Je m'abonne
© CC BY-SA 3.0/Thomas Mirtsch
Les visionnaires
Allemagne
Nº 797
1241 – 1298

Mechtilde de Hackeborn, annonciatrice précoce du Sacré Cœur

Sainte Mechtilde de Hackeborn, d’origine aristocratique, est l’une des grandes figures spirituelles du XIIIe siècle. Moniale cistercienne au monastère de Helfta (Saxe, Allemagne), elle est gratifiée de dons surnaturels divers et étonnants : visions du Christ, messages à tonalité prophétique, extases, charismes de connaissance et apparitions d’anges. Elle mène à côté de cela une vie d’une pureté évangélique sans faille, et sa communauté la considère comme une religieuse exemplaire. Après sa mort, le 19 novembre 1298, l’ouvrage constitué par son témoignage, le Livre de la grâce spéciale, a fait l’admiration de plusieurs générations de contemplatifs.


Les raisons d'y croire

  • Mechtilde de Hackeborn n’est en rien une illuminée ou une déséquilibrée. Parfaitement adaptée à la vie communautaire, elle exerce au monastère des responsabilités concrètes : maîtresse des novices, chantre et éducatrice, elle s’acquitte de ces tâches avec une constance et une douceur reconnues. Ses visions ne l’arrachent donc pas au réel, elles l’enracinent plutôt dans le service et la vie fraternelle. Ce ne serait pas le cas avec des hallucinations pathologiques.

  • La moniale ne cherche jamais à se faire remarquer pour ses dons spirituels : elle attendra plusieurs décennies avant d’en parler, et ce n’est qu’à la demande de ses supérieures qu’elle témoigne des grâces exceptionnelles que Dieu lui accorde. Mechtilde ne prétend pas enseigner par elle-même : elle reçoit, écoute et transmet avec humilité ce que Dieu lui révèle. Cette discrétion est un fort critère d’authenticité, car la véritable expérience de Dieu ne peut en effet produire qu’humilité et effacement.

  • D’une manière générale, l’ordre religieux cistercien auquel elle appartient n’est guère porté sur les phénomènes mystiques.

  • De plus, au XIIIe siècle, nombre de femmes mystiques suscitèrent la méfiance, voire la réprobation, des autorités ecclésiastiques. Ce ne fut pourtant jamais le cas de Mechtilde : loin de la suspecter, ses supérieures et ses confesseurs lui témoignent respect et confiance.

  • Personne n’a décelé la moindre approximation ou erreur théologique chez elle. La pureté doctrinale et la mesure de son langage inspirent confiance : ses visions ne contiennent aucune affirmation ambiguë ni spéculation hasardeuse. Elles réaffirment, au contraire, les grandes vérités chrétiennes – l’incarnation, la miséricorde divine, la vie sacramentelle…

  • Plus encore, le Livre de la grâce spéciale présente une connaissance étonnamment fine des Écritures, une cohérence doctrinale autour des mystères et une unité d’amour et d’intelligence que l’on ne retrouve que chez les grands docteurs mystiques. Beauté spirituelle, vérité morale et cohérence théologique conduisent à y voir une inspiration divine authentique.

  • La spiritualité de Mechtilde est centrée sur l’amour du Sacré Cœur de Jésus. Bien avant sainte Marguerite-Marie Alacoque († 1690) , elle en devient déjà l’une des grandes annonciatrices. Ses visions mettent en lumière d’une manière nouvelle la tendresse et la miséricorde de Dieu pour des chrétiens du Moyen Âge, qui sont souvent marqués par la crainte du jugement. Cette intuition précoce, en avance sur les développements futurs de la dévotion, peut facilement être lue comme un signe que Dieu agit réellement à travers elle.

  • Le rayonnement spirituel du monastère d’Helfta contribue aussi à légitimer l’expérience de Mechtilde de Hackeborn. Ce milieu d’une rare culture théologique et liturgique a certainement offert un environnement bénéfique pour sa vie mystique, garantissant un équilibre et un cadre vertueux.

  • À Helfta, plusieurs mystiques (Mechtilde de Hackeborn, Gertrude la Grande , Mechtilde de Magdebourg) ont témoigné d’expériences spirituelles cohérentes entre elles. Pour autant, il ne s’agit pas d’un discours collectif uniformisé ou imitatif : les différences de vocabulaire, de style et de structure montrent que chaque mystique exprime une expérience singulière, mais dans une même communion spirituelle. L’harmonie et la convergence entre les trois mystiques ne prouvent pas une imitation artificielle, mais révèlent une source surnaturelle commune.


En savoir plus

Née en 1241 dans la famille allemande des barons de Hackeborn, apparentée à la famille régnante des Hohenstaufen, Mechtilde, comme c’est parfois la tradition à l’époque, est admise à l’âge de sept ans au monastère cistercien Sainte-Marie de Rossdorf, petit village près d’Eisleben, où sa sœur aînée Gertrude est déjà moniale.

L’enfant y reçoit une éducation des plus complètes, associant une formation intellectuelle de premier plan et un enseignement religieux solide. On lui enseigne tour à tour les arts libéraux, le chant sacré, le catéchisme, la vie des saints, les règles cisterciennes de la vie en communauté, le latin… L’ordre de Cîteaux est un ordre réformateur, exigeant de ses membres une ascèse, un dépouillement intense. Mechtilde, fille d’une famille princière, ne se plaint jamais des conditions matérielles ni des rigueurs de la vie conventuelle.

