Ct 1, 2 et le sens marial du Cantique des Cantiques
Saint Rupert de Deutz éclaire le Cantique des Cantiques à travers une lecture profondément mariale, révélant en Marie l'épouse divine préfigurée par Israël et le lieu unique où s'accomplit l'incarnation par le baiser d'amour de Dieu. Par elle, modèle de l'Église, se manifeste le mystère vivant de l'union entre Dieu et son peuple, renouvelé par l'Esprit Saint dans le cœur des croyants.
Rupert de Deutz (1075-1130) est le premier auteur qui ait interprété dans un sens marial l'ensemble du Cantique des Cantiques.
Pour Rupert de Deutz, dans l'Ancien Testament, quand Israël est appelé épouse de Dieu, il s'agit d'une prophétie du mystère de la Vierge Marie :
« La Vierge Marie fut l'épouse de Dieu le Père. En elle s'est vérifié le motif pour lequel, dans l'Écriture, Dieu appelle l'Église du peuple antique son épouse. »[1]
L'incarnation et le baiser de Dieu
« Qu'il me baise des baisers de sa bouche » (Ct 1,2) qu'est-ce que signifie cette exclamation soudaine ?
O heureuse Marie, une inondation de félicité, une force d'amour et un torrent de joie t'ont totalement submergée, complètement ravie et enivrée ; et tu as fait l'expérience de ce que l'œil n'a pas vu, que l'oreille n'a pas entendu, de ce qui n'est jamais entré dans le cœur de l'homme (1Cor 2,9) ; et tu as dit : Qu'il me baise des baisers de sa bouche (Ct 1,2).
En effet ta réponse à l'ange a été : Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. (Lc 1,38).
Mais de quelle parole s'agissait-il ?
De quoi l'ange avait-il parlé avec toi ? Tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras un fils, tu l'enfanteras et tu appelleras Jésus (Lc 1,30-31). Et aussi : L'Esprit Saint descendra sur toi ; sur toi il étendra l'ombre de la puissance du Très-haut. C'est pourquoi celui qui naîtra sera saint et appelé Fils de Dieu (Lc 1,35).
Est-ce qu'une telle parole de la part de l'ange n'était pas déjà une parole qui promettait les baisers imminents de la bouche du Seigneur ? L'interprète utilise prudemment soit les paroles : Qu'il me baise du baiser de sa bouche, prononcées par une âme et un cœur jubilant ; soit ces autres paroles, sorties d'une bouche exultante : Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. Est-ce que ces paroles n'ont pas le même poids ? Avec des mots et des sons différents, le sens n'est-il pas le même ?
Tu as entendu et cru ; et en priant pour toi-même tu as demandé : "Qu'il m'advienne". Et il est ainsi advenu de toi. Dieu le Père t'a embrassée avec le baiser de sa bouche. Quel œil a jamais vu une chose semblable ? Quelle oreille l'a jamais entendue ? En quel cœur d'homme elle est jamais entrée ? Mais à toi, Marie, Celui qui a été révélé t'a embrassée par le baiser et la bouche de celui qui embrasse. »[2]
L'Église est épouse comme Marie et conçoit comme elle de l'Esprit Saint, mais par le biais des sacrements.
« Donc la bienheureuse Vierge, la partie meilleure de la première église, mérite d'être l'épouse de Dieu le Père afin de pouvoir être le type de la plus jeune Église, l'épouse de Dieu le Fils et son fils.
L'Esprit Saint qui a opéré dans son sein et par son sein l'incarnation du Fils unique de Dieu, est le même qui devait opérer la régénération des nombreux fils de Dieu dans le sein et par le sein de l'Église, dans le bain vivifiant de sa grâce. »[3]
[1] De operibus Spiritus Sancti, 1,7 : PL 167,1577.
[2] In Canticum Canticorum, 1, 1 : PL 168, 839-840; CCM 26, 10
[3] De operibus Spiritus Sancti, 1,7 : PL 167,1577-1578
Lire plus sur saint Rupert de Deutz
Cf. Luigi Gambero,
Maria nel pensiero dei teologi latini medievali,
ed San Paolo, 2000, p. 145-152