
Première lecture
Le Seigneur mon Dieu m’a donné le langage des disciples, pour que je puisse, d’une parole, soutenir celui qui est épuisé. Chaque matin, il éveille, il éveille mon oreille pour qu’en disciple, j’écoute. Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille, et moi, je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé. J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient, et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe. Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats. Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages, c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre : je sais que je ne serai pas confondu.
Psaume
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
Tous ceux qui me voient me bafouent, ils ricanent et hochent la tête : « Il comptait sur le Seigneur : qu’il le délivre ! Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »
Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure. Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os.
Ils partagent entre eux mes habits et tirent au sort mon vêtement. Mais toi, Seigneur, ne sois pas loin : ô ma force, viens vite à mon aide !
Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le Seigneur.
Deuxième lecture
Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père.
Évangile
Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus. Pour nous, le Christ est devenu obéissant, jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom. Gloire et louange à toi, Seigneur Jésus.
En ce temps-là,
L. L’assemblée tout entière se leva, et on l’emmena chez Pilate. On se mit alors à l’accuser :
F. « Nous avons trouvé cet homme en train de semer le trouble dans notre nation : il empêche de payer l’impôt à l’empereur, et il dit qu’il est le Christ, le Roi. »
L. Pilate l’interrogea :
A. « Es-tu le roi des Juifs ? »
L. Jésus répondit :
X « C’est toi-même qui le dis. »
L. Pilate s’adressa aux grands prêtres et aux foules :
A. « Je ne trouve chez cet homme aucun motif de condamnation. »
L. Mais ils insistaient avec force :
F. « Il soulève le peuple en enseignant dans toute la Judée ; après avoir commencé en Galilée, il est venu jusqu’ici. »
L. À ces mots, Pilate demanda si l’homme était Galiléen. Apprenant qu’il relevait de l’autorité d’Hérode, il le renvoya devant ce dernier, qui se trouvait lui aussi à Jérusalem en ces jours-là.
À la vue de Jésus, Hérode éprouva une joie extrême : en effet, depuis longtemps il désirait le voir à cause de ce qu’il entendait dire de lui, et il espérait lui voir faire un miracle. Il lui posa bon nombre de questions, mais Jésus ne lui répondit rien. Les grands prêtres et les scribes étaient là, et ils l’accusaient avec véhémence. Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui : il le revêtit d’un manteau de couleur éclatante et le renvoya à Pilate. Ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent des amis, alors qu’auparavant il y avait de l’hostilité entre eux.
Alors Pilate convoqua les grands prêtres, les chefs et le peuple. Il leur dit :
A. « Vous m’avez amené cet homme en l’accusant d’introduire la subversion dans le peuple. Or, j’ai moi-même instruit l’affaire devant vous et, parmi les faits dont vous l’accusez, je n’ai trouvé chez cet homme aucun motif de condamnation. D’ailleurs, Hérode non plus, puisqu’il nous l’a renvoyé. En somme, cet homme n’a rien fait qui mérite la mort. Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. »
L. Ils se mirent à crier tous ensemble :
F. « Mort à cet homme ! Relâche-nous Barabbas. »
L. Ce Barabbas avait été jeté en prison pour une émeute survenue dans la ville, et pour meurtre. Pilate, dans son désir de relâcher Jésus, leur adressa de nouveau la parole. Mais ils vociféraient :
F. « Crucifie-le ! Crucifie-le ! »
L. Pour la troisième fois, il leur dit :
A. « Quel mal a donc fait cet homme ? Je n’ai trouvé en lui aucun motif de condamnation à mort. Je vais donc le relâcher après lui avoir fait donner une correction. »
L. Mais ils insistaient à grands cris, réclamant qu’il soit crucifié ; et leurs cris s’amplifiaient. Alors Pilate décida de satisfaire leur requête. Il relâcha celui qu’ils réclamaient, le prisonnier condamné pour émeute et pour meurtre, et il livra Jésus à leur bon plaisir.
L. Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix pour qu’il la porte derrière Jésus. Le peuple, en grande foule, le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur Jésus. Il se retourna et leur dit :
X « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Voici venir des jours où l’on dira : ‘Heureuses les femmes stériles, celles qui n’ont pas enfanté, celles qui n’ont pas allaité ! ’ Alors on dira aux montagnes : ‘Tombez sur nous’, et aux collines : ‘Cachez-nous. ’ Car si l’on traite ainsi l’arbre vert, que deviendra l’arbre sec ? »
L. Ils emmenaient aussi avec Jésus deux autres, des malfaiteurs, pour les exécuter.
Lorsqu’ils furent arrivés au lieu dit : Le Crâne (ou Calvaire), là ils crucifièrent Jésus, avec les deux malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Jésus disait :
X « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. »
L. Puis, ils partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort.
Le peuple restait là à observer. Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient :
F. « Il en a sauvé d’autres : qu’il se sauve lui-même, s’il est le Messie de Dieu, l’Élu ! » L. Les soldats aussi se moquaient de lui ; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée, en disant :
F. « Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même ! »
L. Il y avait aussi une inscription au-dessus de lui : « Celui-ci est le roi des Juifs. »
L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait :
A. « N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi ! »
L. Mais l’autre lui fit de vifs reproches :
A. « Tu ne crains donc pas Dieu ! Tu es pourtant un condamné, toi aussi ! Et puis, pour nous, c’est juste : après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. Mais lui, il n’a rien fait de mal. »
L. Et il disait : A. « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. »
L. Jésus lui déclara :
X « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
L. C’était déjà environ la sixième heure (c’est-à-dire : midi) ; l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure, car le soleil s’était caché. Le rideau du Sanctuaire se déchira par le milieu. Alors, Jésus poussa un grand cri :
X « Père, entre tes mains je remets mon esprit. »
L. Et après avoir dit cela, il expira. (Ici on fléchit le genou et on s’arrête un instant)
À la vue de ce qui s’était passé, le centurion rendit gloire à Dieu :
A. « Celui-ci était réellement un homme juste. » L. Et toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine. Tous ses amis, ainsi que les femmes qui le suivaient depuis la Galilée, se tenaient plus loin pour regarder.
Méditer avec les carmes
Au temps du Christ, quand on menait un homme au supplice, sur tout le parcours jusqu’au lieu de l’exécution le condamné portait une pancarte blanche, ou encore on la faisait porter devant lui. On y inscrivait en lettres noires ou rouges le motif du châtiment.
C’est ainsi qu’on a pu lire, fixée au-dessus de la croix de Jésus, une inscription avec ces quelques mots méprisants : »Ho basileus tôn Ioudaiôn houtos : cet individu est le roi des Juifs ».
Or, à cette même époque, la région appelée Palestine n’était pas sans roi. Elle en avait même deux : Hérode Antipas (4 av. - 39 ap.) en Galilée et en Transjordanie, et Philippe (4 av. - 34 ap.) dans le Golan.
Seule la Judée, avec Jérusalem, était contrôlée directement par le procurateur romain.
Si les juges de Jésus, en particulier le romain, avait pu retenir contre lui ce grief politique : « Il a voulu se faire roi », c’est que spontanément, durant la vie publique de Jésus, beaucoup de croyants, surtout dans le peuple, avaient reconnu en lui le Messie attendu par Israël, et un Messie Roi. On espérait que Jésus prendrait en main les destinées politiques du pays, lui qui avait su nourrir toute une foule en pleine campagne. On attendait de lui qu’il secoue le joug de l’occupant et qu’il redonne à son peuple l’indépendance d’autrefois.
Jésus, lui, se méfiait de cet enthousiasme et de ce que les gens mettaient sous le titre : Messie, fils de David. Fils de David, il l’était ; Messie, il l’était, lui l’Envoyé de Dieu ; mais il ne voulait pas qu’on l’assimile aux rois terrestres. C’est pourquoi, au cours de son procès, il répondra à Pilate : « Ma royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18, 36).
