleine révolte et les révolutionnaires tournent leur hargne contre l’Église, tenue pour complice des riches propriétaires terriens, ce qui autorise à brutaliser prêtres et fidèles. Les catholiques savent que cette situation risque de s’aggraver, voire de déboucher sur une persécution d’une extrême violence. Dans ces conditions, pour devenir prêtre, il faut véritablement avoir la certitude inébranlable d’avoir entendu l’appel du Christ à le servir. Cette certitude habite Miguel et ne le quittera jamais, en dépit des difficultés et épreuves qui l’attendent avant de parvenir au sacerdoce. Il entre en 1911, à vingt ans, au juvénat, équivalent du noviciat dans la Compagnie de Jésus.

  • En 1914, la maison de formation où il étudie est attaquée par les insurgés, qui molestent les prêtres enseignants et mettent le feu à la bibliothèque dans l’idée, exacte, que, privés de leurs livres, les étudiants devront partir ou renoncer. C’est ce qui se passe et les supérieurs, faute de pouvoir assurer la sécurité des novices et de les préparer convenablement, décident de les envoyer dans une autre maison de formation, en Californie. Quitter sa patrie et ses proches, pour un temps indéterminé, est un sacrifice que Miguel accepte.

  • Au cours de ses études, il s’intéresse aux questions sociales et aux classes défavorisées dont il aimerait, de retour chez lui, contribuer à améliorer le sort. Ce choix d’apostolat prouve que Miguel, loin d’en vouloir à ceux qui l’ont contraint à l’exil, leur veut du bien et souhaite leur offrir une autre image de l’Église que celle de privilégiés égoïstes. Il prouve sa capacité à pardonner à ses ennemis et à rendre le bien pour le mal, caractéristiques de la sainteté.

  • Il est ordonné prêtre le 31 août 1925 et manifeste son désir de regagner le Mexique. Il sait le moment mal choisi puisque Calles, le nouveau président, franc-maçon et athée militant, affirme vouloir éradiquer le christianisme du pays par tous les moyens. En pareil cas, l’Église, suivant le conseil évangélique ( Matthieu 10,23 ) – « Si l’on vous pourchasse dans une ville, allez dans une autre et si l’on vous pourchasse aussi dans celle-ci, allez dans une troisième » –, n’oblige pas les laïcs ou les prêtres à s’exposer à la persécution et au martyre. Il n’y a aucun péché à les fuir. Miguel Pro sait risquer sa liberté, voire sa vie, mais l’accepte joyeusement pour l’amour du Christ, afin d’assurer pour les fidèles la continuité du culte et l’accès aux sacrements.

  • Nommé à Mexico, le jeune prêtre se donne à son apostolat. Il est aumônier d’étudiants, crée un mouvement d’aide et d’évangélisation des domestiques et employés de maison (catégorie méprisée), ouvre une maison d’assistance aux filles-mères, une autre pour l’accueil des prostituées… Ce faisant, il attire l’attention, malveillante, des pouvoirs publics, qui voient vite en lui un homme à abattre, mais, pour autant, il ne change rien à ses entreprises, témoignant d’une confiance absolue en la Providence divine.

  • Comme on s’y attendait, en juillet 1926, Calles déclenche sa persécution, interdit le culte catholique, ferme les églises, chasse religieux et religieuses des couvents, et condamne les prêtres à l’exil, menaçant de mort ceux qui reviendraient ou passeraient dans la clandestinité. Pro se réfugie chez ses parents, où il cache des religieuses expulsées. Avec l’aide de ses frères et d’étudiants, il organise un ministère clandestin efficace, parcourant Mexico à bicyclette, célébrant la messe en secret, donnant la communion. Il n’ignore pourtant pas les atrocités dont police et troupes gouvernementales se rendent coupables à l’encontre du clergé catholique, torturé et mis à mort avec des raffinements d’horreur. Certain qu’un pareil sort l’attend, il continue son ministère interdit avec une étonnante bonne humeur, en dépit du danger.

  • Injustement mêlé à une tentative d’attentat contre le candidat gouvernemental aux présidentielles, Miguel Pro est arrêté avec ses frères. Bien que leur innocence soit patente, Calles décide de faire un exemple en faisant exécuter les Pro. N’ayant aucun élément à charge contre Miguel, redoutant des protestations diplomatiques en sa faveur, Calles juge inutile de le faire passer en jugement et le condamne à mort en dehors de tout cadre judiciaire légal. La seule raison de la condamnation du jeune homme est sa qualité de prêtre. Il est donc bien condamné et exécuté in odium fidei (« en haine de la foi »), définition canonique du martyre.

