Un signe donné par Dieu : Jeanne-Charlotte de Bréchard
Née vers 1580 en Bourgogne dans une famille noble, Jeanne-Charlotte de Bréchard connaît une enfance marquée par la maladie, le deuil et la maltraitance. Elle développe pourtant une foi profonde, et un songe mystérieux éclaire sa vocation religieuse. Sa rencontre avec sainte Jeanne de Chantal scelle son destin au sein de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie. Devenue fondatrice et supérieure de plusieurs monastères, elle incarne l’humilité et la sainteté quotidienne propres à la spiritualité salésienne. Après sa mort, le 18 novembre 1637, l’incorruptibilité de son corps manifeste la profondeur de son union au Christ.
Les raisons d'y croire
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Alors que Jeanne-Charlotte est rescapée de la peste à neuf ans, qu’elle est privée d’amour maternel et qu’elle est négligée la plus grande partie de son enfance, il semble miraculeux qu’une vocation religieuse ait pu éclore d’un tel terreau. Là où l’on aurait pu attendre la révolte ou la blessure éclôt une âme donnée à Dieu. Cela argumente en faveur de la véracité de l’appel et de la vocation de Jeanne-Charlotte de Bréchard. Son père, de plus, s’oppose à sa vocation religieuse.
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Lorsque Jeanne-Charlotte parvient finalement à entrer au carmel de Dijon, elle doit y renoncer pour des raisons de santé. Encouragée par un songe prophétique, elle conserve pourtant son désir de vie religieuse jusqu’à pouvoir le réaliser au sein de la Visitation Sainte-Marie, fondée en 1610 par François de Sales .
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La persévérance de sa foi et de sa vocation face aux adversités répétées illustre que le christianisme n’est pas pour elle une fuite ou une facilité.
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Jeanne-Charlotte de Bréchard meurt en 1637, malade et dans la souffrance. Sa mort, cependant, est paisible et confiante. La paix face à la mort n’est pas naturelle : elle suppose une foi tenace en la vie éternelle, qui, pour ne pas être ébranlée, ne peut être fondée que sur quelque chose de bien réel. La sérénité de Jeanne-Charlotte est donc lucide : elle ne vient pas d’une illusion. Sa manière de mourir (comme beaucoup d’autres chrétiens) est un signe fort que le Christ ressuscité est une réalité vécue, non une idée consolatrice.
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Sept ans après sa mort, on souhaite transporter sa dépouille – le monastère ayant été transféré à Mozac. On constate alors une première fois que le corps de Jeanne-Charlotte de Bréchard demeure incorrompu bien au-delà du temps naturel de décomposition, « sans que l’on puisse attribuer cet état à aucun aromate ou mixtion dont on l’aurait enduite », précise Jean Mora (ecclésiastique et correspondant de Jeanne-Charlotte).
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Un an plus tard, en 1745, « pour connaître la vérité du bruit », Henri Cauchon de Maupas, évêque du Puy, assisté d’un chirurgien, décide de se rendre compte par lui-même de l’exceptionnel état de conservation du corps. Ce corps « intact et souple » n’exhale alors « aucune mauvaise odeur ». Plusieurs incisions sont faites et deux reliques sont prélevées : une dent est arrachée avec difficulté, et, lorsque l’on coupe un doigt, les témoins sont étonnés de constater la présence de sang.
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En 1708 encore, soixante-quatorze ans après sa mort, le surprenant état de conservation de son corps est constaté. Au lieu de se désagréger, sa dépouille demeure intacte, comme si elle participait déjà à la promesse de la résurrection, symbole de la victoire du Christ sur la mort.
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Le corps de Jeanne-Charlotte de Bréchard fait l’objet de plusieurs examens médicaux au fil des décennies, lesquels confirment la persistance de cet état jusqu’à la Révolution française, soit durant cent cinquante-sept ans. Par ailleurs, de nombreux miracles sont attribués à son intercession.
En savoir plus
Née vers 1580 au château de Vellerot, dans la paroisse de Saint-Pierre-en-Vaux (actuelle Côte-d’Or, France), Jeanne-Charlotte de Bréchard appartient à une ancienne famille noble de Bourgogne. Sa mère meurt peu après sa naissance, et la petite fille se retrouve livrée aux soins d’une nourrice négligente et brutale. À neuf ans, Jeanne-Charlotte contracte la peste, qui ravage la région en 1589. Elle est isolée plusieurs mois dans une chaumière avec d’autres malades, et, contre toute attente, survit. Cet épisode, qui aurait pu la briser, forge au contraire une sensibilité spirituelle singulière : la conscience aiguë de la fragilité humaine et de la présence discrète de Dieu dans la douleur.
