La Mater Admirabilis, une image de Marie qui convertit sans besoin de paroles
Au milieu du XIXe siècle, à Rome, Pauline Perdrau, une jeune novice française, réalise une fresque à l’effigie de la Vierge Marie : la Mater Admirabilis. Elle met en lumière la Vierge Marie dans sa jeunesse et la représente sans gloire apparente, dans le quotidien, comme modèle de l’intériorité chrétienne, qui accueille et porte Dieu dans le silence. Attirant doucement les âmes vers Dieu, cette œuvre rassemble encore aujourd’hui des pèlerins venus du monde entier, qui témoignent des grâces dont ils ont bénéficié à la suite de leurs prières devant la fresque. La réalisation mystérieuse de cette fresque et son large impact spirituel à l’échelle mondiale font de cette œuvre d’art un signe tangible de la beauté et de la vérité de la foi chrétienne.
Les raisons d'y croire
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Cette œuvre n’aurait jamais dû voir le jour, puisque la supérieure du couvent de la Trinité, qui accueillait Pauline, postulante, s’est d’abord opposée à sa réalisation – le projet lui semble saugrenu – avant de changer mystérieusement d’avis.
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Une fois réalisée, l’œuvre a d’abord été jugée de qualité médiocre – voire franchement ratée. La fresque est promise à l’oubli, cachée derrière un rideau. Ce n’est qu’une vingtaine de jours plus tard que l’œuvre se révèle, reconnue par tous d’une beauté et d’une profondeur à couper le souffle.
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Les couleurs, qui étaient d’abord trop vives, sont devenues douces, lumineuses, équilibrées, comme si la fresque avait été transfigurée. Certes, l’altération des couleurs peut être expliquée par plusieurs variables (séchage, effet de la chaux, lumière), mais l’auteur de l’œuvre, la jeune Pauline Perdrau, ne les maîtrisait pas : elle n’a jamais peint de fresque et n’étudie cette technique que depuis une quinzaine de jours... Elle-même n’a pas anticipé un tel embellissement de la toile.
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Pauline n’est pas une professionnelle : simplement une postulante des Sœurs du Sacré-Cœur, qui n’a bénéficié que d’une formation artistique minimale, juste suffisante pour entreprendre une fresque, en guise de projet d’étude. Malgré cela, elle réalise un chef-d’œuvre, non seulement réussi sur le plan technique, mais aussi sur le plan spirituel. L’explication se trouve dans la démarche de foi de Pauline, qui, par cette peinture, désire avant tout rendre présente Marie au cœur du couvent. Ses compétences picturales ont manifestement été enrichies d’un don spirituel. Dieu agit souvent à travers les petits et les humbles.
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Appelée d’abord Notre Dame du Lys, la fresque est finalement nommée Mater Admirabilis. Ce nom est inspiré par la Vierge elle-même, en réponse à la prière d’une religieuse de passage, d’origine lituanienne, qui lui demandait sous quel nom la fresque devait être connue.
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La dévotion à l’image de la Mater Admirabilis s’est répandue comme une traînée de poudre au sein de la congrégation du Sacré-Cœur et au-delà, par le monde entier. Un grand nombre de reproductions de la fresque sont réalisées, et le petit couloir du couvent se transforme rapidement en un haut lieu de pèlerinage. Un tel succès ne peut qu’étonner : il y a là le doigt de Dieu.
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L’explication du succès de cette fresque est aussi à chercher dans le fait que la beauté chrétienne n’est pas seulement esthétique : elle touche le cœur parce qu’elle est porteuse de vérité et d’amour.
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Devant l’affluence de pèlerins et de visiteurs venus du monde entier, le petit corridor de récréation où la fresque a été peinte, à la Trinité des Monts, est transformé en une véritable chapelle, dont les murs s’ornent très vite d’ex-voto, qui témoignent des conversions et des guérisons reçues par les pèlerins. Madeleine-Sophie Barat, fondatrice des Sœurs du Sacré-Cœur, observant toutes les grâces liées à la Mater Admirabilis, disait que cette image de Marie convertissait les cœurs sans paroles.
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Un exemple : la guérison de l’abbé Charles Blampin. Ce missionnaire à La Réunion retrouve l’usage de la parole devant cette fresque, après l’avoir complètement et irrémédiablement perdue. Il est autorisé par le pape à célébrer une messe en action de grâce, le 21 novembre 1846, dans le couloir où se trouve l’image.