La scène de la crucifixion nous permet de mesurer à la fois la force de l’espérance que Jésus avait suscitée et le désarroi de la foule devant un Messie crucifié.
Saint Luc nous décrit quatre groupes d’hommes autour de la croix : le peuple, qui regarde ; les chefs juifs, qui ricanent ; les soldats romains, qui se moquent. Jésus en croix est bien, comme le dira Paul, « un scandale pour les Juifs et une folie pour les païens » (1 Co 1, 23). Quant au quatrième groupe, ce sont les deux malfaiteurs crucifiés avec Jésus : l’un se révolte et fait chorus avec les moqueurs, le second espère, et se désolidarise de la haine.
À quatre reprises revient le verbe sauver, en liaison avec le nom de Messie (Christ) ou de roi :
« Il en a sauvé d’autres, qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ, l’Élu ! »
« Si tu es le roi des Juifs, sauve- toi toi-même ! »
« N’es-tu pas le Christ ? Sauve- toi toi-même, et nous aussi ! »
Sans le savoir, sans s’en douter, ces hommes qui défient Jésus nous orientent vers l’essentiel du mystère de ses souffrances et de sa mort : Jésus ne veut pas se sauver de la croix, parce qu’il veut nous sauver par sa croix, par l’amour qu’il donne au Père sur la croix. Car c’est l’amour qui est force de salut, et non la souffrance par elle-même.
Nous tenons là, face à Jésus souffrant, une lumière qui éclaire notre propre destin et le destin de tous ceux que nous aimons. Jésus ne nous sauve pas de la croix, de notre croix, mais il nous sauve par sa croix, c’est-à-dire par l’amour qu’il nous a prouvé sur la croix ; et il nous offre de faire à notre tour de notre croix une preuve d’amour.
Il nous a dit lui-même : « Celui qui veut me suivre, qu’il prenne sa croix ». Où est-elle, notre croix ? - C’est le réel de notre existence, le quotidien de nos vies, tout autant que les grandes épreuves ; c’est ce que nous avons à porter pour rester fidèles à Jésus Christ et pour le servir dans nos frères, et puis aussi tout ce que nous assumons librement par amour pour mieux reproduire l’image du Fils Premier-né.
Jésus nous redit : « Prends ta croix, la croix de ton combat pour l’authenticité chrétienne, la croix de ton effort de charité, la croix de ton souci missionnaire ; je vais te montrer comment la porter par amour. »
C’est ainsi que notre vie est livrée au Christ, Roi de l’univers, et vécue au compte de l’Envoyé de Dieu : notre vie n’est plus à nous-mêmes, mais à celui qui pour nous est mort et ressuscité, le Premier-né d’entre les morts. Et cette destinée pascale, inscrite déjà dans notre baptême, est la même, fondamentalement, pour toutes les filles de Dieu, pour une mère de famille comme pour une carmélite, pour une étudiante comme pour une employée, pour une jeune en recherche comme pour une aïeule qui achève sa vie. C’est dans le quotidien que l’on acquiesce à la volonté du Père et que l’on rencontre la croix ; c’est dans le quotidien que l’on dit à Dieu son amour. Car c’est bien d’amour et de joie chrétienne qu’il s’agit.
C’est dans notre vie de tous les jours que le Christ Messie veut être roi, parce qu’il est roi avant tout sur des cœurs libres. Sa royauté n’est pas de ce monde : elle ne remplace pas les structures politiques, elle ne s’impose ni par la force ni par l’asservissement des consciences. La royauté de Jésus, c’est le rayonnement universel de sa parole, c’est l’illumination de chaque cœur de croyant, c’est l’incendie de la charité jusqu’aux confins de la terre, à commencer par l’incendie de notre cœur, où tout doit prendre feu « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».