Revenue au château paternel, elle reçoit une éducation limitée : placée d’abord dans un monastère relâché, où elle est traitée plus en servante qu’en élève, elle poursuit seule sa formation intellectuelle et religieuse dans la bibliothèque familiale. Très jeune, elle manifeste une inclination pour la vie intérieure, une piété ardente et une charité active envers les pauvres. Son désir d’entrer dans un ordre contemplatif rencontre l’opposition de son père. L’obéissance filiale l’amène à différer ce projet, mais sa vocation, éprouvée dans l’attente, se purifie et s’approfondit.
Jeanne-Charlotte fait un songe qui l’encourage et oriente sa vocation. En entrant dans une église, elle aperçoit d’abord une grande croix de pierre blanche, vers laquelle elle se précipite. Mais une voix lui dit : « Cette croix n’est pas la tienne ; monte plus haut. » S’avançant plus loin, elle découvre une seconde croix, plus légère mais de même hauteur. En se prosternant, elle entend : « Cette croix est ton partage ; en la portant, tu parviendras aussi haut que si elle était plus pesante. » Ce songe, qui suit son renoncement à entrer au carmel de Dijon, annonce la voie nouvelle que Dieu lui prépare : celle de la Visitation, ordre de douceur et d’humilité.
La rencontre avec sainte Jeanne-Françoise de Chantal, peu après la fondation de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie par cette dernière et par saint François de Sales en 1610, marque un tournant décisif dans sa vie. Entrée à la Visitation, elle y trouve le cadre de sa vocation. Elle devient une figure marquante de l’expansion de l’ordre : cofondatrice des monastères de Moulins (1616) et de Riom (1623), supérieure et formatrice de nombreuses religieuses, et modèle de fidélité à l’esprit salésien de douceur et d’humilité.
On conserve de la mère de Bréchard un ensemble de lettres, d’instructions et de notes spirituelles adressées à des sœurs de la Visitation. Ils ne cherchent ni l’effet littéraire ni la rigueur scolastique : l’autorité qui s’en dégage vient de la cohérence entre la parole et la vie de celle qui les a écrites. Son style fait d’elle une pédagogue spirituelle qui traduit en mots simples les intuitions profondes de la vie intérieure. Les Chroniques de la Visitation du Puy et de Riomrendent compte de certains de ces écrits, où l’on loue « la Mère de Bréchard, si sage en conseil et si tendre en charité ».
Elle insiste sur la « petitesse volontaire » et l’abandon à la providence. Pour elle, la douceur n’est pas faiblesse, mais manière d’unir la volonté humaine à celle du Christ. « Ce n’est point en la force, mais en la douceur que Dieu prend nos cœurs », écrit-elle. Elle exhorte aussi ses sœurs à vivre une sainteté quotidienne : obéissance, charité fraternelle, paix du cœur… Car la grandeur spirituelle réside dans la constance : « Dieu ne demande point l’extraordinaire, mais le fidèle. » Elle médite enfin longuement sur le Cœur de Jésus comme centre d’amour et de miséricorde. Ses textes anticipent la sensibilité qui marquera, au siècle suivant, la dévotion au Sacré Cœur. Cette orientation découle de la spiritualité propre à la Visitation.
Épuisée par les années de labeur et de prière, Jeanne-Charlotte de Bréchard meurt à Riom le 26 février 1637. Sa mémoire demeura vivante dans les communautés visitandines, et on lui attribue d’avoir accordé plusieurs faveurs spirituelles depuis le Ciel. L’ouverture de son procès de canonisation, au XVIIe siècle, confirma la réputation de vertu héroïque qui entourait son nom, même si la cause est restée en suspens.
Solveig Parent
Aller plus loin
Françoise-Madeleine de Chaugy, Vies des premières religieuses de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie, tome 1, Palmé, 1865. Peut être consulté en ligne .
En complément
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L’article « L’étrange destinée du corps de la fondatrice du couvent des Visitandines, à Riom ».
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Édouard Éverat, Le Monastère de la Visitation Sainte-Marie de Riom et Jeanne-Charlotte de Bréchard, étude historique, 1892. Peut être consulté en ligne .
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Édouard Éverat, « Vie de Jeanne-Charlotte de Bréchard, troisième fille de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie, fondatrice des monastères de Moulins et de Riom », Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand, 1938.
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Le Manuscrit de la vie de la Mère de Bréchard est conservé au monastère de Moulins. Il fut rédigé au XVIIIe siècle à partir de traditions orales et de documents plus anciens.