Charles et Zita de Habsbourg : ensemble vers le Ciel
Le 21 octobre 1911 se mariaient Charles de Habsbourg et Zita de Bourbon-Parme, couple profondément uni par l’amour et la foi. Devenus empereur et impératrice d’Autriche-Hongrie en 1916 (succédant aux célèbres Franz et Sissi), ils cherchèrent à mettre fin à la guerre et à réformer l’Empire. Après la chute de la monarchie, l’exil les plongea dans la pauvreté ; Charles mourut à trente-quatre ans en offrant ses souffrances pour son peuple. Veuve à vingt-neuf ans, Zita éleva seule leurs huit enfants, et resta fidèle à sa mission d’impératrice, d’épouse, de mère et de chrétienne tout au long de sa vie. Elle mourut à presque quatre-vingt-dix-sept ans. Charles a été béatifié en 2004 ; Zita, quant à elle, a été déclarée servante de Dieu en 2009 (ce qui signifie que l’Église a officiellement ouvert une enquête sur sa vie en vue d’une éventuelle béatification).
Les raisons d'y croire
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Au début du XXe siècle, le mariage de personnes du rang de Charles et Zita s’apparente surtout à un contrat. Or, dès le début, leur union est bien plus profonde : c’est un véritable mariage d’amour sous le regard de Dieu. En effet, le couple n’en reste pas au niveau de la vocation naturelle du mariage ; ils le hissent au plan surnaturel et, par le sacrement reçu, ils font du mariage le lieu spécifique pour accueillir la grâce dans leur vie.
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En 1914, l’assassinat à Sarajevo de l’archiduc François-Ferdinand fait de Charles le successeur désigné de l’empereur François-Joseph Ier. Le couple héritier va connaître le sommet de la gloire, les horreurs de la Première Guerre mondiale, l’exil et la perte de leurs biens. Les caprices de leur destin étaient humainement imprévisibles et, pourtant, quelqu’un les avait prophétisés : le pape saint Pie X. Le 24 juin 1910, en effet, ce dernier avait reçu Zita en audience et lui avait tenu des propos qui semblaient incohérents : il parlait de Charles comme de l’héritier de l’Empire (alors que l’héritier était alors François-Ferdinand) et il avait annoncé que « Charles [était] la récompense que Dieu [avait] réservée à l’Autriche ». Cet épisode étonnant est bien connu et documenté : il sera retenu au procès de canonisation de Pie X comme une prophétie du saint pape. C’est seulement après plusieurs années que les témoins de cette entrevue ont compris le sens de ces paroles du Saint-Père.
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Zita a souvent témoigné de la conviction qu’ils avaient tous les deux d’avoir reçu leur charge de souverains du Christ lui-même. Dès leur couronnement, Charles et Zita se sentent responsables de leurs peuples pour toujours, même après la dissolution de l’Empire. Charles considère qu’« être roi, ce n’est pas satisfaire une ambition, mais se sacrifier pour le bien du peuple tout entier ». Il est très singulier que ce jeune couple impérial de vingt-quatre et vingt-neuf ans se sente investi d’une telle mission sacrificielle : ils prennent exemple sur la royauté du Christ lui-même.
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La force d’âme dont ils font preuve tous les deux face à la charge écrasante qu’ils doivent assumer en ces temps de guerre et de crise politique est édifiante et dépasse les capacités communes. Charles travaille dix-huit heures par jour et épuise ses assistants. « Je ne me reposerai pas un seul jour ! Ne s’agit-il pas de vies humaines ? » Cette force puise sa source dans sa foi.
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Charles crée un ministère des Affaires sociales et de la Santé publique, ce qui est novateur à l’époque et une première pour l’Empire. Son règne, quoique bref, est imprégné de l’enseignement social catholique de l’Église, et sa gouvernance est résolument orientée vers le bien commun.
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C’est surtout face à l’épreuve que l’héroïcité de leurs vertus est éloquente : après l’armistice de 1918 et la proclamation de la République, Charles et Zita sont exilés en Suisse, puis à Madère. Chassés de leur pays à qui ils se sont offerts, dépouillés de tout, ils connaissent le froid, la faim, la pauvreté, la maladie, l’isolement – ils sont même séparés de leurs enfants pendant plusieurs mois –, mais jamais ils ne perdent confiance en la Providence, s’attachant avant tout à reconnaître et à suivre la volonté de Dieu.
