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Les martyrs
Ukraine et Biélorussie
Nº 792
1580 – 1623

Josaphat Kountsevitch meurt pour l’unité des chrétiens

Saint Josaphat Kountsevitch (né Ivan, 1580 – 1623) est une figure marquante de l’union entre orthodoxes et catholiques en Ukraine et en Biélorussie. Dans ces régions déchirées par les tensions religieuses et politiques, il œuvre à réconcilier les communautés orthodoxes avec Rome, tout en conservant rites et traditions locales. Son action courageuse suscite admiration et hostilité, certains voyant en lui un agent de latinisation. Malgré les controverses, sa vie témoigne d’un dévouement exemplaire au Christ et au service du prochain. En 1867, il devient le premier saint canonisé de l’Église ruthène.


Les raisons d'y croire

  • Dans les années 1590 naît en Ukraine et en Biélorussie l’Église ruthène. Favorable à une réconciliation avec Rome, elle permet aux anciens orthodoxes de conserver leurs coutumes et leur liturgie. Ce mouvement est loin de faire l’unanimité dans la région, et ces croyants risquent leur réputation, voire leur sécurité.

  • Les parents d’Ivan Kountsevitch y adhèrent et élèvent leur fils dans cet espoir de retour à l’unité, qui va devenir le grand but de sa vie. Le courage dont ils font preuve n’est pas fondé sur un intérêt humain, mais sur une conviction spirituelle vécue : la fidélité à la vérité du Christ et à son Église vaut plus que l’approbation du monde. Ce mouvement vers l’unité est l’œuvre silencieuse de l’Esprit Saint.

  • Ivan pourrait reprendre le négoce de son père et faire un bon mariage, s’assurant dans le monde une excellente situation. Tout cela lui tend les bras quand, à vingt ans, il abandonne tout pour entrer au monastère de la Sainte-Trinité à Vilnius et prend le nom de Josaphat. Son exigeant amour de Dieu l’a emporté sur toute autre considération.

  • Il reçoit une solide formation théologique et biblique, selon une double culture orientale et latine, ce qui lui permet de manier un langage compréhensible des deux traditions. Dans le traité Défense de l’union ecclésiastique (vers 1617), il explique pourquoi la communion avec Rome ne contredit pas la tradition orientale, et il montre que la primauté de Pierre est aussi enracinée dans les sources byzantines. Ses échanges avec les hiérarques orthodoxes de Kiev et de Polotsk témoignent d’un esprit rigoureux, respectueux et convaincant.

  • Josaphat voit dans la diversité des traditions non pas une contradiction, mais la richesse d’un même mystère révélé en Jésus-Christ. La vérité du christianisme n’est pas dans une culture ou dans un rite : elle réside dans la personne vivante du Christ, « chemin, vérité et vie », qui fonde l’unité de ses disciples. En cherchant à réunir les chrétiens d’Orient et d’Occident, il souhaite donc manifester la vérité de la foi chrétienne.

  • Cependant, Josaphat, devenu archevêque de Polotsk en 1618, se heurte à une très vive contestation, une majorité de gens refusant tout accord avec Rome. Des violences éclatent, ce qui n’empêche pas Josaphat de continuer à plaider pour la cause uniate à temps et à contretemps. Cela lui vaut des haines farouches mais, malgré les menaces, l’archevêque tient bon. Il n’a pas peur et se dit prêt à risquer le martyre pour défendre la cause de la réconciliation. Il fait dès lors l’objet d’une campagne de haine diffamatoire d’une extrême violence et de calomnies.

  • Josaphat se sait en danger de mort. Il effectue pourtant une tournée pastorale dans l’une des régions les plus hostiles à ses vues. Le 14 novembre 1623, il est victime d’une émeute à Vitebsk. La foule le lynche et jette son corps dans la Dvina. La mort de saint Josaphat est suivie de signes extraordinaires. Son corps peut être repêché plusieurs jours plus tard. Malgré les sévices subis et le temps passé dans l’eau, plusieurs chroniques d’époque relatent la conservation étonnamment intacte de son corps.

  • À Polotsk, où sa dépouille repose, on rapporte de nombreux prodiges sur le lieu de sa sépulture : des guérisons inexpliquées, des grâces spirituelles profondes, des réconciliations entre ennemis – autant de signes qui témoignent de la fécondité spirituelle de Josaphat.

