Marie : grâce et espérance dans le Christ (ARCIC : anglicans et catholiques)
Ce rapport témoigne d’un chemin de foi partagé entre catholiques romains et anglicans, qui, en contemplant ensemble la figure de Marie, Mère du Seigneur, reconnaissent en elle un modèle d’obéissance, de grâce et d’espérance, fondement d’une communion renouvelée dans la prière et la doctrine. En mettant en lumière leur héritage commun et les défis théologiques, ce dialogue œcuménique invite à approfondir la place unique de Marie dans la vie de l’Église et dans le mystère du salut.
Le rapport de Seattle La Commission internationale anglicane - catholique romaine (ARCIC)
Préface des Coprésidents
Au cours du trajet sans cesse poursuivi vers la pleine communion, l'Église catholique romaine et les Églises de la Communion anglicane ont, pendant de nombreuses années, étudié dans un contexte de prière un certain nombre de questions concernant la foi que nous partageons et la façon dont nous l'exprimons dans la vie et le culte de nos deux familles de croyants. Nous avons soumis des accords au Saint-Siège et à la Communion anglicane pour commentaire, plus ample clarification si besoin et acceptation conjointe de leur conformité avec la foi des anglicans et des catholiques romains.
En rédigeant le présent accord, nous avons puisé dans les Écritures et dans la tradition commune d'avant la Réforme et la Contre-Réforme. Comme dans les documents antérieurs de l'ARCIC, nous avons eu le souci d'utiliser un langage qui reflète ce que nous tenons en commun et qui transcende les controverses du passé. Dans ce rapport, il nous fallait en même temps nous confronter franchement à des définitions dogmatiques qui font partie intégrante de la foi des catholiques romains mais qui sont étrangères à la foi des anglicans. Les membres de la Commission internationale anglicane-catholique romaine ont cherché, au fil du temps, à englober les façons qu'ont les uns et les autres de faire de la théologie et ont considéré ensemble le contexte historique dans lequel certaines doctrines se sont développées. Ce faisant, nous avons appris à recevoir de manière nouvelle nos propres traditions, éclairées et approfondies par la compréhension et l'appréciation de la tradition des uns et des autres.
Notre accord au sujet de la bienheureuse Vierge Marie en tant que modèle de grâce et d'espérance reflète très fort nos efforts pour rechercher ce que nous tenons en commun et rend hommage à des aspects importants de notre héritage commun. Marie, la mère de notre Seigneur Jésus Christ, se tient devant nous comme un exemple d'obéissance fidèle et son « Qu'il m'advienne selon ta parole » est la réponse pleine de grâce que chacun de nous est appelé à faire à Dieu, à la fois personnellement et dans la communauté en tant qu'Église, corps du Christ. C'est en tant qu'elle est une figure de l'Église, levant ses bras pour la prière et la louange, les mains ouvertes, réceptive et disponible pour l'effusion de l'Esprit Saint, que nous sommes unis à Marie qui glorifie le Seigneur. En toute vérité Marie déclare, dans son chant rapporté dans l'évangile de Luc : « à partir de ce jour toutes les générations me diront bienheureuse ».
Nos deux traditions partagent beaucoup des fêtes associées à Marie. Notre expérience nous a fait découvrir que c'est dans le domaine de la liturgie que nous réalisons notre plus profonde convergence, lorsque nous rendons grâce à Dieu pour la Mère du Seigneur qui est une avec nous dans cette vaste communauté d'amour et de prière que nous appelons la communion des saints.
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Alexander J. Brunett
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Peter F. Carnley
Seattle Fête de la Présentation 2 février 2004
Introduction
1. En honorant Marie comme Mère du Seigneur, toutes les générations d'anglicans et de catholiques romains ont fait écho à la salutation d'Élisabeth : « Bénie es-tu entre les femmes et béni est le fruit de ton ventre » (Luc 1, 42). La Commission internationale anglicane - catholique romaine présente maintenant cette déclaration d'accord sur la place de Marie dans la vie et la doctrine de l'Église avec l'espoir qu'elle exprime notre foi commune au sujet de celle qui, de tous les croyants, est la plus proche de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ. Nous le faisons à la demande de nos deux Communions, en réponse aux questions qui nous ont été soumises. Une consultation spéciale d'évêques anglicans et catholiques romains, réunie sous la direction de l'archevêque de Cantorbéry, le Dr George Carey, et du cardinal Edward I. Cassidy, président du Conseil pontifical pour la promotion de l'unité des chrétiens, à Mississauga, Canada, en 2000, a expressément demandé à l'ARCIC « une étude sur Marie dans la vie et la doctrine de l'Église ». Cette demande rappelle l'observation du rapport de Malte (1968) notant que « les différences réelles ou apparentes entre nous se font jour dans des questions comme ... les définitions mariales promulguées en 1854 et 1950 ». Plus récemment, dans Ut unum sint (1995), le pape Jean-Paul II a identifié comme un des thèmes à approfondir par toutes les traditions chrétiennes pour parvenir à un vrai consensus dans la foi « la Vierge Marie, mère de Dieu et icône de l'Église, Mère spirituelle qui intercède pour les disciples du Christ et pour toute l'humanité » (§ 79).
