
Les époux Beltrame : tout entre les mains de Dieu (1913)
Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi se sont mariés le 25 novembre 1905. En 1913, le drame fait irruption dans la vie, heureuse et tranquille, de ce jeune couple de la bourgeoisie romaine. Alors qu’elle attend son quatrième enfant, Maria s’entend ordonner par son médecin un avortement thérapeutique d’urgence. Elle souffre d’un problème placentaire qui condamne son bébé, rendant impossible de mener la grossesse à terme. Tout atermoiement entraînerait de surcroît la mort de la mère. Or, cet avortement, Maria et Luigi, quoique parfaitement conscients des enjeux, vont le refuser.
Les raisons d'y croire
Luigi Beltrame, devenu Quattrocchi après son adoption par un oncle sans enfant, est élevé par celui-ci dans l’indifférentisme religieux. C’est aussi le cas de Maria Corsini, qu’il rencontre à Rome. Luigi a suivi de solides études de droit et vient d’embrasser la profession d’avocat. Maria, dont les parents sont partisans de l’émancipation des femmes, est diplômée d’une école de commerce et de comptabilité, ce qui est alors très rare pour une jeune fille. Tous deux ont donc reçu une éducation « moderne », libérée des lois de l’Église. Le choix qu’ils font de garder le bébé à tout prix n’est donc pas le fruit de l’ignorance et de la superstition, mais celui d’une réflexion mûrie, ce qui le rend d’autant plus incompréhensible au monde.
Leurs proches ignorent, à de rares exceptions près, le secret du jeune couple, qui, élevé loin de Dieu, est revenu au Christ à la suite d’une série de grâces exceptionnelles. En effet, Maria a révélé en grandissant une âme mystique, une attirance pour la prière et une dévotion mariale. En 1902, Luigi, qu’elle fréquente depuis quelques mois et dont elle est amoureuse, est victime d’une péritonite qui, à l’époque et en l’absence d’antibiotiques, le condamne à une mort certaine. Elle lui envoie alors une image de la Madone de Pompéi, le « Lourdes italien », et lui dit faire une neuvaine pour sa guérison. Contre toute attente, Luigi survit et se remet sans problème, ce qui le conduit à se convertir à son tour. C’est sur cette foi commune que leur amour s’est bâti, puis leur couple et leur famille, après leur mariage le 25 novembre 1905 à Santa Maria Maggiore.
Les époux vont chaque jour à la messe, communient quotidiennement, disent chaque soir le rosaire et font ensemble des retraites dans des monastères. Cette vie de prière intense et leurs engagements dans le militantisme catholique – elle dans des œuvres caritatives, lui dans le scoutisme naissant – leur ont appris à tout placer sous le regard de Dieu et à ne prendre de décision qu’à la lumière des commandements divins. C’est ce souci de la loi du Seigneur qui les conduira par la suite, plusieurs fois, à faire des choix difficiles ou risqués, qu’il s’agisse, après l’arrivée de Mussolini au pouvoir en 1922, de refuser toute compromission avec le fascisme, au détriment de la carrière de Luigi, ou, pendant l’Occupation, de cacher des juifs pourchassés. Dans ces conditions, tuer leur enfant à naître leur paraît impensable, quel que soit le prix à payer.
Pourtant, en pareil cas, recourir à l’avortement pour raisons thérapeutiques est autorisé, non seulement par le législateur, mais aussi par l’Église, qui le tolère afin de sauver la mère quand les chances de survie de l’enfant – ne serait-ce que le temps de recevoir le baptême – sont inexistantes. Maria et Luigi ne commettraient donc pas de péché en ne laissant pas venir ce bébé au monde, à plus forte raison s’ils considèrent les conséquences de leur choix. Comme le dit le médecin à Luigi : « Maître, comprenez-vous bien que, dans quelques jours, vous serez veuf avec trois enfants orphelins en bas âge ? »
Face à un tel choix et soumis à de telles pressions, préserver la vie d’un fœtus de trois mois afin de lui assurer le baptême est un acte de foi, d’espérance et de charité héroïque, de même que braver l’opinion de ceux qui les croient fous et les blâment.
