
Première lecture
Frères, dans le Christ, nous sommes devenus le domaine particulier de Dieu, nous y avons été prédestinés selon le projet de celui qui réalise tout ce qu’il a décidé : il a voulu que nous vivions à la louange de sa gloire, nous qui avons d’avance espéré dans le Christ.
En lui, vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire.
Psaume
Heureux le peuple que le Seigneur s’est choisi pour domaine.
Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes ! Hommes droits, à vous la louange ! Rendez grâce au Seigneur sur la cithare, jouez pour lui sur la harpe à dix cordes.
Oui, elle est droite, la parole du Seigneur ; il est fidèle en tout ce qu’il fait. Il aime le bon droit et la justice ; la terre est remplie de son amour.
Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu, heureuse la nation qu’il s’est choisie pour domaine ! Du haut des cieux, le Seigneur regarde : il voit la race des hommes.
Évangile
Alléluia. Alléluia. Que ton amour, Seigneur, soit sur nous, comme notre espoir est en toi !
Alléluia.
En ce temps-là, comme la foule s’était rassemblée par milliers au point qu’on s’écrasait, Jésus, s’adressant d’abord à ses disciples, se mit à dire : « Méfiez-vous du levain des pharisiens, c’est-à-dire de leur hypocrisie. Tout ce qui est couvert d’un voile sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu. Aussi tout ce que vous aurez dit dans les ténèbres sera entendu en pleine lumière, ce que vous aurez dit à l’oreille dans le fond de la maison sera proclamé sur les toits. Je vous le dis, à vous mes amis : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, et après cela ne peuvent rien faire de plus. Je vais vous montrer qui vous devez craindre : craignez celui qui, après avoir tué, a le pouvoir d’envoyer dans la géhenne. Oui, je vous le dis : c’est celui-là que vous devez craindre. Est-ce que l’on ne vend pas cinq moineaux pour deux sous. Or pas un seul n’est oublié au regard de Dieu. À plus forte raison les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez sans crainte : vous valez plus qu’une multitude de moineaux. »
Méditer avec les carmes
L’Évangile d’aujourd’hui rapporte côte à côte quatre paroles de Jésus qui ont leur sens en elles-mêmes et réclament d’être comprises séparément. Retenons simplement la première, sur le levain des Pharisiens.
La foule s’est rassemblée par milliers pour entendre Jésus, au point que les gens s’écrasent. Saint Luc affectionne de souligner ainsi par des chiffres la popularité grandissante de Jésus.
« Gardez-vous du levain des Pharisiens », dit Jésus aux disciples.
Le levain, encore employé de nos jours par nos boulangers de campagne, c’était un morceau de vieille pâte qu’on laissait fermenter et qu’on mélangeait ensuite à une pâte neuve pour la faire lever. Qui dit levain, dit fermentation, et en un sens : corruption. Jésus, dans une parabole, prend l’image en bonne part lorsqu’il compare le Règne de Dieu à du levain qu’une femme cache dans trois mesures de farine « jusqu’à ce que tout ait levé ». Mais souvent le levain était considéré comme un élément impur. Ainsi, dans l’ancienne religion des Romains, le prêtre de Jupiter (Flamen dialis) n’avait pas le droit de toucher du levain, parce que ce levain venait de la corruption et corrompait à son tour. De même, encore maintenant, dans les familles juives pratiquantes, quand arrive la fête de la Pâque, on élimine de la maison toute trace de levain, afin d’accueillir avec un cœur nouveau la volonté de Dieu, comme au premier jour de l’Exode.
Saint Paul fait allusion à cette tradition lorsqu’il recommande aux Corinthiens : « Purifiez-vous du vieux levain, pour être une pâque nouvelle, puisque [déjà] vous êtes sans levain » (1 Co 5, 7). Les chrétiens doivent écarter tout levain, tout ce qui risque de contaminer leur foi et leur vie communautaire, car ils ont déjà été purifiés par l’offrande volontaire du Christ, l’Agneau pascal immolé.
C’est le sens négatif du levain que Jésus retient ici, mais il vise des attitudes bien précises : « Soyez en garde contre le levain des Pharisiens, c’est-à-dire l’hypocrisie ».
Jamais ailleurs dans son évangile Luc ne parle d’hypocrisie à propos des Pharisiens. Comment se manifeste cette hypocrisie ? Jésus l’a longuement expliqué, sans employer le terme, dans le chapitre précédent de saint Luc, au cours d’un repas pris chez un Pharisien, justement. Le levain des Pharisiens, ce sur quoi ils comptent pour faire lever la pâte et parvenir à leurs fins, c’est cette déformation de la vie de foi qui fait préférer l’extérieur, le visible, l’ostentatoire, à l’authenticité de la recherche de Dieu. C’est également une altération du jugement, par laquelle le croyant transforme toute sa vie en cérémonial et s’attache à des pratiques secondaires, toujours mesurables, aux dépens de l’essentiel, qui est de s’ajuster à Dieu et à son projet d’amour.
Laisser travailler en soi le levain des Pharisiens, c’est rechercher en tout les premières places et les marques d’estime. Souvent, c’est donner le change sur sa véritable vie spirituelle. Dans la vie communautaire, le levain d’hypocrisie recouvre aussi des formes subtiles de calcul et de dissimulation, une distorsion plus ou moins entretenue entre les motifs que l’on invoque et les visées réelles. Cette fermentation est encore à l’œuvre à tous les moments où l’on accepte de diviser pour mieux régner, de fermer les yeux pour n’avoir pas d’histoires, ou de laisser du flou pour n’être pas contesté.
Au moment où nous célébrons dans l’Eucharistie la Pâque de liberté, la victoire définitive de l’Agneau et l’alliance éternelle, ouvrons-nous à l’Esprit de Jésus, qui vient faire de nous des êtres nouveaux. Pour nous conduire à la vérité tout entière, il veut nous donner un cœur vrai, un cœur simple, qui ne soit plus à la fois oui et non, qui ne cherche plus « la gloire qui vient des hommes », et qui ne laisse travailler en lui d’autre ferment de la parole de Dieu.
Offrons-nous à la nouveauté de l’Esprit, jusqu’à ce que, dans notre vie, toute la pâte ait levé.