
Première lecture
Frères, j’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous. En effet, la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé l’espérance d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ; voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment peut-on l’espérer encore ? Mais nous, qui espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.
Psaume
Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous !
Quand le Seigneur ramena les captifs à Sion, nous étions comme en rêve ! Alors notre bouche était pleine de rires, nous poussions des cris de joie.
Alors on disait parmi les nations : « Quelles merveilles fait pour eux le Seigneur ! » Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous : nous étions en grande fête !
Ramène, Seigneur, nos captifs, comme les torrents au désert. Qui sème dans les larmes moissonne dans la joie.
il s’en va, il s’en va en pleurant, il jette la semence ; il s’en vient, il s’en vient dans la joie, il rapporte les gerbes.
Évangile
Alléluia. Alléluia. Tu es béni, Père, Seigneur du ciel et de la terre, tu as révélé aux tout-petits les mystères du Royaume ! Alléluia.
En ce temps-là, Jésus disait : « À quoi le règne de Dieu est-il comparable, à quoi vais-je le comparer ? Il est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise et jetée dans son jardin. Elle a poussé, elle est devenue un arbre, et les oiseaux du ciel ont fait leur nid dans ses branches. » Il dit encore : « À quoi pourrai-je comparer le règne de Dieu ? Il est comparable au levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. »
Méditer avec les carmes
Une graine infime devient un arbre. Ainsi en va-t-il du Royaume de Dieu : la même loi de disproportion se vérifie, et aussi un miracle de vie encore plus inouï.
Car le Royaume de Dieu n’est pas une sorte de territoire découpé sur terre, mais une réalité intérieure. Au temps de Jésus, on appelait Royaume de Dieu, ou mieux « règne de Dieu », « royauté de Dieu », l’emprise de Dieu sur le cœur de l’homme, la place de Dieu dans le cœur de l’homme, la seigneurie de Dieu que l’homme doit reconnaître et sa volonté de salut dans laquelle il doit entrer.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit dans la parabole de Jésus que nous lisons aujourd’hui.
L’amitié de Dieu avec le croyant commence et recommence toujours sans bruit, sans éclat, sans insistance. C’est une lumière d’un instant, un moment d’espérance, la certitude d’être aimé et pardonné. C’est souvent un instant bref et fugitif, apparemment sans importance et sans conséquences, pas plus épais dans la vie qu’une graine de sénevé qui roule entre les doigts.
Mais si nous savons reconnaître la visite de Dieu, si nous avons le courage de dire : « C’est Dieu qui passe », si nous donnons tout son prix à cet amour que Dieu nous propose sans s’imposer, une grande aventure d’espérance peut commencer, dont Jésus sera le maître.
Si nous faisons confiance à la grâce et que nous laissons se déployer le mystère de la vie, si nous laissons agir le Vivant et son mystère, l’amour de Dieu en nous devient un arbre tout bruissant : Dieu, une fois accueilli, vient accueillir en nous ceux qu’il nous donne à aimer.
Nous avons tous expérimenté dans notre existence personnelle, dans notre vie de foi, le mystère de certains commencements, qui parurent, à nos yeux, d’une pauvreté désespérante, et qui pourtant étaient riches, déjà, de toute la force de Dieu. Mais cette loi de disproportion, qui est au fond une certaine élégance de la puissance de Dieu, nous sommes beaucoup moins prêts à la reconnaître dans la vie de nos communautés.
Après des années d’efforts et de fidélité, de reprises et de demi-conversions, il nous arrive de sentir, parfois avec une sorte d’angoisse, la disproportion de nos forces avec les exigences nouvelles du témoignage, et l’avenir nous semble alors hasardeux, ténu, sans épaisseur, comme la graine de sénevé qu’on sent à peine entre ses doigts.
C’est alors que Jésus nous rejoint pour nous dire : « Gardez confiance et gardez l’unité par le lien de la paix, et moi, de la graine minuscule de votre foi et de votre charité, je ferai un grand arbre. »
L’arbre, jamais nous ne le verrons en train de pousser, car aucun œil humain n’est fait pour ces longues patiences. L’important est que cet arbre grandisse sous le regard de Dieu.
De même, Dieu seul sait quand la pâte de notre communauté aura suffisamment levé pour la fournée qu’il prépare. Ce qu’il nous demande à tous c’est d’être levain, ferment de prière et ferment d’unité. Ferment caché, enfoui, comme le Fils de Dieu dans notre humanité.