Maria, dont les grossesses et les accouchements ont toujours été difficiles, doit s’aliter. Elle l’accepte, considérant que chaque jour gagné vers le terme normal de sa grossesse est un miracle : elle rend grâce continuellement, s’abandonnant à la volonté divine et lui accordant sa confiance, dans la certitude que Dieu ne fera rien de nuisible pour elle, pour Luigi et pour leurs enfants.
Cette confiance est récompensée. Maria arrive au huitième mois et, déjouant le pronostic des médecins, elle est toujours en vie, comme son bébé. Elle met alors au monde son quatrième et dernier enfant, Enrica, une fillette en parfaite santé.
En savoir plus
Luigi Beltrame, né le 12 janvier 1880 à Catane (Sicile), est adopté par une tante et un oncle maternel sans enfant, les Quattrocchi, dont il ajoute le patronyme au sien. Il reçoit d’eux une éducation stricte mais laïque, comme l’est celle de Maria Corsini, sa future épouse, née le 24 juin 1884 à Florence, fille d’un officier qui sert le régime coupable, aux yeux des catholiques, de la destruction des États pontificaux en 1870 et de l’enfermement volontaire des papes au Vatican. Les idées avancées des deux familles vont rapprocher les jeunes gens, mais elles n’empêchent pas Maria de découvrir la foi qu’elle fait partager à Luigi après la guérison miraculeuse de celui-ci.
Maria prend tour à tour pour directeur de conscience le père Matheo Crawley, infatigable apôtre du Sacré-Cœur, et le père Garrigou-Lagrange, un des grands théologiens de l’époque, qui la poussent dans des voies spirituelles sur lesquelles Luigi souffrira souvent de ne pas avancer aussi vite qu’elle. Après la mort de Luigi, emporté par un infarctus le 9 novembre 1951, Maria lui survit jusqu’au 25 août 1965, laissant à sa mort une correspondance intime ainsi qu’une œuvre littéraire spirituelle.
Il semble qu’à l’instar des Martin , les parents de Thérèse de Lisieux , les Beltrame Quattrocchi aient engendré des enfants et les aient élevés « plus en vue du Ciel que de la terre ». Filippo, né en 1906, deviendra prêtre, Stefania, née en 1908, prendra le voile chez les Bénédictines, et Cesare entrera chez les Bénédictins, puis finalement chez les Trappistes. Quant à Enrica, l’enfant du miracle, elle sera laïque consacrée et assistera ses parents dans leur vieillesse.
S’il est vrai que leur histoire est dépourvue d’événements saillants, ils vivront – selon le mot de Jean-Paul II, qui les a béatifiés en 2001 – « extraordinairement les choses ordinaires », qu’ils remplissent de sens à la dimension de leur foi immense. Leur fête commune est fixée à la date de leur mariage, le 25 novembre ; évidemment.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Attilio Danese et Giulia Paola di Nicola, Une auréole pour deux, Maria & Luigi Beltrame Quattrocchi, Éditions de l’Emmanuel, 2004.
En complément
Père Antoine de Roeck, Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi, itinéraire spirituel d’un couple, Artège, 2021.
Il n’existe pas de publication en langue anglaise. L’on peut consulter le site du Dicastère pour la cause des saints et le site Vatican News.
Sur le site Internet du Collège des Bernardins, l’article « Maria et Luigi Beltrame Quattrocchi : un couple béatifié pour leur amour et leur dévotion ».
Les deux dossiers de Vatican News sur le couple Beltrame Quattrocchi, disponibles en plusieurs langues : « Bienheureux Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi, père et mère de famille » et « Luigi et Maria Beltrame Quattrocchi : tisser en Dieu la trame de la sainteté »