
Franz Jägerstätter : il ne pouvait pas être catholique et nazi (+1943)
Franz Jägerstätter, né en 1907, mène une vie champêtre très paisible avec sa famille dans le village de Sainte-Radegonde, près de Salzbourg (Autriche). Après l’Anschluss de 1938, il manifeste ouvertement son opposition au nazisme, incompatible avec sa foi chrétienne. Cette objection de conscience n’est pas tolérée par le régime, qui le condamne à mort. Franz est exécuté le 9 août 1943 dans la prison de Brandenbourg. Il est vénéré comme martyr et bienheureux par l’Église catholique.
Les raisons d'y croire
Franz, qui mène une vie très simple à la campagne, se montre plus lucide que beaucoup de savants, d’intellectuels et d’hommes politiques de son temps. Sa lecture quotidienne de la Bible lui permet de renforcer sa conviction : le régime nazi est contraire aux enseignements du Christ. Franz reconnaît lui-même dans sa clairvoyance une grâce particulière reçue du Ciel.
Franz maintient son opposition au régime nazi au péril de sa vie : le jour même où il doit monter à l’échafaud, on lui propose de se rétracter, ce qu’il refuse. Franz aime pourtant profondément sa famille et la vie qu’il mène dans son village. Isolé et harcelé, il a le courage d’aller jusqu’à la mort car sa foi le soutient.
C’est bien par attachement au Christ et à sa loi de l’amour que Franz Jägerstätter fait le don de sa vie, préférant « obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ».
En savoir plus
La jeunesse de Franz n’a rien d’exemplaire. Il est né hors mariage le 20 mai 1907 dans le village autrichien de Sainte-Radegonde, en face de la Bavière, ce qui choque dans cette région rurale demeurée profondément catholique. Après la mort de son père, au front, il est adopté par Heinrich Jägerstätter, un paysan qui a épousé sa mère. Enfant, Franz n’a rien de remarquable, sinon peut-être son goût prononcé pour la lecture. C’est un jeune turbulent, qui fréquente plus les bals que les églises. Il passe quelques jours en prison après une bagarre et sera le père d’une enfant née hors mariage. Franz n’épouse pas la mère de l’enfant et doit quitter son village pendant deux ans. L’exil fait réfléchir le jeune homme qui rencontre alors Franziska, vingt-deux ans, catholique sérieuse et fervente qui lui fait découvrir une foi vivante et responsable. Ils se marient et trois filles naîtront sous leur toit (Franz et Franziska veulent adopter l’enfant de Franz, mais on le leur refuse).
Franz est heureux avec Franziska et leurs enfants, mais le spectacle de l’Allemagne devenue nazie l’a fait réfléchir dès sa conversion. Armé de ses seuls souvenirs de catéchisme et de la lecture assidue de la Bible, qu’il partage avec Franziska, il déchiffre plus vite que beaucoup le caractère antichrétien et démoniaque de l’idéologie nazie. Quand les troupes allemandes envahissent l’Autriche, un « oui » manque dans l’urne du village de Sainte-Radegonde, celui de Franz. Il explique ouvertement que sa conscience ne lui permet pas de voter pour le nazisme. Malgré les conseils de prudence des habitants du village, qui courbent le dos, Franz maintient et approfondit son refus du nazisme, ce qui lui vaut d’être traité de fanatique.
En 1940, malgré ses charges de famille, il doit effectuer son service militaire. Son catholicisme affiché lui vaut rapidement des brimades. Avec l’un de ses amis, il rejoint le tiers ordre franciscain. Renvoyé dans son village en avril 1941 sur intervention du maire, il devient sacristain de Sainte-Radegonde et, sans négliger son travail, il va à la messe tous les matins avant les travaux des champs et consacre de plus en plus de temps à la prière et à la réflexion. Il n’a pour autant rien d’austère : sa gaieté et son sens des blagues sont réputés, au village comme à la maison.
