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Les martyrs
France
Nº 795
1745 – 1794

Le long martyre du chanoine Hunot

Loup-Sébastien Hunot, chanoine du diocèse de Sens, vécut la tourmente de la Révolution française lorsque l’État exigea des prêtres de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Refusant de trahir sa foi, il est arrêté, puis déporté en 1794. Les prisons étant pleines, il est embarqué sur les pontons de Rochefort, où d’anciens navires négriers avaient été transformés en prisons flottantes, sur lesquelles s’entassaient des centaines de prêtres. Dans ces conditions atroces, famine, maladie et isolement ont raison de lui. Il meurt martyr le 17 novembre 1794, fidèle à son sacerdoce, offrant sa vie dans la paix et la prière. La mort en martyr est un don de soi par amour ; c’est un des signes les plus élevés de la grandeur du christianisme.


Les raisons d'y croire

  • Sans la Révolution, le chanoine Loup-Sébastien Hunot ne serait jamais sorti de l’anonymat d’une paisible existence provinciale dans la France de Louis XVI. Il a déjà la cinquantaine quand la persécution religieuse éclate. Rien n’a préparé cet homme discret à affronter pareille épreuve.

  • À l’automne 1791, il est exigé de tout ecclésiastique français de prêter publiquement serment à la Constitution civile du clergé. Dès que le père Hunot comprend qu’en les fonctionnarisant, le serment qu’il a prêté le soustrait à l’autorité du pape et le fait membre d’un clergé gallican schismatique, il se rétracte.

  • Il lui faut un vrai courage, un grand sens de la foi et de l’Église pour s’y résoudre, sachant ce qui l’attend. En effet, les prêtres qui ont refusé de prêter serment doivent immédiatement quitter leurs fonctions, et donc leur logement. Il leur est interdit de résider près de leur ancienne paroisse, ce qui les prive de l’aide de leurs connaissances. Ils sont donc purement et simplement jetés à la rue et privés de moyens de vivre. L’on mesure l’ampleur du sacrifice consenti par ces hommes pour ne pas renier leur foi catholique. Ainsi rendent-ils déjà témoignage au Christ.

  • Les sanctions à l’encontre du clergé réfractaire s’aggravent. Pour les 50 000 ecclésiastiques hors-la-loi résidant encore sur le territoire national, la sentence annoncée est la déportation en Guyane, où l’on sait que l’espérance de vie n’excède pas dix mois. Pour échapper à ce sort terrible, il suffit de prêter le serment réclamé. Le chanoine Hunot s’y refuse encore, tout en sachant ce qui l’attend.

  • Sa résistance ne vient ni de l’orgueil ni d’un idéal politique : elle vient de son attachement au Christ et de sa fidélité sacerdotale. Il va en accepter les conséquences sans violence et sans révolte.

  • Au port de Rochefort, les prêtres déportés, trop nombreux pour les prisons, sont entassés sur d’anciens navires négriers transformés en pontons. Il est presque impossible de concevoir le calvaire enduré dans cet univers concentrationnaire. Et pourtant, beaucoup gardent une paix et une force d’âme impossibles à fabriquer sous la torture : elles révèlent une source plus grande qu’eux-mêmes.

  • Les détenus sont régulièrement humiliés et privés de tout soutien spirituel ou humain. Ils restent la journée entière debout sur le pont, sans bouger ni parler, les uns contre les autres. Le moindre écart est tenu pour une mutinerie et puni de mort. Mais ils supportent tout, dans une volonté d’imitation de la Passion du Christ.

  • Le chanoine Hunot meurt seul, le 17 novembre 1794, dans une fidélité que seules des grâces puissantes peuvent expliquer. En effet, les autorités révolutionnaires interdisaient à quiconque d’approcher les prisonniers mourants. Humainement, cela crée une situation atroce : l’agonie dans la solitude et l’abandon humain.

  • Pourtant, une présence surnaturelle accompagne ces prêtres à l’heure de leur mort. L’île Madame (îlot désert sur lequel sont débarqués les malades pour qu’ils y meurent) est rebaptisée « île Notre-Dame », car les prêtres ont voulu la consacrer à la Sainte Vierge, qui assiste effectivement leur agonie. Ce n’est pas un geste naïf ou purement symbolique, mais bien un hommage à la personne qui les a réellement soutenus.

