La conversion de Brice, disciple rétif de saint Martin
Entré jeune au monastère de Marmoutier, qu’a fondé saint Martin, Brice, après des débuts prometteurs dans la vie religieuse, devient peu à peu insupportable à sa communauté par ses colères, ses emportements, sa violence. Ses frères moines, exaspérés, supplient Martin de le renvoyer de la communauté, mais l’évêque s’y refuse, assurant que Brice s’amendera et qu’il faut lui laisser le temps. Pourtant, un jour, celui-ci rompt ses vœux, rentre dans le monde et entame une vie scandaleuse. Martin, néanmoins, ne désespère pas du salut de son impossible disciple, à raison. Lorsque Brice mourra, le 13 novembre 444, il sera désormais considéré comme un saint, car la patience de Martin, les épreuves et la grâce de Dieu ont fait de lui un autre homme.
Les raisons d'y croire
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On connaît Brice par des sources du Ve siècle (Sulpice Sévère, Grégoire de Tours). Son existence est attestée, et son parcours vérifiable.
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Sulpice Sévère, biographe de Martin, s’est longuement entretenu avec lui dans les années 390. Nous entendons ainsi directement sa voix, ses souvenirs et son témoignage sur le parcours de Brice, sur les excès qui entraînent le garçon vers la damnation et sur l’emprise démoniaque dont il est victime.
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Lorsque Brice quitte les moines, il se fait marchand d’esclaves – profession condamnée par le christianisme et qui entraîne l’excommunication. Par provocation, il choisit d’établir son honteux commerce à Tours, où tout le monde le connaît et où le scandale sera total.
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En tant qu’archevêque, Martin peut exercer certains pouvoirs judiciaires quand il s’agit de la communauté chrétienne, et à plus forte raison des clercs ; il pourrait donc faire arrêter et emprisonner Brice afin de mettre un terme au scandale. D’ailleurs, on l’y encourage, ce qui serait, humainement parlant, le moyen le plus simple d’en finir, mais il s’y refuse car il connaît le pouvoir transformant de la grâce.
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C’est pourquoi il décide un jour d’aller rendre visite à son ancien moine pour l’admonester avec charité. Brice l’écoute sans mot dire mais, après le départ de Martin, tout ce qu’il aurait pu lui dire d’odieux et de méchant lui vient à l’esprit, et, sa colère grandissant toute la nuit, il décide au matin de se rendre à Marmoutier pour jeter son venin à la face du saint. Ce qu’il fait. Toute la communauté est donc témoin de l’horrible scène et des détestables insultes dont il abreuve longuement Martin, sans que celui-ci réponde autre chose que : « Brice, mon enfant, voyons ! » Cette douceur exaspère le forcené.
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Derrière Brice, Martin voit nettement deux démons ricanants qui l’excitent. Exorciste puissant, Martin se met à prier pour libérer Brice du pouvoir du Malin. Brice voit alors, lui aussi, les deux esprits mauvais qui se félicitent de si bien le tenir et de l’entraîner en enfer. Saisi d’horreur, il tombe à genoux en pleurant, et, repentant, trouve le courage d’implorer le pardon de Martin.
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Eu égard à l’orgueil et au caractère du garçon, un tel retour sur soi-même est d’autant plus miraculeux que le reste de la communauté, mécontente, ne lui fait pas bon accueil. Il fallait au moins une intervention divine, obtenue par l’intercession de Martin, pour que Brice revienne à la vie religieuse.
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Si nous étions dans un roman inventé, on nous dirait que tout va désormais très bien avec le pécheur pardonné, mais la vérité est autre. Brice, repentant ou pas, reste pénible à supporter, toujours sujet à de violents accès de colère. Martin le conduit pourtant au sacerdoce et en fait son adjoint, décisions que nul ne comprend. Il dit alors : « Si Jésus a supporté Judas, je peux bien supporter Brice ! » Tout cela sonne juste, tant sur le plan psychologique que spirituel et surnaturel.
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Un jour, Martin annonce même que Brice lui succédera sur le siège épiscopal, mais qu’il aura beaucoup à souffrir. Cette prédiction est tellement aberrante que Brice a beau jeu de s’exclamer en le traitant de fou. Pourtant, contre toute attente, Brice deviendra le quatrième archevêque de Tours, mais une pénible suite d’épreuves l’attend en effet.
En savoir plus
L’introduction du monachisme en Gaule sous l’impulsion de Martin connaît un très vif succès, car le monastère apparaît, pour les premières générations de chrétiens à connaître la paix de l’Église – parce qu’ils ne risquent plus le martyre, qui assurait le salut –, comme un autre moyen, en renonçant au monde, de mériter le paradis. Cependant, il arrive que des hommes, d’abord enthousiastes pour cet état de vie, finissent plus ou moins vite par le trouver trop pénible et désirent s’en aller. De tels départs sont tenus pour des apostasies et entraînent l’excommunication. Par principe, Martin fait l’impossible pour les éviter. C’est pourquoi, malgré les réclamations des autres moines, qui n’en peuvent plus, Martin se refuse à renvoyer Brice, qui, de son côté, veut se poser en victime que l’on a obligée à partir. La situation se tend finalement jusqu’à la rupture. Brice quitte le monastère de Marmoutier en faisant un esclandre. Tout le monde est très soulagé de son départ, hormis Martin qui reste attaché à ce fils révolté et qui garde la volonté farouche de le sauver et de le sanctifier, quel que soit le prix à payer.
Il réussira effectivement à ramener le garçon par la douceur et, si bas qu’il soit tombé, Brice aura toujours observé son vœu de chasteté.
En novembre 397, à la mort de Martin, Brice, contre toute attente, succède en effet à son maître et, transformé, devient un modèle d’évêque martinien, vivant de prières et de sacrifices, mortifié et se sanctifiant.
Certains décident alors de se débarrasser de ce trop saint prélat. Une vierge consacrée employée à l’évêché accuse Brice de lui avoir fait un enfant. Brice jure de son innocence : dans ses pires égarements de jeunesse, il n’a jamais manqué à la chasteté et, pour le prouver, accepte une ordalie (épreuve judiciaire religieuse pratiquée au Moyen Âge, où l’on s’attend à ce que Dieu manifeste visiblement la vérité ou l’innocence de l’accusé). Ramassant à pleines mains des tisons ardents, il va, traversant la ville, les porter sur la tombe de Martin. Ni ses mains ni ses vêtements ne portent trace de brûlure.
Il est pourtant expulsé honteusement de la ville et ses ennemis élisent par deux fois un remplaçant illégitime, qui, par deux fois, meurt. Brice fait alors appel de son renvoi devant le pape Zosime et l’empereur. Il obtient justice, et il est rappelé à Tours après sept ans d’exil.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Sulpice Sévère, Vie de saint Martin. Peut être consulté en ligne .
En complément
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Ivan Gobry, Saint Martin, Perrin, 1997.
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Anne Bernet, Saint Martin, Clovis, 1997.
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Luce Pietri, « La succession des premiers évêques tourangeaux : essai sur la chronologie de Grégoire de Tours », Mélanges de l’École française de Rome, tome 94, no 2, 1982. En ligne .