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© CC BY-SA 4.0/Cornuaille
Les saints
Bretagne
Nº 814
Ve siècle

Saint Corentin : l’évêque au poisson

Saint Corentin (+460), premier évêque de Quimper, est traditionnellement représenté tenant un poisson dans ses mains. Cette image renvoie à une légende qui a souvent fait sourire les esprits forts, mais qui, derrière son apparence naïve, porte une véritable profondeur. Elle rappelle comment Dieu nourrit ceux qui se confient à lui, et comment le Christ seul demeure la vraie nourriture de l’âme. L’histoire de ce poisson inépuisable, liée à la fois à l’imaginaire celtique et à la symbolique chrétienne, invite ainsi à lire la vie de Corentin non comme un conte, mais comme un enseignement vrai raconté de manière imagée.


Les raisons d'y croire

  • L’existence de Corentin, Caourantin en breton, est historiquement attestée. Les actes du concile d’Angers qui s’est tenu en 453 mentionnent sa présence sous le nom de Choriaton et le disent à la tête du nouveau diocèse de Quimper, en Cornouaille. Il ne s’agit donc pas d’un personnage de légende, même si son nom est associé à plusieurs récits légendaires.

  • La Tradition le fait naître en Armorique gauloise en 375 d’un couple d’émigrants, venus de l’actuelle Cornouailles anglaise, qui fuyaient les envahisseurs angles et saxons. En effet, les Britoromains préfèrent tout quitter plutôt que d’être réduits en esclavage ou contraints d’abandonner le christianisme, professé en Cornouailles depuis un siècle. Ils embarquent alors vers la Gaule ou l’Espagne. Corentin naît ainsi de parents qui ont mis leur foi plus haut que tout.

  • Ses parents lui donnent une éducation qui le promet à de hautes fonctions, mais Corentin, à l’adolescence, renonce à cet avenir pour se retirer dans une forêt du Porzay, près de l’actuel Plomodiern, et y installer un ermitage. Il y vit « plusieurs années » dans la solitude, méditant la parole de Dieu et s’imposant diverses mortifications. La vie que mène saint Corentin (ascèse, solitude, prière, vertu) montre que l’Évangile porte des fruits moralement élevés. Son existence humble et retirée est un exemple de conversion intérieure authentique, qui renforce la crédibilité de l’enseignement chrétien, qui transforme réellement ceux qui le suivent.

  • Le pentiern local (c’est-à-dire le principal chef de clan), Gradlon, lui aussi un émigrant, entend alors parler de ce solitaire à la vie édifiante. Ayant constaté que la réputation de sainteté de Corentin n’est pas usurpée, il lui propose de prendre la tête d’une cité chrétienne naissante au confluent – kemper, en breton – de l’Odet et du Frout. En effet, Corentin est vénéré très tôt comme un homme de Dieu, un témoin vivant de son action.

  • Corentin se rend à Tours pour y recevoir l’investiture épiscopale, car il ne souhaite en aucun cas être un électron libre et tient à s’intégrer à la hiérarchie catholique.

  • Son épiscopat, long de plusieurs décennies, marque profondément sa cité, au point que le nom de Quimper restera jusqu’à la Révolution accolé au sien : Quimper-Corentin. Une telle permanence dans la toponymie montre l’importance que son ministère a eue pour le peuple de cette région.

  • En effet, depuis le haut Moyen Âge, Corentin est vénéré à Quimper et dans de nombreux lieux de Cornouaille, dans des traditions orales et liturgiques. Cette continuité montre à la fois la force culturelle du christianisme et la fécondité spirituelle de ce saint.

  • La Vita de Corentin montre que le christianisme a pris racine en Bretagne, grâce à l’action d’hommes humbles et pacifiques, et que la foi chrétienne s’est diffusée non par contrainte, mais par exemplarité morale. On peut y voir la preuve que le christianisme se propage naturellement quand il est vécu sincèrement.


En savoir plus

À en croire la légende de saint Corentin, celui-ci observe une grande austérité dans sa nourriture et sa boisson, mais il lui faut bien cependant se sustenter parfois. Dieu y pourvoit en l’installant à proximité d’une fontaine – dans l’imaginaire celtique, un lieu sacré propre à la communication avec le divin et avec les mondes visible et invisible. Dans cette fontaine vit un gros saumon.