  • Des soldats, des médecins et des marins – autrement dit, des observateurs non chrétiens ou même hostiles au clergé – ont noté la paix étrange de ces hommes mourants : pas d’hystérie, pas de révolte, pas de désespoir visible, mais, au contraire, souvent un sourire, parfois une parole de bénédiction pour leurs bourreaux.

  • L’Église a reconnu le chanoine Hunot parmi les bienheureux martyrs de la Révolution. Cette reconnaissance n’est pas qu’honorifique : elle est une confirmation ecclésiale que sa vie porte la marque de Dieu. La fécondité de son témoignage de fidélité, de paix et de pardon est une lumière chrétienne dans un temps de ténèbres, un signe de la présence du Christ agissant dans ses saints.


En savoir plus

Depuis l’automne 1791, il est exigé de tout ecclésiastique français occupant une charge paroissiale, d’aumônier ou d’enseignant, de prêter publiquement serment à la Constitution civile du clergé. Pie VI n’ayant pas réagi rapidement, beaucoup de prêtres, mal éclairés, vont, de bonne foi, accepter de le prêter sans en mesurer la portée qui, en les fonctionnarisant, les soustrait à l’autorité du pape et les fait membres d’un clergé gallican schismatique. Le chanoine Hunot, son frère et son cousin ne le comprendront qu’après l’annonce de la condamnation romaine, qui excommunie tous ceux qui ne se rétracteront pas dans de brefs délais. Ce qu’ils vont faire.

Le 27 mai 1792, une loi frappe de bannissement hors du territoire national dans un délai d’un mois tous les réfractaires, exceptés ceux âgés de soixante ans et plus, autrement dit les vieillards, les grands malades et les infirmes, qui devront être emprisonnés. Au printemps 1793, le chanoine Hunot est arrêté avec son frère et son cousin, et il rejoint l’un des nombreux convois qui viennent de la France entière, qui voient venir, à pied, sous les insultes et les menaces, les déportés vers les ports de l’Atlantique en vue de leur embarquement pour la Guyane.

Loup-Sébastien Hunot atteint ainsi le port de Rochefort, où les prisonniers sont incarcérés dans les anciens couvents de la ville dans l’attente de leur embarquement ; ils y sont fouillés au corps, exposés nus aux moqueries des gardiens, dépouillés de ce qu’ils possèdent encore, y compris leurs objets de piété. Là encore, ils supportent tout, dans une volonté d’imitation de la Passion du Christ, dans l’attente d’un départ qui n’aura jamais lieu car, la France révolutionnaire étant en guerre avec l’Angleterre, les navires britanniques bloquent les côtes, de sorte que les lourds vaisseaux de transport pénitentiaires ne pourraient forcer le blocus, et que leur départ entraînerait la libération des prisonniers par les Anglais. Les prêtres déportés continuant cependant d’arriver de partout et les prisons étant pleines, les autorités décident alors de les transférer sur de vieux navires négriers désaffectés, réduits en pontons. On les parque d’abord sur un vieux trois-ponts, le Bonhomme Richard, qui servait à l’isolement des soldats galeux.

En février 1794, on y adjoint un autre vieux navire, Les Deux Associés, qui peut loger à fond de cale quarante esclaves. Son commandant, le capitaine Laly, y entassera plus de quatre cents prêtres, qui, à la différence des pauvres Noirs, n’ont pas de valeur marchande. Il avouera plus tard : « On m’avait dit de les faire mourir sans bruit dans le silence de l’océan. Moi, je le faisais : je les haïssais. Nous avons tous notre mission ici-bas. J’ai tué, et je tuerais encore si j’avais à le faire. »

L’insalubrité, la promiscuité, les épidémies de fièvre et de typhus, la privation de soins et de nourriture tuent ces hommes en mauvaise santé. Un survivant, l’abbé Dumontet, témoignera : « Chacun de nous avait tout au plus deux pieds cubes d’air et, cependant, il en faut sept à huit pour qu’un homme puisse vivre […]. Lorsque la mort avait enlevé vingt prêtres, on avait la barbarie d’en faire venir d’ailleurs vingt-quatre ou vingt-cinq. » C’est dans ces terribles et inhumaines conditions que le père Hunot va survivre dix-huit mois avant d’être transféré sur un nouveau ponton, le Washington.

