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Les saints
Royaume de France
Nº 815
XIIIe siècle

Louis IX : quand l’amour pour Dieu façonne un règne

La vie de Saint Louis, selon le nom que l’usage a retenu pour désigner le roi Louis IX, illustre admirablement que l’amour pour Dieu n’est pas une idée abstraite, mais une réalité ancrée dans sa vie quotidienne et dans la réalisation de son devoir d’État, lourd de responsabilités puisqu’il est roi de France. C’est par des actions concrètes que Saint Louis vit sa foi : aides aux pauvres, constructions d’hôpitaux, disponibilité pour le peuple, etc.


Les raisons d'y croire

  • Sous Louis IX, Paris devient l’un des principaux centres d’études de toute l’Europe. Le roi soutient l’université de Paris, née en 1200, et favorise activement la fondation du collège théologique de la Sorbonne en 1257 avec Guillaume de Sorbon. Il encourage les travaux de Guillaume d’Auvergne, archevêque de Paris, qui cherche à articuler la philosophie d’Aristote et la foi chrétienne. Louis agit ainsi parce qu’il est convaincu que la vérité ne peut contredire la foi, et que le développement des sciences et de la philosophie sert le dessein de Dieu sur son royaume.

  • Saint Louis appuie particulièrement la prédication et l’enseignement dominicains, et contribue à faire de Paris un foyer majeur de l’étude aristotélicienne. Albert le Grand , dominicain allemand, y enseigne de 1245 à 1248 et y déploie une approche nouvelle des sciences naturelles (botanique, minéralogie, observation du réel), tout en gardant une vision profondément théologique du monde. Le fait qu’un tel savant trouve à Paris un terrain favorable n’est pas anodin : c’est le fruit d’un climat intellectuel voulu et protégé par le roi.

  • La chaire de théologie dominicaine est ensuite occupée par Thomas d’Aquin , disciple d’Albert, à deux reprises (1256-1259 et 1269-1272). Dans sa Somme théologique, Thomas propose une synthèse d’une rigueur inédite entre philosophie aristotélicienne et doctrine catholique. Louis IX ne se contente pas de le tolérer : il le reçoit à sa table, l’interroge, cherche conseil. On voit un roi qui ne se croit pas au-dessus de la vérité, mais qui se laisse instruire pour gouverner en chrétien.

  • Durant ce que plusieurs de ses biographes appellent le « siècle d’or de Saint Louis », la France atteint son apogée en Europe, tant sur le plan politique qu’économique. Louis IX y est reconnu comme le premier parmi ses pairs : il commande la plus puissante armée, règne sur le royaume le plus vaste et le plus prospère du continent, et fait de Paris le cœur intellectuel et artistique de l’Europe. Cette prééminence n’est pas le fruit d’un simple génie politique : elle manifeste les effets tangibles d’un gouvernement enraciné dans la foi chrétienne, et porté par la droiture, la justice et l’amour de Dieu de son roi.

  • Louis IX est aussi un grand promoteur des arts. La Sainte-Chapelle, qu’il aurait conçue en étroite collaboration avec son maître d’œuvre, en témoigne magnifiquement. Par ses dimensions impressionnantes – 36 mètres de long, 17 mètres de large et 42,5 mètres de haut –, elle rivalise avec les plus grandes cathédrales gothiques. Son architecture de style gothique flamboyant, chef-d’œuvre d’ingéniosité technique, repousse les limites de la construction en concentrant les forces sur des arcs-boutants extérieurs, libérant ainsi les murs pour accueillir d’immenses verrières. La lumière qui s’y déploie, filtrée par ces vitraux illustrés d’une beauté saisissante, manifeste cette foi médiévale où l’art devient louange, et où la beauté visible élève l’âme vers la beauté invisible de Dieu.

  • La Sainte-Chapelle est achevée en 1248, après quatre ou six ans de travaux, pour un coût de 40 000 livres tournois. La rapidité de l’entreprise prouve la santé financière du royaume et donc la prudence de Saint Louis : le roi est un mécène avisé et non un chef d’État dépensier avec l’argent des autres.