En 1258, la communauté est transférée à Helfta, en Saxe, à cause de difficultés d’approvisionnement en eau potable. Là, Mechtilde mène une vie contemplative d’une rare intensité, sous le commandement de sa sœur Gertrude, qui a été élue abbesse. Repérée pour ses talents pédagogiques et artistiques, elle est nommée maîtresse des novices et maîtresse de chœur du monastère. Sur les plans spirituel et liturgique, la future sainte joue un rôle de premier plan dans la reconnaissance culturelle que ses contemporains, sans exception, accordent au monastère d’Helfta.

En 1261 a lieu une rencontre providentielle : elle recueille une orpheline âgée de cinq ans, la future sainte Gertrude d’Helfta, dite « la Grande », dont elle assure l’éducation à tous niveaux. Une amitié spirituelle exceptionnelle naît entre les deux religieuses. Sur ordre de l’abbesse Sophie de Querfurt, sainte Gertrude recueillera ultérieurement le témoignage de son aînée quant à ses visions mystiques dont elle n’avait auparavant jamais parlé à quiconque. Le texte allemand de ces confidences a disparu, mais nous possédons la version latine intitulée Liber specialis gratiaeLe Livre de la grâce spéciale »), qui date de 1370.

Les visions du Christ (enfant, adulte, crucifié, etc.) jouent un rôle appréciable dans l’enseignement spirituel de sainte Mechtilde, dont la foi est pleinement celle de l’Église jusque dans ses moindres détails. Il est remarquable de voir que, dans son livre, LeLivre de la grâce spéciale, toutes les révélations célestes portant sur les grands mystères chrétiens y sont consignées selon un ordre précis : celui du cycle de l’année liturgique du temps ! La spiritualité de la sainte, fondée sur la personne et l’enseignement de Jésus, est tout entière ecclésiale.

Sa spiritualité est nourrie d’un immense amour pour la liturgie catholique (elle est chanteuse de chœur) et la pratique des sacrements, à commencer par l’eucharistie : sa dévotion personnelle au Corps du Christ est déjà célèbre de son vivant, et la sainte exprime à merveille la profondeur du mystère eucharistique.

Selon elle, une expérience mystique qui n’enseigne pas l’Évangile est douteuse ; elle sait que ce ne sont ni les visions ni les extases qui assurent le salut, mais la foi en Jésus, celle-ci étant fondée sur la charité, c’est-à-dire sur l’amour tel que le Sauveur l’a incarné. Mechtilde mesure que toute l’humanité de l’homme sera transfigurée par l’action de l’Esprit Saint : intelligence, mémoire, affectivité, volonté, sens… L’ascèse cistercienne, dure et éprouvante, est acte de purification de son corps, afin de le rendre disponible à la rencontre avec Jésus – rencontre vécue au sommet par la sainte, en premier lieu dans le sacrement eucharistique.

Sa sainteté est incarnée dans un dialogue permanent avec Jésus-Christ, qui lui révèle son Sacré Cœur comme chemin vers le salut et la paix. Chez elle, c’est une dévotion qui emplit l’âme d’une joie ineffable, puisque ce Cœur est amour éternel et inconditionnel, chemin par lequel les baptisés accèdent à la vie en Dieu, à l’amour trinitaire. C’est en aimant le Cœur de Jésus, en le faisant nôtre, explique Mechtilde, que les fidèles prennent part à la rédemption. Ce culte est bien connu au XXIe siècle. Mais au XIIIe siècle, c’est une nouveauté : l’Église n’a encore institué aucune fête liturgique du Sacré Cœur.

Les huit dernières années de sa vie, avant sa mort, le 19 novembre 1298, sont marquées par la maladie.

Patrick Sbalchiero, membre de l’Observatoire international des apparitions et des phénomènes mystiques.


Aller plus loin

François Marxer, « Mechtilde de Hackeborn, sainte, cistercienne, visionnaire », dans Les Femmes mystiques. Histoire et dictionnaire, sous la direction d’Audrey Fella, Paris, Robert Laffont, Bouquins, 2013, p. 715-717.


En complément

  • Sainte Mechtilde de Hackeborn a été le sujet d’une catéchèse de Benoît XVI le 29 septembre 2010.

  • Le Livre de la grâce spéciale, révélations de sainte Mechtilde, traduction par les moines de Solesmes, Tours, Mame et fils, 1921.

  • A.-M. Caron, « Taste and See the Goodness of the Lord : Mechtild of Hackeborn », dans J. A. Nichols et L. T. Shanks (éd.), Hidden Springs: Cistercian Monastic Women, livre II, Kalamazoo, Cistercians Publications, 1995, p. 512-513.

  • J. Lanczkowski, « Mechtilde de Hackeborn », dans Dictionnaire de la mystique, édité par Peter Dinzelbacher, Turnhout, Brepols, 1993, p. 523-524.

  • Margot Schmidt, « Mechtilde de Hackeborn », dans Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, vol. X, Paris, Beauchesne, 1980, p. 873-877.

  • Le podcast RCF À l’école des saints : « Mechtilde de Hackeborn et Gertrude de Helfta, deux saintes allemandes qui ont ouvert la voie à la dévotion au Coeur de Jésus ».

Précédent
Voir tout
Suivant