Messe, offices, bréviaire, rosaire sont défendus, et tenter de les dire est sévèrement puni. Le chanoine Dumontet se souviendra : « Il est interdit de s’édifier mutuellement par des conférences salutaires et relatives au salut. Si nous parlons en langue vernaculaire, nous exposons les choses saintes à une dérision révoltante, aux pires profanations des impies ; si nous parlons latin, nous sommes accusés de comploter, chercher des moyens de nous révolter et mis aux fers. »

Les détenus privés de leurs bréviaires s’en composent un de mémoire, qu’ils récitent de leur mieux. De petites conférences spirituelles sont improvisées par un ancien directeur de séminaire. Sur Les deux Associés, ils fondent une confrérie afin de sanctifier leur emprisonnement et offrir leurs souffrances pour le salut des âmes et de la France. Cela implique dans les statuts de n’exprimer aucun regret de la vie heureuse du passé, de ne pas garder rancune à leurs bourreaux, de ne jamais se plaindre, ce qui serait se révolter contre la volonté divine, de ne pas s’informer des événements, car ce serait espérer des hommes, et non de Dieu. Tout cela porte des fruits puisque quelques prêtres, qui avaient prêté le serment constitutionnel, arrêtés quand même lors de l’interdiction de tout culte fin 1793, au contact de leurs confrères fidèles, avouent leurs erreurs et reviennent à la foi de Rome.

On taira les égoïsmes qui poussent à écraser l’autre pour survivre, qui semblent avoir été minoritaires.

La nourriture avariée et l’eau croupie déclenchent des intoxications et des dysenteries, mais les malades sont abandonnés à fond de cale dans leurs déjections, qui contaminent l’air et leurs codétenus. C’est probablement dans ces conditions qu’après son frère, Loup-Sébastien tombe malade. Les cadavres sont jetés à la mer, mais les courants de marée les ramènent vers la côte et on est contraint de les enterrer. Les prisonniers doivent creuser les tombes de leurs confrères, à mains nues, et ces fosses dégagent une puanteur atroce. Il y en a partout : autour des bastions de Fort Lupin, de Fort Vasou, de Port des Barques. Il faut alors transporter les cadavres sur l’île d’Aix, tandis que les dépouilles des morts de l’île Madame restent sur place. On parle de 253 morts enterrés à Aix, entre 209 et 275 sur l’île Madame.

La chute de Robespierre, le 27 juillet 1794, améliore un peu les conditions d’existence. Le 6 février 1795, les survivants sont débarqués à Tonnay, puis conduits à Saint-Porchaire ou à Saintes. Le 16 avril, ils retrouvent la liberté. Sur les 829 prêtres passés sur les pontons de Rochefort, 547 y sont morts.

L’Église a pu constituer des dossiers solides pour 64 d’entre eux, qui ont été béatifiés par Jean-Paul II en 1995. Si l’Église commémore Loup-Sébastien Hunot avec ses compagnons de supplice le 26 août, il est aussi fêté à la date anniversaire de sa mort, le 17 novembre 1794.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Le reportage de KTO TV : « Les oubliés de l’île ».


En complément

  • Pierre-Marie de La Gorce, Histoire religieuse de la Révolution française, Plon, 1912.

  • Ivan Gobry, Les Martyrs de la Révolution française, Perrin, 1989.

  • Un site Internet est dédié à la mémoire des prêtres déportés sur les pontons de Rochefort.

  • Louis-Marie Dubois, Rochefort et les pontons de l’île d’Aix : première persécution contre le clergé pendant la Terreur, Libaros, 1890.

  • Louis Audiat, Les Pontons de Rochefort, Baur & Detaille, 1872. L’ouvrage rassemble des témoignages et des récits des souffrances des prêtres sur les pontons.

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