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Monarques très aimés ou souverains déchus exilés et misérables, qu’importe : Charles et Zita ne veulent que servir Dieu, quelles que soient les circonstances, heureuses ou cruelles. Au milieu des épreuves, c’est toujours le souci de leur patrie qui les accable avant leur propre sort. Leur constance en pareilles circonstances rend crédible l’espérance chrétienne.
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Après la mort de son époux, Zita élève avec un courage admirable ses huit enfants. Durant ses soixante-sept années de veuvage, sa vie continue d’être agitée par les misères du siècle, surtout la Seconde Guerre mondiale, mais toujours ancrée en Dieu. À quelqu’un qui lui demande comment elle a pu supporter tant d’épreuves, elle répond : « Sans la foi, c’eût été impossible. »
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L’Église a reconnu l’action du Christ dans la vie de Charles et de Zita. La fête liturgique du bienheureux Charles est fixée le 21 octobre, jour de son mariage avec Zita, et non le 1er avril, jour de sa mort, comme c’est l’habitude. Jean-Paul II a ainsi manifesté à quel point c’est bien le sacrement de mariage qui a été à la source de la sainteté de Charles.
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Le miracle reconnu pour la béatification de Charles concerne la guérison de sœur Maria Zita Gradowska en 1960, qui témoigne de l’intercession puissante de l’empereur. Sœur Maria Zita, religieuse polonaise qui vit au Brésil, souffre d’une phlébite sévère avec des douleurs intenses et un risque d’amputation. Les traitements médicaux restent inefficaces. Sur les conseils de ses supérieures, elle prie pour demander l’intercession du bienheureux Charles d’Autriche et elle est complètement guérie.
En savoir plus
Le bienheureux Charles de Habsbourg (1887 – 1922) et la servante de Dieu Zita de Bourbon-Parme (1892 – 1989) forment un couple catholique modèle, alliant amour conjugal, foi profonde et service du bien commun. Charles, petit-neveu de l’empereur François-Joseph Ier, est éduqué dans un cadre strictement catholique et développe dès l’enfance un sens aigu du devoir, de la prière et de la charité. Zita, née dans la famille des Bourbon-Parme, grandit dans une atmosphère pieuse et familiale, entourée de ses nombreux frères et sœurs. Son éducation lui inculque une profonde confiance en la Providence et une vie de dévotion quotidienne.
Ils se marient le 21 octobre 1911 à Schwarzau. Leur union est vécue comme une vocation spirituelle : prière quotidienne, messe régulière, ainsi qu’un accueil généreux de la vie avec la naissance de huit enfants entre 1912 et 1922. Ainsi, ce jeune homme de vingt-quatre ans, petit-neveu de l’empereur François-Joseph Ier, et cette jeune princesse de dix-neuf ans, à qui tout souriait, ne se contentent pas de s’aimer et de profiter d’une jeunesse radieuse : ils se donnent à Dieu l’un par l’autre. En témoigne ce magnifique programme que Charles proposa à Zita au matin de leur mariage : « Nous devons nous aider mutuellement à aller au Ciel. » Leur mariage incarne une sainteté vécue dans la simplicité et le service mutuel, mais aussi dans une grande attention aux pauvres. Zita fonde l’Œuvre pour l’enfance, un fonds pour les veuves de guerre, des centres pour réfugiés, un hôpital orthopédique pour les mutilés, une association pour les aveugles de guerre, des foyers pour soldats... Tout au long de sa vie, elle manifeste un cœur authentiquement charitable doublé d’un vrai sens pratique. Charles, quant à lui, ne cesse jamais de se soucier des peuples qui lui ont été confiés par Dieu, jusqu’à son dernier souffle, qu’il offre pour eux.