  • Tôt dans la matinée du 23 novembre, Miguel et Humberto Pro sont conduits dans la cour de la prison. À la vue du peloton d’exécution et de la tribune des invités de Calles, Miguel comprend. Se tournant vers son geôlier, il l’assure de son pardon et affirme aux hommes du peloton qu’il pardonne à ses bourreaux, se conformant ainsi aux demandes du Christ.

  • Après s’être agenouillé et avoir prié un moment sans manifester le moindre signe d’effroi, Miguel Pro se relève et étend les bras en croix pour se conformer parfaitement à la Passion de Jésus, son Sauveur. Il meurt en criant « Vive le Christ Roi ! »

  • Calles ayant fait filmer et photographier l’exécution, nous en connaissons parfaitement le déroulement, ce qui nous permet d’assister à la mort d’un martyr. Étalée à la une des journaux, projetée dans les salles de cinéma, l’exécution du père Pro fait de lui en quelques heures un héros et un symbole, obtenant un résultat absolument opposé à celui recherché.


En savoir plus

Né le 13 janvier 1891 à Guadalupe, dans la province mexicaine de Zacatecas, dans une famille de la bourgeoisie catholique, Miguel Agustin Pro entre chez les Jésuites avant la fin de ses études secondaires.

L’attaque de la maison de formation en 1914 par les insurgés anticléricaux oblige à transporter le juvénat en Californie. Commence alors un exil de plus de dix ans qui, après une année aux États-Unis, le conduit en Espagne, à Grenade, où il étudie la philosophie (entre 1918 et 1922), au Nicaragua, puis de nouveau en Espagne, à Barcelone, où il entame une licence de sociologie… Pro ne reverra patrie et famille que onze ans plus tard. Ordonné prêtre en 1925 en Belgique, il regagne le Mexique, où l’élection de Calles laisse présager une prochaine persécution des catholiques. Le père Pro s’y est préparé et, réfugié chez ses parents, il parvient pendant plus de dix-huit mois à poursuivre ses activités dans la clandestinité, prenant des risques insensés. As du déguisement, il est même arrêté et incarcéré plusieurs jours sans être reconnu, bien que sa tête soit mise à prix.

Excédés par la persécution, les catholiques mexicains s’insurgent au nom de « Viva Cristo Rey ! » (« Vive le Christ Roi »), dont Pie XI vient d’instaurer la fête – rappel du règne social de Jésus sur les sociétés civiles. Bien qu’il comprenne leur choix, le père Pro ne veut pas rejoindre les rangs de la Cristiada pour ne pas répondre à la violence par la violence, à la haine par la haine, ni quitter son apostolat dans la capitale et abandonner ceux qui ont besoin de lui.

Le 13 novembre 1927, des étudiants catholiques, pour certains proches du père Pro, qu’ils n’ont pas informé de leurs projets, posent une bombe dans un rassemblement autour d’Alvaro Obregon, candidat franc-maçon à la succession de Calles. L’attentat fait peu de dégâts mais la police découvre que la voiture utilisée a été vendue par Humberto Pro, frère de Miguel, ce qui permet d’arrêter le jésuite et ses cadets.

Miguel Pro est fusillé sans jugement avec son frère Humberto le 23 novembre 1927 ; son exécution, filmée, devient un événement médiatique. Le retentissement est si violent qu’en dépit des risques de représailles, quarante mille personnes suivent son cercueil lors d’obsèques transformées en manifestation contre Calles.

La Compagnie de Jésus fait alors du jeune martyr un symbole de la résistance à l’oppression anticléricale et un héros de la royauté sociale du Christ. Sa popularité devient en quelques mois internationale. Il faudra cependant attendre le 25 septembre 1988 pour que Jean-Paul II le béatifie.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Antonio Dragon, Pour le Christ Roi, Miguel Pro fut exécuté, Montréal, 1928. Disponible en anglais sous le titre Miguel Agustin Pro, of the Society of Jesus, martyr of Christ the King.


En complément

  • Antonio Dragon, Vie intime du Père Pro, Montréal, 1943.

  • E. Carminati, Michele Pro, Rome 1988 (en italien).

  • Mary E. Gentges, Father Pro of Mexico, 2007 (en anglais, en ligne ).

  • Le documentaire, en anglais, « Blessed Miguel Pro: A Life of Heroism and Sacrifice ».

  • Le film de 30 minutes de Nuntiavit : Bienheureux Miguel Pro (en DVD).

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