Il est intéressant de noter que l’une des étymologies possibles du prénom Corentin, dont on a longtemps pensé qu’il venait du celtique Cobrant et signifiait « secours », pourrait en fait renvoyer au mot kereug, qui désigne le saumon migrateur, capable, pour aller frayer où il est né, de remonter les rivières à contre-courant en dépit des obstacles. Nous tiendrions là une première piste expliquant la légende et son iconographie.

Le saumon, dans la mythologie celtique, est un animal psychopompe, c’est-à-dire qui établit le lien entre ce monde et l’au-delà. Manger du saumon permet alors d’être initié aux secrets des dieux et de communiquer avec eux. Voilà pour l’aspect païen de l’affaire, qui comptera aux yeux de populations qui n’ont pas été christianisées.

D’un point de vue chrétien, le poisson possède aussi une puissante symbolique, puisque les apôtres quittent tout pour se faire pêcheurs d’hommes. Mais, surtout, il renvoie au symbole familier des premiers chrétiens qui leur permettait de se reconnaître entre eux en dessinant un poisson – Ichtus, en grec. Ce mot, en effet, s’épelle en délivrant un message codé : iota, initiale de Iesous (Jésus) ; chi, celle de Christos ; tau, celle de Theou, génitif du mot Theos(« Dieu ») ; upsilon, celle du mot Uios (« Fils ») ; sigma, celle de Sôter (« Sauveur »), professant ainsi : « Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur. »

S’unissent ainsi la foi chrétienne et les croyances ancestrales qui permettront la conversion des habitants de souche. La convergence entre symbolique celtique et symbolique chrétienne donne à la légende toute sa densité. Le saumon sacré des anciens peuples et le symbole du poisson (Ictus) des premiers chrétiens se répondent : un même signe renvoyant à la remontée vers la source (Dieu), au passage entre ce monde et l’autre, et aux nourritures inépuisables que sont l’eucharistie et la Parole de Dieu.

Donc, selon la légende, Corentin, chaque matin, n’a pas besoin de s’embarrasser de ce qu’il mangera : il attrape le saumon, y prélève un filet, deux s’il a du monde à déjeuner, ce qui arrive quand les missionnaires et les évêques voisins s’invitent à sa table, puis rejette à l’eau le poisson qui se reconstitue miraculeusement en vue du prochain repas.

Rien n’étant impossible à Dieu, il ne vous est pas interdit de prendre l’histoire au pied de la lettre, mais une autre explication peut nous sembler plus satisfaisante : ce poisson immortel, cette manne qui ne s’épuise jamais, c’est tout à la fois la parole de Dieu et la sainte communion, qui rassasient chaque jour ceux qui s’en nourrissent sans jamais faire défaut aux fidèles. La légende de Corentin est finalement bien plus qu’une légende : à l’instar des premiers chapitres de la Genèse, elle raconte une vérité de manière imagée.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au delà

Les saints des premiers siècles en Bretagne – Corentin, Samson, Pol Aurélien, Tugdual, Brieuc et quelques autres – appartiennent à une génération marquée par les migrations brittoniques venues d’outre-Manche. Ces hommes, souvent issus de familles chrétiennes déjà structurées, arrivent en Armorique avec une foi vivante et des formes de vie monastique héritées des îles britanniques. Ils fondent des ermitages, puis des monastères qui deviennent des centres d’évangélisation et d’organisation sociale. Autour d’eux se rassemblent des petites communautés où la prière, l’enseignement et l’accueil des pauvres tiennent place de règle. Ces implantations, modestes au départ, dessinent peu à peu le réseau des futurs évêchés bretons. Leur autorité spirituelle, reconnue par les chefs locaux comme par les populations, explique que tant de lieux portent encore leur nom, signe que la Bretagne chrétienne s’est construite à partir de ces foyers où l’Évangile a trouvé un terrain prêt à le recevoir.


Aller plus loin

Albert le Grand, La Vie, gestes, mort et miracles des saints de la Bretagne Armorique, édition originale 1637, Nantes, Pierre Doriou – réédition « des trois chanoines » : Les Vies des saints de la Bretagne Armorique, Quimper, J. Salaün, 1901 (ne pas confondre cet Albert le Grand avec saint Albert le Grand, maître de saint Thomas d’Aquin).

Il s’agit de la première grande collection hagiographique en français consacrée aux saints de Bretagne, qui mêle traditions locales, légendes anciennes, chroniques diocésaines et topographie ecclésiastique.


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