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Reliques
Jérusalem, Constantinople, Paris
Nº 722
De l’an 33 à nos jours

La couronne d’épines portée par Jésus-Christ

La couronne d’épines, sauvée courageusement de l’incendie de la cathédrale de Paris, survenu en 2019, est un tressage de lianes épineuses réunies en couronne, dont les soldats romains affublèrent Jésus-Christ lors de sa Passion afin de se moquer de lui. « Il prétend être roi : voilà quel cas nous en faisons ! » : c’est en substance ce que signifie moralement leur geste. Elle causa aussi au Christ de très violentes douleurs. Conservée à Jérusalem, puis à Constantinople, elle est acquise par le roi de France, Saint Louis, en 1238, auprès de l’empereur latin de Constantinople, Baudoin II. Depuis, la sainte couronne est conservée à Paris, où l’on peut toujours la voir, témoin de l’amour divin devant tous les hommes.


Les raisons d'y croire

  • Le récit historique des évangélistes raconte le couronnement d’épines que subit Jésus-Christ : « Les soldats tressèrent avec des épines une couronne qu’ils lui posèrent sur la tête ; puis ils le revêtirent d’un manteau pourpre. Ils s’avançaient vers lui et ils disaient : "Salut à toi, roi des Juifs !" Et ils le giflaient » ( Jn 19,2-3 ).

  • Les saignements et les blessures douloureuses causés par la couronne d’épines sont bien visibles sur l’image du Saint Suaire.

  • Au cours des six premiers siècles de notre ère, de nombreux auteurs parlent d’une relique vénérée avec une grande dévotion, sous la forme d’une couronne d’épines. On retrouve la trace de la couronne d’épines dès le IVe siècle dans les récits de pèlerins qui se sont rendus à Jérusalem. En effet, parmi les Itinera Hierosolymitana, c’est-à-dire les récits de pèlerinage à Jérusalem entre le IVe et le VIIIe siècle, se trouve le Breuiarius de Hierosolyma. L’auteur y décrit les reliques de la Passion, conservées dans la basilique de Constantin, dont la couronne d’épines : « In media basilica est corona de spinis, quam accepit Iesus ».

  • Un autre récit de pèlerinage fait aussi écho de la sainte couronne : il s’agit de celui attribué anciennement à saint Antoine de Plaisance (mort martyr vers 303). L’étude de critique interne du texte tend à montrer qu’il s’agit plutôt d’un écrit datant de 570. Ce pèlerin anonyme explique que parmi les merveilles (mirabilia) conservées dans « la sainte basilique de Sion » (la basilique de Constantin) se trouve la couronne d’épines : « Ibi est in ipsa ecclesia et corona de spinis, qua coronatus est Dominus ».

  • Dans l’Épître à Macaire, saint Paulin, évêque de Nole, en Campanie († 431), pieux pèlerin lui aussi, précise que « les épines dont notre Sauveur fut couronné » étaient conservées avec la croix sur laquelle le Christ fut cloué et la colonne sur laquelle il fut flagellé.

  • Grégoire de Tours († 594), le célèbre historien des Gaules, écrit dans son Liber in gloria martyrum : « Certains rapportent que les ronces épineuses de la couronne paraissent encore vertes ; bien qu’on voie leurs feuilles se dessécher, elles reverdissent chaque jour par la vertu divine. »

  • Cassiodore († vers 580), qui fut le chancelier et conseiller du souverain ostrogoth Théodoric le Grand puis fonda le monastère calabrais de Vivarium, écrit, dans son commentaire du psaume 86 : « Nous pouvons observer ici la couronne d’épines, qui fut placée sur la tête de notre Rédempteur. » Il ajoute que cette relique comme les autres monuments de la Passion constituent la gloire de la ville de Jérusalem, qui les possède.

  • Les déplacements et lieux de conservation de la sainte couronne sont ensuite tout à fait retraçables. La sainte couronne a été transportée à Constantinople entre 975 et 1092, date à laquelle Alexis Comnène rapporte, dans un courrier à Robert de Flandre, que la sainte couronne fait partie des reliques conservées à Constantinople. C’est cohérent avec le fait qu’en 1106, l’higoumène russe Daniel n’en fait pas mention lors de son pèlerinage à Jérusalem.

  • En 1238, Baudouin II de Courtenay, empereur latin de Byzance, est à Paris. Il expose au roi de France Louis IX les grandes difficultés financières dans lesquels il se trouve et lui propose, en échange de son aide, de lui confier la couronne d’épines. Ce dernier accepte. Les sommes engagées par Saint Louis pour la couronne s’élèvent au moins à 137 000 livres tournois, sans tenir compte des secours fiduciaires apportés sous forme de prêt à Baudouin II : 21 000 livres d’argent fin. Ces dépenses, connues de tous, sont incompréhensibles si la couronne n’en vaut pas la peine.