Charles et Zita sont aussi des parents chrétiens exemplaires, qui s’occupent eux-mêmes de l’éducation de leurs enfants, malgré leur rang, et veillent à leur transmettre le plus important : la foi. Même en pleine guerre, Charles passe du temps avec ses enfants, et guide la prière familiale du soir. Quand elle est devenue impératrice, Zita a pris une gouvernante afin d’avoir du temps pour les devoirs de sa charge, mais sans jamais délaisser son rôle de mère auprès de ses enfants.
À la mort de François-Joseph Ier, en novembre 1916, Charles devient empereur d’Autriche et roi apostolique de Hongrie. Sa vision politique est profondément marquée par sa foi : il voit son rôle comme un service au peuple, non comme un privilège, et cherche à épargner des vies. Il a vu la guerre de près de 1914 à 1916 – deux années qu’il a essentiellement passées sur le front : les rats, la puanteur, les corps déchiquetés… La guerre le révulse et il fait tout pour l’humaniser. Charles essaie par tous les moyens d’obtenir la paix. Il est le seul gouvernant à entendre l’appel du pape Benoît XV, et leur correspondance témoigne de sa volonté continue d’aboutir à la paix, y compris par des négociations secrètes, connues sous le nom « d’affaire Sixte ».
L’Empire s’effondre en 1918. Charles abdique de fait, mais sans renoncer formellement, et la famille impériale part en exil en Suisse. En 1921, il tente de reprendre le trône en Hongrie, mais ses deux tentatives échouent. Ces tentatives de restauration sont uniquement des marques de fidélité au serment du couronnement de Budapest. La famille est finalement envoyée en exil à Madère.
Dans les mystères joyeux et glorieux comme dans les mystères douloureux de leur vie, Charles et Zita incarnent d’abord un couple lié par un amour profond. Séparés par leurs obligations, ils se téléphonent chaque jour. Ils s’écrivent des lettres enflammées. Charles demande à Zita d’être présente à ses réunions de ministres, car il s’appuie sur elle. Il pourra compter tout au long de sa vie sur son soutien indéfectible et il lui déclarera encore son amour sur son lit de mort : « Je t’aime infiniment. » La découverte de la correspondance de Zita montre un tempérament parfois autoritaire, capable de reproches acerbes à son mari, autant qu’une volonté d’être présente à ses côtés et de l’aimer toujours plus. Le travail de la vertu et de la grâce ont fait leur œuvre en elle à mesure des années, si bien que, lorsqu’ils arrivent ensemble à Madère et passent Noël 1921 dans le plus total dénuement, séparés de leurs enfants, dans une maison humide et sans bois pour se chauffer, Zita n’exprime aucune plainte. Elle est au chevet de son époux quand débute sa maladie, et elle l’accompagne admirablement tout au long de son agonie, sans s’apitoyer sur son triste sort d’impératrice déchue, de mère en fin de grossesse, bientôt veuve…
Charles meurt à Madère le 1er avril 1922, à trente-quatre ans, victime d’une pneumonie et dans une grande pauvreté, offrant sa souffrance pour son peuple. Zita devient veuve à vingt-neuf ans et élève seule leurs huit enfants, toujours en exil, entre l’Espagne, la Belgique, le Luxembourg et les États-Unis. Elle reste fidèle jusqu’à sa mort à sa mission conjugale et maternelle, développe des œuvres de charité et soutient la mémoire de son mari.
Sophie Stevenson, normalienne diplômée en histoire.
Au delà
Ce couple historique a eu une vie hors du commun, traversant avec une force incroyable les vicissitudes de leur époque.
Aller plus loin
Élizabeth Montfort, Charles et Zita de Habsbourg, itinéraire spirituel d’un couple, Artège, 2021. Une étude approfondie de la vie spirituelle du couple, illustrant leur foi et leur dévouement mutuel.
En complément
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Jean Sévillia, Charles et Zita, Éditions Perrin, 2023. Une biographie récente qui retrace le parcours du couple impérial, de leur mariage à leur exil, en mettant en lumière leur engagement chrétien.
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Michel Dugast Rouillé, Charles de Habsbourg, le dernier empereur, Éditions Duculot, 1991. La première biographie complète de Charles Ier en français, offrant un aperçu détaillé de sa vie et de son règne.
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Un site officiel est dédié à la béatification de l’impératrice Zita.