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Devant la destinée extraordinaire de la fresque, Pauline est toujours restée humble. Elle assume et reconnaît les imperfections et les défauts de l’œuvre qui viennent d’elle, mais a aussi toujours témoigné avoir eu la nette impression d’avoir été guidée dans la réalisation de cette œuvre. « Voyez bien que c’est moi qui l’ai faite, elle a le cou trop long ! », disait-elle, peu après avoir achevé la fresque, « mais en même temps, ce n’est pas moi qui l’ai faite : une autre main m’a guidée. Sinon, elle ne donnerait pas cette impression de calme, de sérénité, de vie intérieure de contemplation. »
En savoir plus
Tout commence en mai 1844, dans le corridor qui longe l’église romaine de la Trinité-des-Monts, au premier étage. Les sœurs du Sacré-Cœur ont coutume de s’y réunir pendant leur temps de récréation. C’est en effet à la jeune communauté des Dames du Sacré-Cœur, fondée en 1800 par la future sainte française sœur Madeleine-Sophie Barat, que le domaine de la Trinité-des-Monts a été confié en 1828. Or, donc, pendant ce temps de récréation de mai 1844, l’une des religieuses s’exclame soudain : « Ah ! Si la Sainte Vierge daignait venir présider notre réunion ! » Ce souhait ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd, mais dans celle de Pauline Perdrau, une jeune novice française arrivée au couvent des religieuses du Sacré-Cœur un an plus tôt, en 1843. Entendant sa sœur religieuse, la jeune novice sent jaillir en elle le désir brûlant de « faire venir Marie dans le couvent ». Elle le promet à ses sœurs en religion, sans expliquer toutefois à ses compagnes comment elle compte s’y prendre pour mener à bien ce projet ! En fait, Pauline a une idée précise en tête : celle de peindre une fresque représentant Marie dans une des niches vides du couloir du premier étage ; ainsi, la Vierge pourrait présider les récréations à venir !
Pauline s’adresse à la supérieure du couvent, mère de Coriolis, dans l’espoir d’obtenir l’autorisation de peindre sa fresque… mais cette dernière hésite. Pauline est certes dans une communauté religieuse dont l’environnement artistique est riche. Ce contexte lui a donné accès à des formes d’art chrétien, d’iconographie, de représentations mariales, etc. Cependant, elle n’a jamais peint de fresque auparavant. À cela, il faut ajouter le fait que la mère supérieure doute que réaliser une fresque au beau milieu d’un corridor soit l’endroit le plus propice à la dévotion…Cependant, Pauline insiste si bien que, de guerre lasse, la supérieure finit par céder. En 1844, après son pèlerinage à la Sainte Maison de Lorette, Pauline obtient l’autorisation tant désirée : la fresque sera réalisée. Munie de son autorisation, Pauline se met à l’ouvrage le 1er juin 1844, en la fête du Sacré-Cœur.
Elle choisit de représenter la Vierge adolescente, âgée d’une quinzaine d’années, filant la quenouille dans le temple, avec un lys blanc. Une image qui lui est chère depuis son adolescence. Un jour que sa bonne s’efforçait à grand-peine de lui apprendre l’art difficile de filer la laine, voyant le peu d’intérêt qu’y portait la jeune fille, la bonne s’était exclamée : « Venez avec moi dans le temple de Jérusalem, vous y trouverez la Sainte Vierge, elle a votre âge, et elle file aussi. » Pauline est restée profondément marquée par cette idée que Marie l’accompagnait dans ses tâches les plus quotidiennes.
Alors que la novice se met à l’ouvrage sur sa fresque, chaque jour, un maçon-fresquier vient étendre sur le mur le morceau de chaux qu’il s’agit de peindre tant qu’il est encore humide, petite touche par petite touche. Les pigments ne prennent leur véritable couleur et leur luminosité qu’après une vingtaine de jours de séchage. Ainsi, lorsqu’elle voit l’œuvre achevée, la mère supérieure estime que la fresque est très criarde. D’autres personnes, voyant l’œuvre, se disent même épouvantées par sa laideur ! Pauline Perdrau ne s’en émeut pas : elle a la nette impression que la Vierge Marie l’aide dans la réalisation de son portrait. La novice étend simplement un rideau pour cacher la fresque en attendant qu’elle sèche. Elle sait déjà comment elle pense appeler sa Dame : la « Vierge au lys ».