  • La procession de la relique parvient à Paris le 19 août 1239. Le roi délaisse alors ses atours royaux, endosse une simple tunique et, pieds nus, aidé de son frère Robert d’Artois, porte la sainte couronne jusqu’à Notre-Dame de Paris. Or, le roi est sincèrement un homme très pieux : organiser un tel subterfuge aurait été d’une grande impiété, ce qui serait absolument opposé à sa manière d’agir.

  • Saint Louis fait alors édifier de 1241 à 1248 un reliquaire à la mesure de ces reliques : la Sainte-Chapelle. La couronne d’épines y est déposée solennellement le 25 mars 1248. Qui entreprendrait de tels travaux si l’objet qui est destiné à y être conservé était un faux ? Un homme retors ou un fou. Saint Louis est au contraire non seulement droit et honnête, mais encore parfaitement sain d’esprit.

  • Durant la Révolution française, les reliques sont déposées à l’abbaye de Saint-Denis puis, dépourvues de leurs reliquaires, à la Bibliothèque nationale. À la suite du Concordat de 1801, la sainte couronne est rendue en 1804 à l’archevêque de Paris, qui la dépose au trésor de la Cathédrale deux ans plus tard. Depuis cette date, la sainte couronne est confiée aux chanoines du chapitre. Lorsqu’elle est vénérée, les Chevaliers du Saint-Sépulcre de Jérusalem en assurent la garde statutaire.

  • Cette chronologie suivie montre que la couronne d’épines que l’on peut depuis peu vénérer à Notre-Dame de Paris, dans le nouveau reliquaire réalisé à la suite de l’incendie de 2019, est bien la même que celle qui a été infligée à Jésus-Christ. Elle a failli tant de fois être détruite : comment ne pas penser qu’une protection divine veille sur elle, afin qu’elle serve de témoin de l’amour divin devant tous les hommes ?


En savoir plus

Jésus-Christ est couronné d’épines durant sa Passion. L’évangéliste saint Matthieu précise le motif de cette mise en scène : tourner en dérision l’autorité divine de Jésus-Christ : « Avec des épines, ils tressèrent une couronne, et la posèrent sur sa tête ; ils lui mirent un roseau dans la main droite et, pour se moquer de lui, ils s’agenouillaient devant lui en disant : "Salut, roi des Juifs !" Et, après avoir craché sur lui, ils prirent le roseau, et ils le frappaient à la tête » ( Mt 27,29-30 ). Cette insulte s’accompagne, afin d’être complète, d’un tissu rouge, qui est imposé au Christ pour figurer la toge impériale, et d’un roseau qu’on lui met dans la main, comme si c’était un sceptre. Puis les soldats plient par dérision le genou devant lui. Le but recherché est d’infliger au Christ la plus grande humiliation. L’évangéliste saint Marc confirme le sens de cette torture ( Mc 15,19-20 ).

Parce que le Christ tient cachée son autorité divine durant la Passion, afin de rendre possible cette dernière, les soldats romains, à la suite des soldats juifs qui l’ont arrêté au Jardin des Oliviers, ne la reconnaissent pas. Parce qu’il est la deuxième Personne de la Sainte Trinité, Jésus-Christ est, en tant que Dieu, l’auteur – avec le Père et le Saint-Esprit – de la création du monde. Comme son Père et l’Esprit divin, il est donc maître de toutes choses. Voilà pourquoi il ne refuse pas d’être appelé « roi » par Pilate ( Jn 18,33-37 ), tout en précisant que sa royauté est d’abord spirituelle (c’est-à-dire sur les intelligences et sur les volontés) avant d’être matérielle (c’est-à-dire sur les corps des individus comme des nations).

