Tabarî : Dialogue entre Joseph et Marie

Ce récit islamique met en lumière la conscience profonde de Marie face à sa grossesse miraculeuse, soulignant à la fois la puissance créatrice de Dieu et la singularité de sa conception, tout en offrant un précieux point de dialogue entre la foi chrétienne et la tradition musulmane. En valorisant la foi et la vertu de Marie, ce texte invite à contempler la richesse spirituelle de son mystère dans une perspective interreligieuse.


La tradition musulmane rapporte une conversation qu'aurait eue Marie avec Joseph, son compagnon du Temple et celui à qui elle était promise.

Selon cette tradition, Marie a conscience du caractère transcendant et providentiel de sa grossesse.

Dans le cadre du dialogue islamo-chrétien, observons deux points :

À la différence de la foi chrétienne, cette naissance transcendante n'est pas celle du Fils de Dieu « Il ne convient pas à Allah de S'attribuer un fils. Gloire et Pureté à Lui ! » (Sourate 19, 35)

Par ailleurs, le récit de Tabarî, en soulignant la puissance créatrice, présente cette conception comme l'œuvre d'un Dieu solitaire « il dit 'sois !' et cela est », alors que le Nouveau Testament présente clairement la liberté et le Oui du Christ qui vient en ce monde (He 10,9) ainsi que le Oui de Marie (Lc 1, 38).

Voici ce texte :

Lorsque Marie devint enceinte, le premier qui s'aperçut de cette grossesse fut son compagnon, Joseph. Quand il vit son état, il fut scandalisé, horrifié et peiné ; il ne savait comment se l'expliquer. Dès qu'il voulait la soupçonner, il se rappelait sa vertu et sa présence continuelle à côté de lui. Mais chaque fois qu'il cherchait à l'innocenter, il considérait son état.

Lorsque, ne pouvant plus contenir sa peine, il lui en parla, sa première parole fut de l'interroger : « Il m'est survenu à ton sujet une pensée que j'ai voulue étouffer et taire ; je n'y ai point réussi. Et j'ai estimé que le fait de t'en parler soulagerait mon cœur. »

« Parle donc, dit-elle, et tiens-moi un bon propos ! »

« Je ne veux point en tenir d'autre, reprit-il. Mais dis-moi ! Un blé peut-il pousser sans semence ? »

« Oui » répondit Marie.

« Et un arbre, peut-il croître sans pluie ? »

« Oui », fit-elle.

« Et un enfant, demanda-t-il encore, peut-il être conçu sans père ? »

« Oui », répondit enfin Marie. « Ne sais-tu pas que Dieu quand il a créé le blé, Il le fit pousser sans semence, car la semence vient elle-même du blé ? Ne sais-tu pas aussi que Dieu créa les arbres sans la pluie et que, par la même puissance, Il fit la pluie pour vivifier les arbres, après avoir créé les deux séparément ? Ou bien diras-tu que Dieu n'a pu faire pousser les arbres sans le secours de la pluie ! Sans la pluie, il n'aurait pu faire croître les arbres ?

« Non, répondit Joseph, je ne dis point cela ; mais je sais plutôt que Dieu crée tout ce qu'il veut, Il lui suffit de dire "sois !" et une chose est. »

« Ne sais-tu pas, continua Marie, que Dieu créa Adam et Ève sans le secours d'un homme et d'une femme ? »

Il répondit : « Si, bien sûr ! »

Lorsque Marie eut dit cela, Joseph comprit que son état résultait d'une Intervention divine et qu'il ne pourrait l'interroger plus à ce sujet, car il constata qu'elle tenait à garder le secret. Alors, il se chargea seul du service du Temple et prit sur lui toutes les besognes qu'elle accomplissait auparavant. »


Tabarî, Chronique II, 723-726, cité dans : Jésus dans la tradition soufie, Albin Michel 2004, p. 85-86.

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