
Première lecture
Frères, ce n’est pas en vertu de la Loi que la promesse de recevoir le monde en héritage a été faite à Abraham et à sa descendance, mais en vertu de la justice obtenue par la foi. Voilà pourquoi on devient héritier par la foi : c’est une grâce, et la promesse demeure ferme pour tous les descendants d’Abraham, non pour ceux qui se rattachent à la Loi seulement, mais pour ceux qui se rattachent aussi à la foi d’Abraham, lui qui est notre père à tous. C’est bien ce qui est écrit : J’ai fait de toi le père d’un grand nombre de nations. Il est notre père devant Dieu en qui il a cru, Dieu qui donne la vie aux morts et qui appelle à l’existence ce qui n’existe pas. Espérant contre toute espérance, il a cru ; ainsi est-il devenu le père d’un grand nombre de nations, selon cette parole : Telle sera la descendance que tu auras !
Psaume
Le Seigneur s’est toujours souvenu de son alliance.
Vous, la race d’Abraham son serviteur, les fils de Jacob, qu’il a choisis, le Seigneur, c’est lui notre Dieu : ses jugements font loi pour l’univers.
Il s’est toujours souvenu de son alliance, parole édictée pour mille générations : promesse faite à Abraham, garantie par serment à Isaac,
Il s’est ainsi souvenu de la parole sacrée et d’Abraham, son serviteur ; il a fait sortir en grande fête son peuple, ses élus, avec des cris de joie !
Évangile
Alléluia. Alléluia. L’Esprit de vérité rendra témoignage en ma faveur, dit le Seigneur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage. Alléluia.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Je vous le dis : Quiconque se sera déclaré pour moi devant les hommes, le Fils de l’homme aussi se déclarera pour lui devant les anges de Dieu. Mais celui qui m’aura renié en face des hommes sera renié à son tour en face des anges de Dieu. Quiconque dira une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera pardonné ; mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera pas pardonné. Quand on vous traduira devant les gens des synagogues, les magistrats et les autorités, ne vous inquiétez pas de la façon dont vous vous défendrez ni de ce que vous direz. Car l’Esprit Saint vous enseignera à cette heure-là ce qu’il faudra dire. »
Méditer avec les carmes
L’Évangile, aujourd’hui, rapproche trois paroles de Jésus, qui évoquent tour à tour le rôle des trois personnes divines : - le Père, Dieu du jugement ultime (v. 8-9) et du pardon (v. 10) ;
Jésus, le Fils de l’Homme, que l’on peut confesser dans la foi, mais aussi renier ;
l’Esprit Saint, qui inspire notre parole de témoins, mais contre qui l’homme, dans sa folie, peut blasphémer.
Il n’est pas facile de préciser, à partir des Évangiles, ce qu’est le blasphème contre l’Esprit.
Dans l’épisode de Béelzéboul (Mc 3, 28s), ce blasphème consiste à prétendre que Jésus est habité par l’esprit du mal, alors même qu’il chasse les démons. Résister à l’Esprit, c’est donc contester la puissance efficace de Dieu, c’est nier sa volonté de salut, c’est discréditer les envoyés de Dieu, comme Étienne le reprochera à ses adversaires, quelques instants avant d’être lapidé : « Nuques raides, oreilles et cœurs endurcis, toujours vous résistez, vous, à l’Esprit, l’Esprit Saint. [. .] Lequel des prophètes vos pères n’ont-ils pas persécuté ? » (Ac 7, 51s).
Jésus comprenait et était prêt à tolérer qu’on se méprenne sur sa personne ; mais il s’est montré sévère pour ceux qui refusaient de voir en lui l’Esprit Saint à l’œuvre. Sa parole sur le blasphème a été par la suite lue à plusieurs niveaux, à la lumière des difficultés apparues dans la vie de l’Église.
On a compris « la parole contre le Fils de l’Homme » comme le rejet de Jésus par ses contemporains durant son ministère, et ce rejet était pardonnable ; et l’on a pensé que le blasphème contre l’Esprit Saint, faute irrémissible, consistait à récuser Jésus alors que l’Esprit Saint, donné à la Pentecôte, était visiblement à l’œuvre, accompagnant les disciples, authentifiant leur prédication et les fortifiant dans leur martyre.
Un peu plus tard, Origène expliquera, avec d’autres Pères de l’Église : « Parler contre le Fils de l’Homme, c’est pardonnable, parce que c’est le fait de non-croyants, avant le baptême ; parler contre le Saint-Esprit, c’est une apostasie impardonnable de la part de ceux qui sont devenus des disciples du Christ », (cf. Hb 6, 4-6).
La parole, sévère, sur le blasphème contre l’Esprit Saint, doit, bien sûr, se comprendre à partir de l’enseignement de Jésus sur le désir de pardon qui habite le cœur de Dieu. Jamais Dieu ne ferme son cœur à un fils qui se repent et qui prend le chemin du retour. Le péché impardonnable, ce n’est pas le simple refus du message de Jésus ou du témoignage de ses disciples, car bien des hommes s’en détournent loyalement, mais c’est la persistance dans une attitude volontaire de refus ou de rejet, alors que la lumière de Jésus a déjà pénétré le cœur de l’homme et que l’homme a perçu déjà à quel choix de vie l’invite l’Esprit de Dieu.
La lumière est toujours proposée, mais l’homme peut préférer ses ténèbres. Le pardon est toujours ouvert, mais l’homme peut toujours librement s’y fermer. Rien n’est irréversible dans le cœur de Dieu, mais la solitude de l’homme peut durer aussi longtemps que ses refus.
Jésus, dans son enseignement, aimait opposer deux attitudes, pour rappeler à tous le devoir de choisir. Les deux fils (Lc 15, 11-32 ; Mt 21, 28-30), le bon arbre et l’arbre mauvais (Lc 6, 43s), le trésor de l’homme bon et le mauvais fond du mauvais (6, 45), la maison sur le roc et la maison sur le sable (6, 47s) : autant d’images par lesquelles Jésus replaçait chaque disciple devant des options courageuses.
Nous avons parfois du mal à concilier l’immense miséricorde de Dieu et ces appels de Jésus à une attitude responsable. Jésus, lui, affirme avec force les deux à la fois, et il ne renonce jamais à nous proposer les nécessaires dépassements, car il veut nous donner la force d’accomplir ce qu’il nous commande.
Sa pédagogie est exigeante, mais nous y voyons, dans la foi, un signe de son amour et de sa volonté de nous faire vivre. Son propos est clair, pour nous qui croyons à sa bonté ; mais cela ne nous autorise à aucun jugement sur le prochain. Seul Dieu pourrait dire d’un homme : « son refus est coupable, il blasphème contre l’Esprit Saint », parce que seul le regard de Dieu peut sonder « ce qui est en l’homme » (1 Co 2, 11). Seul Dieu est capable de juger, parce que son amour va aussi loin que sa connaissance, et même lorsque nous voulons nous juger nous-mêmes, nous sommes renvoyés immédiatement à cet amour qui prend en Dieu sa source. Mais nous avons mieux à faire : ce qui nous revient, et ce qui fait notre bonheur, c’est de rester ouverts à la parole dérangeante de Jésus, vulnérables à ses invitations, et spontanément à l’écoute de son Esprit.