  • Mais la Sainte-Chapelle est loin d’être la seule œuvre bâtie sous son règne. Roi constructeur, Louis IX fait édifier de nombreux bâtiments, reflets de sa vision politique et spirituelle du royaume. Il fait construire des fortifications militaires, comme les remparts d’Aigues-Mortes ou de Jaffa, destinés à garantir la paix par la dissuasion. Il fait aussi élever des édifices civils utiles à tous, tels que le château de Tours, l’hospice des Quinze-Vingts ou encore les hôtels-Dieu de Compiègne et de Pontoise. Il multiplie enfin les fondations religieuses, comme les abbayes de Maubuisson et de Royaumont, et incite l’abbé Eudes Clément à reconstruire la basilique de Saint-Denis. Par cet engagement architectural, Saint Louis manifeste un souci profond du bien commun : construire pour protéger, soigner, élever l’âme et honorer Dieu.

  • Durant ces campagnes de construction, Louis ne se comporte pas en simple ordonnateur lointain. Il suit l’ordonnancement des édifices, visite les chantiers, contrôle l’avancement des travaux et n’hésite pas parfois à aider les ouvriers. Cette proximité avec le travail concret manifeste une conception de la royauté comme service et non comme privilège, en cohérence avec l’Évangile qu’il cherche à vivre.

  • Sa charité personnelle est constante. Devenu roi, il fait nourrir chaque jour plus d’une centaine de pauvres dans sa maison, et il lui arrive souvent de les servir lui-même, après leur avoir lavé les pieds. Il affirme que « la paix et les bénédictions du royaume nous parviennent par les pauvres ». Cette conviction rejoint la parole du Christ : en les servant, le roi sait qu’il sert le Seigneur lui-même.

  • Louis subvient aussi aux besoins des lépreux, qu’il visite et soigne. Il multiplie les fondations hospitalières et les maisons d’accueil, et ses contemporains lui attribuent plusieurs guérisons lors du toucher des écrouelles. Dans cet exercice du « toucher royal », la tradition voit un signe donné par Dieu pour confirmer un pouvoir reçu d’en haut et exercé pour le bien des corps et des âmes. Chez Louis, ce geste n’est pas un rite vide : il s’enracine dans une vie de prière et de pénitence, qui donne un poids spirituel particulier à son ministère de roi chrétien.


En savoir plus

Au fil des siècles, les admirateurs de Louis l’ont célébré comme le monarque chrétien par excellence. En effet, sa piété véritable et profonde soutient son action. Louis est un chrétien fervent qui applique rigoureusement l’orthodoxie catholique. C’est sa mère, Blanche de Castille, qui lui inculque la ferveur chrétienne. Elle gouverne la France en tant que régente durant la minorité du roi. Elle l’avertit : « Je t’aime, mon cher fils, autant qu’une mère peut aimer son enfant ; mais je préférerais te voir mort à mes pieds plutôt que de te voir un jour commettre un péché mortel. » En écho à ces paroles, le roi dira plus tard à son fils aîné, Philippe (le futur Philippe III le Hardi, roi de 1270 à 1285) : « Mon très cher fils, vous devriez vous laisser tourmenter par toutes sortes de martyres avant de vous permettre de commettre un péché mortel » (Testament spirituel).

De fait, Louis IX est surtout connu par ses contemporains pour son zèle religieux. C’est pourquoi il est considéré comme l’exemple type du prince chrétien. L’acquisition des reliques de la Passion du Christ, dont la sainte couronne , auprès de l’empereur latin de Constantinople, Baudoin II de Courtenay, en témoigne assez : il fallut alors rembourser 135 000 livres tournois de dettes contractées par l’Empire latin auprès des banquiers vénitiens, gagées sur la sainte couronne. Cette somme correspond à plus de la moitié du revenu annuel du domaine royal. La châsse destinée à recevoir ces reliques est à la Sainte-Chapelle, chapelle du palais royal sur l’île de la Cité.

Ce principe de vie le guida en toutes ses actions, publiques comme privées : ses biographes racontent les longues heures qu’il passe en prière, en jeûnes et en pénitences, à l’insu de ses sujets. Le visage extérieur est conforme chez lui à l’homme intérieur. La piété est authentique : elle ne sert pas d’instrument de pouvoir. C’est pourquoi elle porte des fruits réels de gouvernement.