Une fois séchée, la fresque est comme métamorphosée : la communauté entre dans une admiration telle qu’elle se met spontanément à chanter le Magnificat ! Un jour, mère Macrine, une mère abbesse lituanienne qui a échappé aux geôles russes, arrive à la Trinité-des-Monts, où elle est hébergée. Très vite, mère Macrine se prend d’affection pour la fresque nouvellement réalisée : elle vient même de nuit prier devant l’image, demandant à Marie dans sa prière de lui faire connaître le titre sous lequel elle voudrait qu’on l’honorât. Le nom de « Mater Admirabilis », « Mère Admirable », lui est alors inspiré. Et tel fut désormais son nom.
Très vite, l’ensemble des élèves de la congrégation du Sacré-Cœur prennent l’habitude de venir chanter des cantiques devant la fresque, lors des jours de fête de la Vierge. Sœur Madeleine-Sophie Barat elle-même, fondatrice de la congrégation du Sacré-Cœur, ne tarit pas d’éloges sur l’œuvre. Elle dit ainsi à Pauline : « Votre petite Sainte Vierge n’est pas mal du tout. En allant à la tribune, je fais souvent un coude pour aller la regarder. Elle m’attire, elle a l’âge de nos élèves et me parle de cette jeunesse à laquelle j’ai voué ma vie. » La dévotion à l’image de la Dame se répand comme une traînée de poudre : la fresque est reproduite sous forme de peinture ou de gravure dans chacun des instituts, collèges et écoles liés à la société du Sacré-Cœur de Jésus. La mère admirable devient ainsi la patronne et protectrice des écoles des religieuses du Sacré-Cœur, et ce à travers le monde. La dévotion à la Mater Admirabilis s’étend bien au-delà du large réseau des élèves du Sacré-Cœur, et la fresque est aussi reproduite dans d’innombrables églises, de celle de la Bonne-Mère, à Marseille (France), au monastère de Sticna (Slovénie), en passant par une chapelle privée du séminaire pontifical français de Rome…
Des foules nombreuses viennent contempler la fresque originale à la Trinité des Monts. Dès l’année 1846, de nombreuses guérisons ainsi que des conversions sont attestées devant cette même fresque. Le pape Pie IX est lui-même très attaché à la Mater Admirabilis : la preuve en est qu’il se rend vingt et une fois à la Trinité-des-Monts pour visiter la petite Madone. La première année de son pontificat, le 20 octobre 1846, alors qu’il visite le couvent des sœurs de la Trinité-des-Monts, Pie IX pose les yeux sur la Mater Admirabilis pour la première fois. Contemplant la fresque, ému par sa pureté, sa candeur, sa simplicité, le Saint-Père s’agenouille et prie longuement devant l’œuvre. Ensuite, le pape bénit la fresque et accorde des indulgences à tous ceux qui réciteront trois Ave Maria et trois fois « Mater Admirabilis, ora pro nobis » devant la peinture. Comme le souverain pontife autorise la célébration de messes devant la Mater Admirabilis, le corridor de récréation est rapidement transformé en une véritable chapelle, et la chapelle devient un centre de pèlerinage.
Parmi les foules nombreuses venues vénérer la Mater Admirabilis, nombreux sont les saints qui viendront se recueillir devant la fresque. Citons sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Jean Bosco, ainsi que des pontifes, comme le futur Benoit XV ou Jean XXIII. Plus récemment, c’est Michiko Shoda, impératrice du Japon, qui est venue pour confier à la Mater joies et peines, et lui demander conseil, alors que son époux était au Quirinal.
Thomas Belleil, auteur de livres de spiritualité, est diplômé en sciences religieuses à l’École Pratique des Hautes Études et en théologie au Collège des Bernardins.
Au delà
Innombrables sont les œuvres d’art sacré chrétien qui, partout dans le monde et durant toute l’histoire du christianisme, ont suscité et suscitent encore une grande émotion dans le cœur de ceux qui les contemplent. Attirant les âmes vers la transcendance, la beauté de ces œuvres artistiques semble être comme un reflet de celle de Dieu.
Aller plus loin
Pauline Perdrau, Les Loisirs de l’abbaye : souvenirs inédits de la mère Pauline Perdrau sur la vie de notre vénérée mère Gœtz, Rome, Maison Mère, 1936.
En complément
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Monique Luirard, La Société du Sacré-Cœur dans le monde de son temps, 1865-2000, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2009.
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L’article et le podcast proposés sur le site de la communauté de l’Emmanuel.
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Les informations disponibles sur le site Internet de la Trinité-des-Monts .
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L’article : « Mater through the years, with Pauline Perdrau ».