  • L’incorruption se prolonge plusieurs années – au moins cinq ans –, témoignant d’une action supranaturelle. L’enquête canonique, ouverte dès 1623 et faisant intervenir 116 témoins sous serment, mentionne ces faits parmi les éléments de réputation de sainteté.

  • Pendant son séjour au couvent des Carmes, à Kamenets-Podilskyi, un haut dignitaire militaire tombe gravement malade. Une relique de Josaphat Kountsevitch lui est alors présentée et, après l’avoir touchée, il recouvre immédiatement la santé. Cette guérison figure parmi les témoignages consignés dans le procès de canonisation de Josaphat.


En savoir plus

Depuis 1054, les Églises d’Orient et d’Occident sont séparées ; les Orientaux ne reconnaissent plus la suprématie de Rome. Malgré la menace islamique pesant sur Constantinople, il n’a jamais été possible de réconcilier les chrétiens. C’est le schisme d’Orient. Après la chute de l’Empire byzantin, Moscou revendique le titre de « troisième Rome ». La rupture est consommée et, malgré les mains tendues, elle semble sans remède. C’est dans ce contexte tendu que naît vers 1580 à Volodymir Volyosty le petit Ivan Kountsevitch, fils de riches marchands.

Ivan adhère dès l’adolescence au programme de réconciliation de l’Église ruthène avec Rome. C’est pour lui se mettre en porte à faux avec la majorité, ce qui demande du courage, du caractère, et un grand sens de l’Église. Il s’en fera le champion toute sa vie – notamment lorsqu’il sera devenu moine basilien, prêtre et archevêque –, avec une ardeur et un courage jamais démentis malgré les menaces d’une population et d’un clergé qui, refusant la fin du schisme, sont soutenus par Moscou, dont les cosaques s’acharnent sur les catholiques polonais et les orthodoxes désireux de rejoindre les Uniates.

Très vite, le jeune moine basilien, qui a pris le nom en religion de Josaphat, révèle une profonde vertu, une charité et une abnégation qui le font donner en exemple. Ordonné prêtre en 1609, il s’impose comme un confesseur et un directeur de conscience si remarquable qu’on vient le consulter de loin. On ne peut nier que sa vie soit en tous points exemplaire. Il devient d’ailleurs archimandrite à trente ans, et, en 1618, archevêque de Polotsk.

Une première révolte éclate contre Mgr Josaphat en 1622, à la suite de tentatives de déstabilisation provoquées par le pouvoir russe. Il fait alors fermer des lieux de culte orthodoxe tenus pour des foyers d’agitation. Les haines ne font que grandir à son égard. Il le sait, mais il répète qu’il est prêt à mourir pour l’unité. Il reste fidèle à sa ligne de conduite, opposant patience et douceur aux menaces et aux violences.

Après l’emprisonnement de certains popes parmi les plus hostiles, et bien qu’il maintienne tous les anciens usages, Jospahat se fait appréhender par les émeutiers chez lui le 12 novembre 1623. Il est frappé de mille coups, puis achevé d’une balle dans la tête après avoir été promené nu dans les rues. Son dernier mot, ayant pardonné à ses bourreaux, est « Jésus ».

L’empereur Sigismond prendra contre ses diocésains de sévères mesures de représailles. Josaphat a été canonisé en 1867, devenant le premier martyr uniate.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au delà

Le culte de Josaphat se répandit rapidement en Lituanie, en Pologne et en Ukraine. Son corps, d’abord conservé à Polotsk, fut transféré à Biala Podlaska, puis à Vienne, et enfin à Rome, où il repose aujourd’hui dans la basilique Saint-Pierre, sous l’autel de saint Basile le Grand, symbole fort de l’unité entre Orient et Occident.


Aller plus loin

Laurent Tatarenko, L’Église ruthène face aux fidèles, Hypothèses, 2011.


En complément

  • Pie XI, Encyclique Ecclesiam Dei, 1923.

  • Sur le site Internet La Porte Latine, l’article « Saint Josaphat Koncewicz ».

  • Le recueil en trois volumes : S. Josaphat Hieromartyr. Documenta romana beatificationis et canonizationis, rassemblé par Athanasius G. Welykyj, publié en 1952, 1955 et 1967, couvre les différentes phases de la cause.

  • Kerstin S. Jobst, « Transnational and Trans‑Denominational Aspects of the Veneration of Josaphat Kuntsevych », Journal of Ukrainian Studies, 2012.

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