Sa position à l’égard du nazisme, qu’il juge démoniaque, reste ferme : il refusera de porter les armes et de prêter serment s’il est appelé à l’armée. Il ignore tout de la Shoah, mais devine beaucoup et accuse Hitler de se livrer à une « œuvre horrible d’extermination ». Pour lui, la responsabilité de chacun est engagée et aucune « indifférence en matière de responsabilité » n’est possible. Dieu est toujours là, et ses exigences n’ont pas changé : « Je crois que de la part d’un catholique, l’objection de conscience ne saurait être un crime, bien qu’elle signifie la mort certaine. » Mais en même temps, il se refuse à juger ceux qui ne suivent pas sa voie, y compris les pasteurs qui oscillent entre soumission et résignation au nazisme : « Au fond ce sont eux aussi des hommes comme nous. »
Le 22 février 1943, quelques semaines après avoir rédigé ce « catéchisme », Franz reçoit son ordre de mobilisation. Seule Franziska, après avoir elle aussi essayé de le convaincre, accepte sa décision et soutient son époux. Le 1er mars, Franz arrive au centre d’incorporation d’Enns et déclare aussitôt « qu’il agirait contre sa conscience religieuse s’il se battait pour l’État national-socialiste ». Aussitôt arrêté, il est emprisonné à Linz. Les témoignages montrent un homme qui partage son pain avec les autres, réconforte les désespérés et, surtout, prie et invite à prier. De jeunes catholiques français d’Alsace-Moselle qui ont refusé le serment à Hitler sont un temps incarcérés avec lui : il leur fait réciter chaque jour l’office franciscain et les invite à dire avec lui le chapelet.
En mai, son « crime » étant jugé d’une extrême gravité par les autorités du Reich, Franz est transféré à Berlin. Les dix-sept lettres qu’il envoie à Franziska durant sa détention et ses notes de prison montrent la montée vers le sacrifice suprême d’un homme passionnément attaché à sa famille, à sa ferme, à ses fleurs, aux semailles, aux travaux saisonniers, à son village, à la beauté de la création et aux oiseaux qui chantent sous les fenêtres de sa cellule. Toutes les pressions ne le font pas dévier : le régime nazi est contraire à l’enseignement du Christ. On lui commet un avocat d’office, qui lui parle des millions de catholiques qui prêtent serment sans scrupules de conscience. Franz lui répond : « La grâce ne leur a pas été donnée. » Le 6 juillet, la cour martiale suprême du Reich le condamne à mort pour « avoir miné la morale militaire, en incitant à refuser de servir dans l’armée allemande ».
En attendant de monter à l’échafaud, Franz rédige son testament. Le matin du 9 août 1943, on lui propose encore de signer le serment pour avoir la vie sauve. Il refuse, rédige une émouvante lettre d’adieu à Franziska et à sa mère et monte à l’échafaud. « Si j’arrive vite au Ciel, je prierai le bon Dieu de préparer aussi une petite place pour vous. »
Didier Rance, diacre, historien, ancien directeur de l’AED France, est l’auteur de plus de trente ouvrages. Il est membre de la Commission pontificale pour les nouveaux martyrs à Rome.
Au delà
Jésus a dit : « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie » ( Jn 8,12 ). C’est le devoir des chrétiens d’être la lumière du monde.
Aller plus loin
Franz Jägerstätter, Être catholique ou nazi, Paris, Éditions Bayard, 2019.
En complément
La bande-annonce du film de Terrence Malick, Une vie cachée, 2019.
Cesare G. Zucconi, Christ ou Hitler ? Vie du bienheureux Franz Jägerstätter, Paris, Desclée de Brouwer, 2010.
Sur le site Internet du Vatican, la biographie de Franz Jägerstätter en anglais.
Les pages dédiées à Franz Jägerstätter sur le site Internet du diocèse de Linz (en allemand, anglais et italien).