
Anna Kolesarova, « hostie de la sainte chasteté » (+1944)
En ce mois de novembre 1944, le retrait des troupes allemandes n’apporte aux populations slovaques qu’un court répit puisque, avançant à marche forcée, l’Armée rouge prend aussitôt le contrôle du pays. Traitant les régions conquises en territoires ennemis, les officiers soviétiques abandonnent les habitants aux débordements de leurs soldats qui pillent, brutalisent, violent. Parce que c’est l’éternelle et féroce loi de la guerre, qu’il en a toujours été ainsi et en sera toujours ainsi, les victimes se soumettent à leur triste sort. Mais, ce jour-là, à Vysoka nad Uhom, village rural proche de la frontière ukrainienne, une adolescente refuse de se soumettre pour ne pas offenser Dieu et sauvegarder sa virginité : Anna Kolesarova, seize ans, va préférer la mort à la souillure.
Les raisons d'y croire
Nous sommes parfaitement renseignés sur les circonstances de la mort de la jeune fille, car le drame se joue dans la maison familiale, sous les yeux de son père et de son frère aîné, qui en donneront un récit de première main.
Le curé de la paroisse voisine de Pavlovce nad Uhom, le père Lukac, est persuadé que l’adolescente, dont il connaît la grande piété, est une martyre de la chasteté. En dépit des difficultés liées à la présence de l’Armée rouge et à l’installation d’un gouvernement communiste athée, il entreprend de consigner renseignements et témoignages en vue du jour où, la liberté religieuse revenue, Rome portera Anna sur les autels. Une dizaine d’années plus tard, un autre prêtre, le père Michal Potocky, reprend ce travail de collecte et prépare le futur dossier de béatification.
Anna, sacrifiant tous les loisirs de son âge, préfère aller chaque jour à la messe, passer du temps à l’église, et dire le rosaire. Elle se confesse et communie fréquemment, édifiant les croyants des alentours par sa dévotion et sa piété mariale. C’est incontestablement là que la jeune fille va puiser la force de s’opposer, au péril de sa vie, à son agresseur.
Dès le IIIe siècle, les magistrats romains, comprenant que les chrétiennes sont moins effrayées par la mort que par les atteintes à leur pudeur, les condamnaient aux lupanars plutôt qu’aux bêtes. L’Église enseigne depuis que la victime d’un viol ne pèche pas, que seul son agresseur est en faute devant Dieu. Dans ces conditions, sous la contrainte et la menace de mort, la chrétienne qui refuse de céder à un violeur va au-delà de ce que lui demande l’Église et fait preuve d’un héroïsme exceptionnel. C’est la raison pour laquelle on a ajouté à la définition classique du martyre « en haine de la foi » celle de martyre de la chasteté, pour honorer des jeunes filles qui ont conservé leur virginité au prix de leur vie, telle Maria Goretti , béatifiée peu avant la guerre et dont l’exemple a marqué Anna.
En raison de l’Occupation, par patriotisme mais surtout par prudence, les jeunes femmes et jeunes filles de Vysoka ne s’habillent plus qu’en noir, s’acharnant à se vieillir et à s’enlaidir afin de ne pas attirer l’attention des soldats. Anna s’y applique : cette précaution prouve qu’elle sait la nature du danger et a réfléchi à ce qui pouvait lui arriver, l’amenant à envisager un sacrifice héroïque, motivé par sa foi en Christ.
Le 22 novembre 1944, alors que les troupes soviétiques viennent de s’emparer du village, Anna est assassinée par un soldat ivre auquel elle se refuse, défendant sa virginité, malgré le fusil que le garçon braque sur elle. Elle crie qu’elle préfère la mort au péché. Après avoir fait le signe de croix, ses derniers mots sont : « Jésus, Marie, Joseph, je vous remets mon âme. »
Il est inscrit sur le registre paroissial, comme cause du décès : « Hostia sanctae castitatis » (« victime de la sainte chasteté »). Ainsi est fondée la réputation de sainteté d’Anna. Elle sera béatifiée le 1er septembre 2018.
En savoir plus
Née le 14 juillet 1928 à Vysoka nad Vhom (en Slovaquie, non loin de la frontière ukrainienne), dans une famille paysanne très pieuse, Anna Kolesarova mène la vie ordinaire d’une jeune paysanne. Seules sa grande piété et sa dévotion mariale la distinguent de ses camarades, dont elle n’a ni le goût ni le temps de partager les amusements. Sa piété s’accroît après sa confirmation, en 1938, juste avant l’invasion allemande.
Depuis la mort de sa mère, en 1942, il lui faut, en tant que fille aînée, remplacer la défunte, assurer les tâches ménagères, l’éducation de ses cadets, les travaux des champs, etc. Elle assume courageusement ces responsabilités au-dessus de son âge, réussissant à ne pas empiéter sur sa vie de prière, assistant chaque jour à la messe, récitant quotidiennement le rosaire, se confessant et communiant fréquemment.
Lorsque, le 22 novembre 1944, les troupes soviétiques entrent à Vysoka, elles entreprennent la fouille systématique des maisons du village. Les familles, par crainte des bombardements, se sont réfugiées dans les caves. C’est là qu’en début d’après-midi, un jeune soldat découvre les Kolesarov et exige, bien qu’il soit déjà saoul, qu’on lui apporte à boire. Son père demande à Anna d’aller chercher du vin. Le soldat la suit à l’extérieur et tente d’abuser d’elle. Anna se défend, malgré le fusil que le garçon braque sur elle. Elle crie qu’elle préfère la mort au péché.
La prenant au mot, le soldat la pousse à l’intérieur de la maison en hurlant : « En ce cas, va dire adieu à ta famille ! » Consciente de ce qui l’attend, Anna rentre chez elle. Son père et son frère aîné, Michal, sont montés dans la salle, étonnés de ne pas la voir revenir. Se tournant vers eux, Anna, très calme, dit : « Adieu, papa, adieu, Michal. » Après avoir fait le signe de croix, ses derniers mots sont : « Jésus, Marie, Joseph, je vous remets mon âme. » Au même instant, le soldat lui tire deux balles dans la tête. Anna est tuée sur le coup.
Par peur des représailles soviétiques, il faut attendre le lendemain pour lui rendre les derniers devoirs et procéder à ses funérailles. En l’absence du curé de la paroisse, son confrère de Pavloce, qui avait confessé et communié la jeune fille l’avant-veille, célèbre les obsèques.
Sa réputation de sainteté grandit dans l’ombre au temps du communisme et jaillit au grand jour après la disparition du bloc de l’Est. Alors que Slovaquie et République tchèque sont alors les deux pays les plus déchristianisés d’Europe, l’exemple d’Anna soulève l’enthousiasme de la jeunesse. Ouverte en 2005, sa cause de béatification a abouti en 2018.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
Le pape François la définira en ces termes : « Vierge martyre morte pour avoir résisté à celui qui voulait attenter à sa dignité et sa chasteté », la donnant en exemple à la jeunesse du monde entier.
Aller plus loin
L’on peut consulter la notice consacrée à Anna sur le site Vatican News , disponible en plusieurs langues.
En complément
L’article du magazine Home of the Mother : « Anna Kolesarova, une nouvelle sainte Maria Goretti ».