La relique conservée à la cathédrale Notre-Dame de Paris n’est probablement qu’une partie de la couronne originelle. Au XIVe siècle, Jean de Mandeville rapporte dans ses Voyages que la couronne est formée de deux parties. À l’appui de ce témoignage, qu’il cite, l’académicien Fernand de Mély estime que, compte tenu du fait que soixante-dix épines ont été détachées de la couronne depuis sa réception à Paris en 1239, seule une branche d’une longueur minimale de 3,50 mètres suffirait pour les fournir. Or, le reliquaire façonné sous Saint Louis n’aurait jamais pu recevoir un objet si important. Il suppose donc que la couronne se composait de deux parties : la couronne de jonc, que nous connaissons, et le faisceau d’épines, issu d’un arbuste appelé ziziphus spina Christi, qui aurait été mis à part de la première et dans lequel les rois de France ont puisé pour les dons qu’ils désiraient accomplir. Il est plus que probable que les empereurs de Byzance ont agi de même auparavant : tout au plus une vingtaine d’épines seraient concernées par ces dons. Fernand de Mély estime également, à la suite de travaux précis résumés dans son étude, que certaines épines – probablement environ le même nombre – se trouvaient déjà à Byzance avant que la sainte couronne n’y arrive, entre la fin du Xe et la fin du XIe siècle : elles avaient dû avoir été envoyées de Jérusalem aux empereurs. Ces deux chiffres réunis fournissent l’estimation de quarante épines. Fernand de Mély assure de plus que les études minutieuses qu’il a poursuivies lui permettent d’avancer que Saint Louis et ses successeurs sur le trône de France ont offert à divers grands personnages soixante-dix épines. Ce chiffre correspond à celui qu’avance saint Vincent Ferrier dans un sermon en 1539, prononcé à l’occasion de la Pentecôte. Le frère prêcheur parle aussi de la couronne comme d’un bonnet (ou plutôt un casque) d’épines.

De fait, la couronne que nous connaissons est un cercle de joncs réunis en faisceaux et retenus par des fils d’or, d’un diamètre de 21 centimètres. Depuis 1896, elle est conservée dans un tube de cristal et d’or, couvert d’une monture ajourée figurant une branche de ziziphus spina Christi. Ce reliquaire est l’œuvre de l’orfèvre Maurice Poussielgue-Rusand († 1933) d’après les dessins de l’architecte Jules-Godefroy Astruc († 1955). Il fut offert par les fidèles du diocèse de Paris. Elle est placée depuis peu dans un reliquaire en forme de disque monumental.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Au delà

L’existence de plusieurs centaines d’épines saintes à travers le monde est invoquée pour tenter de ruiner l’authenticité de la sainte couronne : c’est mal connaître l’idée de « relique ». En effet, on en distingue deux types généraux. Certaines reliques sont d’authentiques reliques, et le sceau de l’autorité ecclésiastique qui clôt le reliquaire, ainsi que le document marqué du même sceau, en témoigne. D’autres « reliques » ne le sont que par contact, c’est-à-dire qu’elles ont été portées sur la relique authentique qui leur correspond : ainsi en est-il des épines, coupées à des époques de forte dévotion religieuse, et mises en contact avec une authentique épine de la sainte couronne. Ces dernières reliques n’ont jamais été présentées comme authentiques, mais servaient seulement à la dévotion de ceux qui se les procuraient en toute connaissance de cause. Notre époque cartésienne rejette a priori cette pratique parce qu’elle adopte des avis tranchés ; les siècles chrétiens étaient peut-être plus fins dans leur approche des choses.


Aller plus loin

Fernand de Mély, La Sainte couronne d’épines à Notre-Dame de Paris, Paris, Ernest Leroux, 1927.


En complément

  • Fernand de Mély, Exuviae sacrae constantinopolitanae, Paris, Ernest Leroux, 1904 (tome III). L’étude sur la sainte couronne couvre les pages 165 à 440. L’ouvrage est rédigé en français. Il est disponible en ligne .

  • Fernand de Mély, compte-rendu d’une communication donnée lors d’une séance de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres sur la distribution des épines de la sainte couronne, dans 1899, 43e année, no 1 (janvier-février), p. 126-127. En ligne .

  • Fernand de Mély, « Les reliques de Constantinople au XIIIe siècle. II. La Sainte couronne », dans la Revue de l’art chrétien, Lille, Desclée, 1901, p. 35-133.

  • Itinera Hierosolymitana saeculi IIII-VIII, recensuit et commentario critico instruxit Paulus Geyer, Praguae et Vindobonae, Tempsky / Lipsiae, Freytag, 1898. En ligne .

  • Grégoire de Tours, Liber in gloria martyrum, dans les Scriptores rerum Merovingicarum (SS rer. Merov.) des Monumenta Germaniae historica, 1, 2.

  • Thomas O’Loughlin, « The presence of the Breuiarius de Hierosolyma in Iona’s library », dans Ériu, Dublin, Royal Irish Academy, vol. 62, 2012, p. 185-188. En ligne .

  • Le site Internet « Escapades historiques » d’Ivy Cousin, à l’article « La sainte couronne d’épines : trésor de foi et de patrimoine français », présente un récapitulatif.

  • Le site Internet « Les reliques de la Passion du Christ » fait de même, de manière plus approfondie.

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