En effet, les Enseignements (instructions écrites) que le roi laisse à son fils Philippe et à sa fille Isabelle, les discours recueillis par les témoins lors des enquêtes judiciaires préparatoires à sa canonisation et les anecdotes de Joinville montrent que Louis est un homme de bon sens, doté d’un courage et d’une ardeur au travail infatigables, d’une grande amabilité et d’un caractère enjoué non dénué de sens de l’humour. Il travaille sur lui-même pour se défendre constamment de la tentation de l’impériosité.

En un mot, Saint Louis montre l’exemple d’un homme détaché de ses aises. Il ne fuit ni le travail, ni la peine, ni les tourments que lui valent sa vie pénitente et ses choix politiques. Il ne sert pas ses intérêts, mais ceux de son Dieu. Parce que ce Dieu est aussi celui des Français de l’époque – et ne le demeure-t-il pas pour ceux d’aujourd’hui ? –, c’est ainsi l’intérêt de tous que le saint roi sert : intérêt matériel, mais surtout spirituel.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Au delà

Si Saint Louis a pu grandir dans cette amitié profonde avec Dieu, c’est en grande partie grâce à l’éducation reçue de sa mère, Blanche de Castille, femme de foi ardente et de caractère exceptionnel. Née en 1188, petite-fille d’Aliénor d’Aquitaine et épouse de Louis VIII, Blanche devient régente à deux reprises : d’abord durant la minorité de Louis IX, puis pendant sa croisade. Elle gouverne avec une autorité ferme, une intelligence politique remarquable et un sens aigu du bien commun, maintenant l’unité du royaume malgré les révoltes féodales. Sa piété très vive marque profondément son fils : elle lui transmet le goût de la prière, la fidélité à l’Église et un sens du devoir qui ne se sépare jamais de la charité. Sa fameuse parole – préférer voir son fils mort plutôt que coupable d’un péché mortel – dit bien la force de sa conviction. Figure de mère chrétienne, femme de gouvernement et âme droite, Blanche de Castille apparaît ainsi comme l’une des sources décisives de la sainteté de Louis.


Aller plus loin

Jean de Joinville, Vie de Saint Louis, Paris, Classiques Garnier, Jacques Monfrin, 1998, 485 pages. Cette traduction en français moderne, accompagnée du texte original, est disponible en ligne .


En complément

  • Guillaume de Nangis, Chronique du règne de Saint Louis, 1226-1270, réédité chez Paleo en 2010, 110 pages.

  • Marianne Cecilia Gaposchkin, The Making of Saint Louis: Kingship, Sanctity, and Crusade in the Later Middle Ages, Cornell University Press, 2010.

  • Guillaume de Saint-Pathus, Vie et vertus de Saint Louis, réédité en 2009 chez Paraclet, 192 pages.

  • Jacques Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1996, 976 pages. Réédition en 2013 dans la collection « Folio. Histoire », no 205, 1264 pages. Le livre a été traduit en anglais : University of Notre Dame Press, 2009, 947 pages.

  • René Grousset, Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem , vol. III : 1188-1291. L’anarchie franque, Paris, Perrin, 1936 (réimpression en 2006), 902 pages.

  • Louis Carolus-Barré et Henri Platelle, Le Procès de canonisation de Saint Louis (1272-1297). Essai de reconstitution, Rome, École française de Rome, coll. « Publications de l’École française de Rome » / Paris, de Boccard, 1994, 325 pages.

  • Louis Carolus-Barré, « Les enquêtes pour la canonisation de saint Louis et la bulle Gloria laus, du 11 août 1297 », Revue d’histoire de l’Église de France, 1971, vol. 57, n. 158.

  • Jacques Le Goff, « Mon ami le saint roi : Joinville et Saint Louis (réponse) », dans Annales. Histoire, Sciences Sociales. 56e année, no 2, 2001, p. 469-477. L’auteur répond lui-même aux critiques soulevées à la parution de sa biographie, fondée en grande partie sur celle de Joinville. Disponible en ligne .

  • Marie Dejoux (dir.), Saint Louis après Jacques Le Goff. Nouveaux regards sur le roi et son gouvernement, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2025.

  • « Secrets d’histoire », par Stéphane Bern, saison 8, année 2014 : « Saint Louis, sur la terre comme au ciel ».

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