
Afra, de la prostitution au martyre (+305)
Début août 305, à Augusta Vindelicorum, aujourd’hui Augsbourg (Bavière Allemagne), alors que la persécution se déchaîne dans tout l’Empire romain avec une extrême violence contre les fidèles du Christ, une jeune femme du nom d’Afra est déférée comme chrétienne devant le magistrat en charge de l’éradication de la religion interdite. Très vite, le juge pense à une dénonciation calomnieuse car on vient l’avertir que la prévenue est une prostituée très connue. Voyant là une incompatibilité évidente avec la morale chrétienne, il s’apprête à la relâcher lorsque l’accusée revendique hautement sa foi et refuse d’abjurer. Elle confessera son attachement à Jésus jusqu’au martyre, rappelant que, selon l’Évangile, les prostituées et les publicains entreront les premiers dans le royaume des Cieux. Elle est fêtée le 7 août par l’Église catholique.
Les raisons d'y croire
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La saisie des archives de l’Église, leur destruction pendant la persécution de Dioclétien (de février 303 à octobre 313 en Occident) et la désorganisation des services ecclésiastiques en cette période qui empêche de recueillir, selon l’usage, les actes des martyrs (procès-verbaux de leurs interrogatoires et le récit de leur mort), nous ont fait perdre des sources documentaires. Mais nous possédons tout de même certaines de ces pièces : le texte de l’interrogatoire d’Afra est l’un des plus beaux documents de l’Antiquité chrétienne.
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Plusieurs éléments de sa vie sont attestés et incontestables. Afra vit avec sa mère, Hilaria, une esclave affranchie qui a ouvert un lupanar où elle propose notamment aux clients les services de sa propre fille.
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Aux yeux de l’Église, une esclave que ses maîtres forcent à se prostituer ne se rend coupable d’aucun péché. Mais ce n’est pas le cas d’Afra : elle a choisi sa profession, devenant responsable de sa mauvaise conduite et du péché dans lequel elle entraîne ses clients. Il ne s’agit pas d’une pauvre fille faisant le trottoir mais d’une courtisane, une « call-girl », réputée non seulement pour ses prestations sexuelles et sa beauté, mais aussipour ses talents de danseuse, comédienne, mime, chanteuse. Le juge lui dit d’ailleurs : « Retourne t’amuser avec les hommes. Tes amants te paient bien et tu gagnes beaucoup d’argent. » Ces précisions prouvent qu’Afra est libre, financièrement à l’aise. Elle a donc beaucoup perdu en se convertissant, puisque l’Église pose comme condition au baptême des personnes qui exerçaient une profession inconvenante qu’elles y renoncent définitivement et cherchent un travail honnête. Un tel changement de vie et de revenus prouve sa sincérité.
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Par ailleurs, Afra, en refusant devant le juge de « retourner s’amuser avec les hommes », déclare avoir donné aux pauvres tout l’argent gagné par la prostitution. Elle précise qu’elle a « dû les supplier de l’accepter et prier pour elle », qu’elle s’en est « débarrassé comme d’une ordure ». Elle s’est donc volontairement réduite au dénuement complet.
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Autre preuve de la réalité des faits décrits, le magistrat, comme c’est désormais le cas au IVe siècle, possède une certaine connaissance de la foi et de la doctrine chrétiennes ; il sait que les chrétiens pratiquent la chasteté et que les péchés de la chair les scandalisent. C’est pourquoi il pense qu’Afra ne peut être chrétienne. Mais, preuve qu’elle a lu les Évangiles et que lui ne les connaît pas, elle riposte à cet argument en des termes d’une rare élévation : « Mon Seigneur Jésus-Christ a dit qu’il était descendu du Ciel pour les pécheurs. Nos Évangiles racontent qu’il pardonna à une courtisane qui arrosait ses pieds de ses larmes. Il n’a pas accablé de reproches les prostituées et les publicains, il leur a même permis de manger avec lui. » Inspirée par Dieu, cette jeune femme se fait spontanément apologète.