2. L'ARCIC a abordé une fois précédente ce sujet. Autorité dans l'Église II (1981) a déjà pris acte d'un niveau d'accord significatif :
« Nous sommes d'accord qu'il ne peut y avoir qu'un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus Christ, et nous rejetons toute interprétation du rôle de Marie qui obscurcit cette affirmation. Nous sommes d'accord pour reconnaître que la compréhension chrétienne de Marie est inséparablement liée avec les doctrines du Christ et de l'Église. Nous sommes d'accord pour reconnaître la grâce et la vocation unique de Marie, Mère de Dieu incarné (Theotókos) en observant ses fêtes et en l'honorant à l'intérieur de la communion des saints. Nous sommes d'accord qu'elle a été préparée par la grâce divine pour être la mère de notre Sauveur par qui elle-même a été sauvée et reçue dans la gloire. En outre, nous sommes d'accord pour reconnaître en Marie un modèle de sainteté, d'obéissance et de foi pour tous les chrétiens. Nous acceptons qu'il est possible de la regarder comme une figure prophétique de l'Église de Dieu avant comme après l'Incarnation » (§ 30).
Cependant le même document relève des différences qui subsistent :
« Les dogmes de l'Immaculée Conception et de l'Assomption soulèvent un problème particulier pour ceux des anglicans qui ne pensent pas que les définitions précises données par ces dogmes soient suffisamment fondées dans l'Écriture. Pour beaucoup d'anglicans l'autorité d'enseignement de l'évêque de Rome, exercée indépendamment d'un concile, n'est pas mise positivement en lumière par sa proclamation de ces doctrines mariales comme des dogmes obligatoires pour tous les croyants. Les anglicans peuvent aussi se demander si lors d'une future union entre les deux Églises on leur demanderait de souscrire à ces déclarations dogmatiques. » (§ 30).
Ces réserves en particulier ont été notées dans le document officiel Réponse du Saint-Siège au rapport final (1991, § 13). Ayant pris ces croyances partagées et ces questions comme point de départ de notre réflexion, nous sommes maintenant en mesure d'affirmer un nouvel accord significatif sur la place de Marie dans la vie et la doctrine de l'Église.
3. Le présent document propose un relevé plus complet de notre foi partagée concernant la bienheureuse Vierge Marie et fournit ainsi le contexte d'une appréciation commune du contenu des dogmes mariaux. Nous abordons aussi les différences de pratique, y compris l'invocation explicite de Marie. Cette nouvelle étude sur Marie a bénéficié de notre précédente étude sur la « réception » dans Le don de l'autorité (1999). Nous y avons conclu que, lorsque l'Église reçoit et admet ce qu'elle reconnaît comme l'expression authentique de la Tradition confiée une fois pour toutes aux Apôtres, cette réception est un acte à la fois de fidélité et de liberté. La liberté de répondre de manière renouvelée face à de nouveaux défis est ce qui rend l'Église capable d'être fidèle à la Tradition qu'elle transmet. En d'autres occasions, certains éléments de la Tradition apostolique peuvent être oubliés, négligés ou malmenés. Dans ces situations, un recours renouvelé à l'Écriture et à la Tradition remet en mémoire la révélation de Dieu dans le Christ : nous appelons ce processus re-réception (cf. Don 24-25). Le progrès dans le dialogue et la compréhension œcuméniques suggère que nous avons maintenant une occasion de re-recevoir ensemble la tradition sur la place de Marie dans la révélation de Dieu.
