
Première lecture
Frères, que demeure l’amour fraternel ! N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges. Souvenez-vous de ceux qui sont en prison, comme si vous étiez prisonniers avec eux. Souvenez-vous de ceux qui sont maltraités, car vous aussi, vous avez un corps. Que le mariage soit honoré de tous, que l’union conjugale ne soit pas profanée, car les débauchés et les adultères seront jugés par Dieu. Que votre conduite ne soit pas inspirée par l’amour de l’argent : contentez-vous de ce que vous avez, car Dieu lui-même a dit : Jamais je ne te lâcherai, jamais je ne t’abandonnerai. C’est pourquoi nous pouvons dire en toute assurance : Le Seigneur est mon secours, je n’ai rien à craindre ! Que pourrait me faire un homme ? Souvenez-vous de ceux qui vous ont dirigés : ils vous ont annoncé la parole de Dieu. Méditez sur l’aboutissement de la vie qu’ils ont menée, et imitez leur foi. Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même, il l’est pour l’éternité.
Psaume
Le Seigneur est ma lumière et mon salut.
Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? Le Seigneur est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ?
Qu’une armée se déploie devant moi, mon cœur est sans crainte ; que la bataille s’engage contre moi, je garde confiance.
Oui, il me réserve un lieu sûr au jour du malheur ; il me cache au plus secret de sa tente, il m’élève sur le roc.
C’est ta face, Seigneur, que je cherche : ne me cache pas ta face. N’écarte pas ton serviteur avec colère : tu restes mon secours.
Évangile
Alléluia. Alléluia.
Heureux ceux qui ont entendu la Parole dans un cœur bon et généreux, qui la retiennent et portent du fruit par leur persévérance.
Alléluia.
En ce temps-là, comme le nom de Jésus devenait célèbre, le roi Hérode en entendit parler. On disait : « C’est Jean, celui qui baptisait : il est ressuscité d’entre les morts, et voilà pourquoi des miracles se réalisent par lui. » Certains disaient : « C’est le prophète Élie. » D’autres disaient encore : « C’est un prophète comme ceux de jadis. » Hérode entendait ces propos et disait : « Celui que j’ai fait décapiter, Jean, le voilà ressuscité ! » Car c’était lui, Hérode, qui avait donné l’ordre d’arrêter Jean et de l’enchaîner dans la prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, que lui-même avait prise pour épouse. En effet, Jean lui disait : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton frère. » Hérodiade en voulait donc à Jean, et elle cherchait à le faire mourir. Mais elle n’y arrivait pas parce que Hérode avait peur de Jean : il savait que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait ; quand il l’avait entendu, il était très embarrassé ; cependant il l’écoutait avec plaisir. Or, une occasion favorable se présenta quand, le jour de son anniversaire, Hérode fit un dîner pour ses dignitaires, pour les chefs de l’armée et pour les notables de la Galilée. La fille d’Hérodiade fit son entrée et dansa. Elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai. » Et il lui fit ce serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, même si c’est la moitié de mon royaume. » Elle sortit alors pour dire à sa mère : « Qu’est-ce que je vais demander ? » Hérodiade répondit : « La tête de Jean, celui qui baptise. » Aussitôt la jeune fille s’empressa de retourner auprès du roi, et lui fit cette demande : « Je veux que, tout de suite, tu me donnes sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » Le roi fut vivement contrarié ; mais à cause du serment et des convives, il ne voulut pas lui opposer un refus. Aussitôt il envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean. Le garde s’en alla décapiter Jean dans la prison. Il apporta la tête sur un plat, la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.
Ayant appris cela, les disciples de Jean vinrent prendre son corps et le déposèrent dans un tombeau.
Méditer avec les carmes
L’Évangile, aujourd’hui, ne nous parle pas directement de Jésus, mais nous plonge dans ce monde décadent du premier siècle auquel se sont heurtés successivement le message du Baptiste et celui du Seigneur.
Et nous revivons avec le récit de saint Marc un véritable drame à quatre personnages, deux femmes et deux hommes, qui campent chacun une attitude humaine devant la vérité.
Le premier semble insignifiant : c’est la fille d’Hérodiade, la jeune danseuse. Toute son ambition se résume en un mot : plaire. Elle danse, elle plaît à tous, et cela lui suffit. L’image qu’elle a d’elle-même, c’est celle qu’elle voit dans les yeux des convives. Pour elle, vivre, c’est exister dans le désir des autres. Tout le reste, pour elle, est du vide, et quand Hérode veut la récompenser, elle se trouve sans idée, sans souhait, sans projet, totalement identifiée à la passion de sa mère à qui elle s’en remet : « Que vais-je demander ? »
Hérodiade, elle, est une femme de tête. Sa force, c’est la haine, et la haine froide. Elle a un compte à régler avec le Baptiste, avec celui qui a le courage de la mettre devant sa vérité. Des mois ont passé sans qu’elle puisse assouvir sa vengeance, et voilà pour elle une occasion inespérée : enfin elle va pouvoir forcer Hérode à sévir ! Et elle ne se contentera pas de promesses : elle veut, tout de suite, sur un plat, la tête de son ennemi.
Sa haine est si farouche qu’autour d’elle tout devient bas et ignoble : la générosité d’Hérode se mue en un acte de barbarie, le banquet d’anniversaire en un festin éclaboussé de sang.
Hérode, auprès d’elle, paraît plus complexe et un peu moins sordide.
À l’égard du Baptiste, ses réflexes présentent une ambivalence curieuse : d’une part il l’a fait arrêter et le tient enchaîné dans la forteresse de Machéronte ; mais en même temps il l’estime, il le craint, et il le protège.
Ainsi faisons-nous bien souvent avec la vérité qui pourrait nous convertir : nous ne la tuons pas, pas tout de suite, mais nous jouons avec elle. Nous aimons l’entendre et elle nous rend perplexes, mais nous nous contentons de ce frisson d’inquiétude, et nous laissons la vérité enchaînée quelque part dans la forteresse de notre moi, afin qu’elle ne parle que sur demande.
Mais on ne fait pas attendre impunément la vérité ; et le roi Hérode ne tarde pas à payer son indécision. Un vent de folie passe dans sa vie, et lui, qui se montre si avare et soupçonneux face à la vérité, promet la moitié de son royaume à cause du charme d’une danseuse.
Il a beau se ressaisir et mesurer son erreur ; déjà il est trop tard : c’est la passion qui lui a fait promettre, et c’est l’orgueil qui l’empêche de se dédire. Le chantage d’Hérodiade réussira, comme deux ans plus tard réussira le chantage des chefs juifs devant un Pilate indécis, qui aura trop longtemps louvoyé avec la vérité.
Le quatrième acteur du drame est muet. Jean a parlé avant, et c’est pour avoir parlé qu’il meurt au fond d’un cachot, en martyr de la vérité, victime à la fois des trois forces qui travaillent le cœur des autres : « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et l’orgueil de la vie » (1 Jn 2, 16).
Mais la mort ne le surprend pas ; il l’attendait depuis longtemps comme couronnement de son message. Il peut partir maintenant, il peut s’effacer, puisque déjà Jésus a pris le relais, pour baptiser dans l’Esprit Saint ceux que lui, Jean, avait seulement plongés dans l’eau.
Rien ne pouvait mieux parachever son destin de précurseur, son destin d’humilité, que cette mort dans l’ombre au moment où Jésus commençait à se manifester comme lumière des hommes : « Il faut qu’il croisse et que je diminue. Celui qui a l’épouse est l’Epoux, et l’ami de l’Epoux est là pour se réjouir. Telle est ma joie ; elle est parfaite ! »