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Le magistrat lui affirme qu’elle ne peut malgré tout se dire chrétienne : « Ton Christ ne peut te trouver digne de lui. Il ne peut être ton dieu et tu ne peux être sienne. Tu es une p… et une p… ne peut se prétendre chrétienne ! — C’est vrai, je ne mérite pas ce nom, mais Dieu, dans sa miséricorde, m’a jugée selon sa bonté, non selon mes mérites et il a daigné me faire sienne. — Et comment sais-tu qu’il a daigné le faire ? — Parce qu’il me permet aujourd’hui de confesser devant toi ma foi et son Saint Nom. »
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La noblesse de ce dialogue montre qu’Afra est en effet pardonnée et inspirée. Chaque mot de la jeune femme semble lui avoir été directement soufflé par l’Esprit, ainsi que Jésus l’a promis à ses disciples, leur disant de ne pas se préoccuper de ce qu’ils devront dire devant la justice, car tout leur sera révélé d’en haut le moment venu.
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À toutes les menaces du juge, elle répond se moquer des supplices et même les désirer car ainsi « ce corps par lequel elle a péché sera purifié dans les tourments ». Cette constance face au martyre est la preuve suprême de la foi de la jeune femme et de l’assistance de Dieu dans l’épreuve.
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Voilà quelques années, l’on a procédé à des analyses sur les reliques attribuées à la martyre et conservées dans l’église Sainte-Afra d’Augsbourg. Il s’agit des ossements d’une jeune femme et ses vertèbres cervicales portent la marque de plusieurs coups de glaive, preuve qu’elle a bien été suppliciée et que le bourreau, par maladresse ou pour le plaisir de faire durer le supplice, s’y est repris à plusieurs fois, s’autorisant les trois coups permis par la procédure pénale romaine, avant de la décapiter. En revanche, les légistes n’ont pas relevé sur les os de traces de brûlures. La Tradition affirme que le juge a condamné Afra au bûcher : il faut admettre que le feu n’a pas pris, comme le raconte le récit de son martyre, et que la décapitation a remplacé le supplice manqué.
En savoir plus
Au début du IVe siècle vit à Augsbourg une prostituée de luxe prénommée Afra, associée à sa mère, Hilaria, avec laquelle elle tient une maison de passe réputée.
Hilaria est une esclave affranchie et non, comme le prétendront des ajouts tardifs, une grande dame originaire de Chypre qui aurait pratiqué, et fait pratiquer à sa fille, la hiérogamie, la prostitution sacrée en l’honneur d’Aphrodite et remis l’argent au clergé de la déesse. Le prénom romain Hilaria montre que cette femme est une esclave qui, en recouvrant sa liberté, a pris le nom de famille de son ancien maître. Il est probable que ce maître la prostituait et que, rendue à la liberté, n’étant plus en âge de faire ce métier, elle s’est mise à son compte en ouvrant un lupanar, dans lequel elle propose aux clients les services de trois jeunes esclaves, Digna, Eunomia et Eutropia, mais surtout ceux de sa propre fille, Afra. Afra est un surnom d’esclave ou un pseudonyme choisi par la jeune femme pour exercer sa profession de prostituée. Il signifie « l’Africaine », ce qui laisse supposer que celle qui le porte est originaire d’Afrique romaine, le Maghreb actuel.
Alors que la persécution contre les chrétiens s’étend et s’amplifie, Afra aurait caché un prêtre proscrit, certaine que les autorités n’iraient pas le chercher chez elle… Elle prend un risque considérable, car cacher un chrétien, c’est partager son sort s’ils sont dénoncés. La grâce l’a alors touchée, elle, sa mère et leurs trois compagnes ; le prêtre les a instruites et baptisées. Afra distribue alors toute sa fortune aux pauvres. C’est sans doute le fait qu’elle ait abandonné son commerce coupable qui la fait dénoncer aux autorités comme chrétienne, à la stupeur du juge qui possède une assez haute idée des vertus des adeptes du Christ et dit : « Je sais bien que ton métier est incompatible avec la foi chrétienne. »
Refusant obstinément de sacrifier aux dieux romains, Afra est condamnée à mort et exécutée au lieu-dit Friedberg. Hilaria parvient à racheter la dépouille de sa fille, ce qui lui vaut d’être arrêtée et suppliciée à son tour avec ses trois anciennes employées.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
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Le récit du martyre de saint Afra disponible en ligne .
En complément
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Martha Schad, Afra, Bilder einer Heiligen, Augsbourg, 1993.
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Bernhard Schimmelpfennig, War die Heilige Afra eine Römerin ?, 1993.
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Les informations disponibles en ligne sur sainte Afra sont compilées sur le site Iconographie chrétienne : « Sainte Afra d’Augsbourg, vierge et martyre, et ses compagnes Ilaria, Degna, Eumenia, Euprepia, martyres » (français, anglais et italien).