4. Depuis ses débuts l'ARCIC a cherché à remonter en arrière des positions opposées et bien arrêtées pour découvrir et développer notre héritage commun de foi (cf. Autorité I 25). À la suite de la Déclaration commune de 1966 du pape Paul VI et de l'archevêque de Cantorbéry, le Dr Michael Ramsey, nous avons continué notre « dialogue sérieux ... fondé sur les évangiles et les traditions anciennes communes ». Nous nous sommes demandés jusqu'à quel point la doctrine et la dévotion concernant Marie font partie d'une « réception » légitime de la Tradition apostolique en conformité avec les Écritures. Cette Tradition a comme noyau la proclamation de « l'économie » trinitaire « du salut », qui fonde la vie et la foi de l'Église dans la communion divine du Père, du Fils et de l'Esprit. Nous avons cherché à comprendre la personne de Marie et son rôle dans l'histoire du salut et dans la vie de l'Église à la lumière d'une théologie de la grâce divine et de l'espérance. Une telle théologie est profondément enracinée dans l'expérience constante de la liturgie et de la dévotion chrétiennes.
5. La grâce de Dieu appelle et rend possible la réponse humaine (cf. Le Salut et l'Église 9). On le voit dans le récit évangélique de l'annonciation, où le message de l'ange provoque la réponse de Marie. L'Incarnation et tout ce qu'elle a entraîné, y compris la passion, la mort et la résurrection du Christ et la naissance de l'Église, se produisent grâce au fiat librement exprimé par Marie — « qu'il m'advienne selon ta parole » (Luc 1, 38). Nous reconnaissons dans l'événement de l'Incarnation le « oui » gratuit de Dieu à l'humanité dans son ensemble. Cela nous rappelle une fois de plus les paroles de l'Apôtre dans 2 Corinthiens 1, 18-20 (Don 8ss) : toutes les promesses de Dieu reçoivent leur « oui » dans le Fils de Dieu, Jésus Christ. Dans ce contexte le fiat de Marie peut être considéré comme l'exemple suprême de l'« amen » d'un croyant en réponse au « oui » de Dieu. Les disciples chrétiens répondent à ce même « oui » avec leur propre « amen ». Ils savent ainsi qu'ils sont eux-mêmes ensemble les enfants de l'unique Père des cieux, nés de l'Esprit comme frères et sœurs de Jésus Christ, entraînés au sein de la communion d'amour de la Trinité. Marie résume une telle participation à la vie de Dieu. Sa réponse n'a pas été faite sans profonde interrogation et elle s'est exprimée dans une vie marquée par une joie mêlée de peines qui l'a en fait menée au pied de la croix de son fils. Quand les chrétiens s'unissent dans l'« amen » de Marie au « oui » de Dieu dans le Christ, ils s'engagent eux-mêmes à une réponse obéissante à la Parole de Dieu, qui conduit à une vie de prière et de service. Comme Marie, ils ne glorifient pas seulement le Seigneur des lèvres : ils s'engagent eux-mêmes à servir la justice de Dieu par leurs vies (cf. Luc 1, 46-55).
A. Marie selon les Écritures
6. Nous restons convaincus que les Écritures saintes, en tant que Parole de Dieu écrite, portent témoignage de façon normative du plan divin de salut, aussi est-ce vers elles que ce rapport se porte d'abord. En effet, il est impossible d'être fidèle à l'Écriture et de ne pas prendre Marie sérieusement en considération. Nous reconnaissons, toutefois, que, pendant plusieurs siècles, anglicans et catholiques romains ont interprété les Écritures tout en étant séparés les uns des autres. En réfléchissant ensemble au témoignage des Écritures concernant Marie, nous avons découvert plus que de simples aperçus attachants sur la vie d'une grande. Nous nous sommes trouvés méditer avec étonnement et gratitude sur toute la trajectoire de l'histoire du salut : la création, l'élection, l'Incarnation, passion et résurrection du Christ, le don de l'Esprit dans l'Église et la vision finale de la vie éternelle pour tout le peuple de Dieu dans la nouvelle création.
