Chansons mariales de Gautier de Coincy (XIIIès)
Gautier de Coincy (1177-1236) est l’un des trouvères du XIIIe siècle les plus célèbres. Dévot de la Vierge Marie, il a écrit les « Miracles de Notre-Dame », qui font de lui l’un des plus fameux représentants de la lyrique religieuse en langue vernaculaire - le latin restant la langue officielle de la poésie sacrée et de la liturgie.
Un moine poète et musicien
Le moine bénédictin Gautier de Coincy est, avec Conon de Béthune, le Visame de Chartres et Colin Muset, l’un des premiers Trouvères médiévaux. Il a écrit de nombreuses chansons et des récits de miracles, rassemblés dans les deux parties d’un recueil intitulé Miracles de Nostre Dame, écrit à partir de 1218 et composé de 58 miracles de Notre-Dame, de chansons pieuses (dont 22 sont dédiées à la Vierge Marie) et de sermons en vers. Ce recueil, très populaire, est à l’origine de la pièce de théâtre de Rutebeuf, intitulée Miracle de Théophile. En outre, ses chansons ont inspiré les Cantigas de Santa María, hymnes de louange à la Vierge Marie, attribuées au roi Alphonse X le sage, qui sont un des sommets de la poésie lyrique galicienne de la fin du XIIIᵉ s.
Un ‘serf entre tous les serfs de Notre Dame’
Gautier de Coincy se définit lui-même ainsi :
« Gautiers, qui est de cors et d’ame Sers a toz les sers Nostre Dame »
Grand dévot de la Vierge Marie, il offre au chant courtois une variante spirituelle grâce à la chanson mariale. Utilisant des poésies profanes populaires et des mélodies existantes de pastorales ou de chansons d’amour pour les transposer dans l’ordre spirituel, il offre ainsi une nouvelle vision, plus spirituelle, de ce qu’il appelle le véritable Amour[1], laissant, comme il l’écrit, « les sots chanter les sottes », pour se consacrer à la gloire de la Vierge Marie.
La Vierge Marie, inspiratrice directe de la poésie du moine
Gautier de Coincy va même plus loin, faisant de la Vierge Marie – elle-même habitée du Saint-Esprit – son inspiratrice. C’est en effet selon ce qu’il dit la Vierge Marie qui inspire directement ses paroles : le moine est alors « son écrivain », son scribe. Il se compare ainsi « non aux poètes Lucain, Juvénal ou Virgile, mais aux évangélistes st Jean et st Luc ». L’éthos du poète est donc celle d’un prophète de la Vierge Marie : c’est dire s’il donne à sa poésie une dimension catéchétique, la poésie en langue vernaculaire permettant de diffuser en langue française les vérités dogmatiques mariologiques conformes à la tradition patristique : Notre Dame est dite « Mère de Dieu « (conformément à la tradition depuis le Concile d’Éphèse de 431[1]), Reine du ciel, ‘fontaine de grâce’, etc. L’image de la Vierge Marie véhiculée par ses poésies est celle d’une figure pleine de miséricorde, dont la puissance d’intercession est grande[2], puisqu’elle peut même ouvrir, grâce à sa prière, la porte du Paradis, et les chansons des Miracles de Nostre Dame développent donc à la fois des événements de la vie terrestre de la Vierge Marie et des miracles montrant sa puissance au ciel. Cette œuvre magistrale, de 30 000 vers octosyllabes, fait donc partie intégrante de la littérature encomiastique mariale du XIIIᵉ s.
Quelques exemples de chansons extraites des Miracles de Nostre Dame
« Rose dont neige ni gelée » (rose cui nois ne gelee), et « Royne celestre » (Reine du ciel) et « Entendez tuit ensemble »
Plusieurs chansons de Gautier de Coincy ont été traduites en français moderne. Ainsi en est-il de la chanson mariale ‘Rose dont neige ni gelée’ (RS 519), qui est construite à partir des figures stylistiques de l’antithèse et de l’utilisation de métaphores à la fois minérales, végétales et animales – métaphores qui appartiennent au domaine de la lyrique courtoise – et dont nous vous proposons la version intégrale en français moderne[3].
Rose dont neige ni gelée Ne peuvent pâlir ou faner la couleur, En haute mer salée Fontaine de douceur, Clarté dans les ténèbres, Joie dans la tristesse, Rosée parmi les flammes ! Fleur de beauté resplendissante Et de couleur choisie, Château dont la porte Ne fut jamais déclose, Santé dans la faiblesse, Repos dans le labeur Et paix dans la mêlée ! Fine émeraude à la vertu prouvée Et porteuse de grâce, Diamant, jaspe vanté, Saphir de l’Inde la Majeure, Rubis de valeur, Panthère à l’odeur Plus que suave ! On ne pourrait assez louer Cette cime d’honneur, Même si l’humaine pensée Ne connaissait d’autre tâche. Tigresse dans le miroir ; Dans la colère et dans les larmes, Consolation et sourire ! Impératrice couronnée Par la main du Créateur, Lors de la journée cruelle Où les anges auront peur, prie le Sauveur Que ton chanteur Demeure en Sa contrée !
Si vous souhaitez d’autre part prendre entendre quelques enregistrements de chansons mariales de Gautier de Coincy, cliquez sur ces titres : ‘Royne céleste’ (Reine du ciel) ; ‘Entendez tuit ensemble’
[1] Sur le Concile d’Éphèse , dans l’Encyclopédie mariale
[2] Sur la fonction médiatrice de la Vierge Marie , voir par ex st Bernard, docteur marial du XIIᵉ s., dans l’Encyclopédie mariale
[3] M.Zink (dir.). Chansons des trouvères. Paris : LGF 1995 (coll. Lettres gothiques, Le Livre de poche). P. 296 sqq.