7. Dans les paragraphes qui suivent, nous recourons à l'Écriture avec le souci de faire appel à toute la tradition de l'Église, au cours de laquelle furent utilisés des lectures riches et variées. Dans le Nouveau Testament, l'Ancien Testament est généralement interprété de manière typologique[1] : des événements et des images sont comprises en référence spécifique au Christ. Cette approche est développée ensuite par les Pères et les prédicateurs et auteurs du Moyen Âge. Les Réformateurs ont souligné la clarté et la suffisance de l'Écriture et ont appelé à un retour à la réalité centrale du message évangélique. Les approches historico-critiques ont tenté de discerner le sens voulu par les auteurs bibliques et de rendre compte des origines des textes. Chacune de ces lectures a ses limites et peut donner lieu à des exagérations ou à des déséquilibres : la typologie peut se laisser aller à des extravagances, les insistances de la Réforme devenir réductionnistes et les méthodes historico-critiques exagérément historicistes. Des approches plus récentes de l'Écriture attirent l'attention sur la gamme de lectures possibles d'un texte, notamment ses dimensions narratives, rhétoriques et sociologiques. Dans ce rapport nous cherchons à intégrer ce qui est valable dans chacune de ces approches comme correction et, en même temps, comme contribution à notre utilisation de l'Écriture. En outre, nous reconnaissons qu'aucune lecture d'un texte n'est neutre, mais que chacune est modelée par le contexte et l'intérêt de ses lecteurs. Notre lecture s'est effectuée dans le contexte de notre dialogue dans le Christ, au bénéfice de cette communion qui est sa volonté. C'est donc une lecture ecclésiale et œcuménique, qui cherche à considérer chaque passage concernant Marie dans le contexte du Nouveau Testament pris comme un tout, en regard de l'arrière-plan vétérotestamentaire et à la lumière de la Tradition.
Le témoignage de l'Écriture : une trajectoire de grâce et d'espérance
8. L'Ancien Testament porte témoignage à la création par Dieu des hommes et des femmes comme image divine et à l'appel aimant de Dieu invitant à une relation d'alliance avec lui-même. Même quand ils ont désobéi, Dieu n'a pas abandonné les êtres humains au péché et au pouvoir de la mort. Encore et encore Dieu a offert une alliance de grâce. Dieu a fait une alliance avec Noé, stipulant que plus jamais les eaux d'un déluge ne détruiraient « toute chair ». Le Seigneur a fait une alliance avec Abraham, stipulant que, par lui, toutes les familles de la Terre seraient bénies. Par Moïse il a fait une alliance avec Israël, stipulant que, obéissant à sa parole, les Israélites seraient une nation et un peuple sacerdotal. Sans cesse les prophètes ont sommé le peuple de revenir de la désobéissance vers le Dieu de la grâce de l'alliance, d'accueillir la parole de Dieu et de la laisser porter fruit dans leur vie. Ils ont attendu un renouvellement de l'alliance où régnerait l'obéissance parfaite et le don parfait de soi. « Voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël après ces jours, dit le Seigneur : je mettrai ma loi au dedans d'eux, et je l'écrirai sur leur cœur ; et je serai leur Dieu et ils seront mon peuple » (Jérémie 31, 33). Dans la prophétie d'Ézéchiel cette espérance est exprimée non seulement en termes de bain et de purification, mais aussi de don de l'Esprit (Ézéchiel 36, 25-28).
9. L'alliance entre le Seigneur et son peuple est plusieurs fois décrite comme une liaison d'amour entre Dieu et Israël, la vierge fille de Sion, épouse et mère : « Je t'ai fait le serment solennel et j'ai contracté une alliance avec toi, déclaration du Seigneur Dieu, et tu es devenue mienne » (Ézéchiel 16, 8 ; cf. Isaïe 54, 1 et Galates 4, 27). Même quand il punit l'infidélité, Dieu reste pour toujours fidèle, promettant de restaurer la relation d'alliance et de rassembler le peuple dispersé (Osée 1-2 ; Jérémie 2, 2 ; 31, 3 ; Isaïe 62, 4-5). L'image nuptiale est également utilisée dans le Nouveau Testament pour décrire la relation entre le Christ et l'Église (Éphésiens 5, 21-33 ; Apocalypse 21, 9). En parallèle avec l'image prophétique d'Israël comme l'épouse du Seigneur, la littérature salomonienne de l'Ancien Testament caractérise la Sagesse comme l'assistante-ouvrière de Dieu (Prov 8, 22s ; cf. Sagesse 7, 22-26), soulignant semblablement le thème de l'aptitude et de l'activité créatrice. Dans le Nouveau Testament ces motifs prophétiques et sapientiaux se combinent (Luc 11, 49) et s'accomplissent dans la venue du Christ.
10. Les Écritures parlent également de l'appel par Dieu de personnes particulières telles David, Élie, Jérémie et Isaïe, de sorte qu'à l'intérieur du peuple de Dieu certaines tâches spéciales puissent être accomplies. Elles portent témoignage au don de l'Esprit ou à la présence