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Les martyrs
Antioche (actuelle Antakya, en Turquie)
Nº 765
Fin du IIIe siècle - début du IVe siècle

La mort de Pélagie, motivée par l’espérance

À la fin de l’été 306, le nouvel empereur d’Orient, Galère, décide d’intensifier l’horreur et la violence de la persécutionqui se déchaîne contre les chrétiens depuis 303. Le neveu de l’empereur – et successeur désigné –, le jeune Maximin Daia, gouverne la Syrie. Il va, pour complaire à son oncle et satisfaire à ses propres pulsions sadiques, apporter une amélioration de son cru à la législation : avant d’expédier les jeunes chrétiennes au lupanar, comme c’est l’usage quand elles refusent d’abjurer, Daia exige qu’on lui amène les plus jolies pour abuser d’elles.


Les raisons d'y croire

  • Nous connaissons très bien la législation d’exception contre les chrétiens mise en place par Galère et Daia en Orient. Les sources chrétiennes accusent Daia de s’être fait livrer des prisonnières chrétiennes et de les avoir violées et torturées par sadisme, et cela correspond effectivement à ce que l’on sait des mœurs de ce jeune homme.

  • Quand la rumeur de ces forfaits se répand dans les communautés, une atroce panique s’empare des femmes, au point que certaines, préfèrent mourir pour échapper au déshonneur ou à une apostasie forcée. L’Église, même si elle condamne le suicide, a porté plusieurs d’entre elles sur les autels, les tenant pour d’authentiques martyres. Parmi elles : Pélagie d’Antioche, fêtée le 8 octobre.

  • La foi en Christ de cette jeune fille de quinze ans, sans pouvoir, lui donne une dignité, une force surnaturelle et une liberté intérieure extraordinaire face à la persécution : ni la menace, ni la torture, ni même la mort ne peuvent la détourner de son amour et de sa fidélité pour Dieu. Ainsi, sa mort n’est pas motivée par le désespoir, mais au contraire par l’espérance. Elle sait que sa vie véritable est en Dieu, et que son âme ne peut être atteinte par la mort.

  • Une génération plus tard, saint Ambroise de Milan et saint Jean Chrysostome vont rédiger des récits de la mort de Pélagie, dont les détails ont été rapportés par des témoins contemporains du drame. Ce ne sont pas des auteurs dont on peut mettre la parole en doute. Ambroise écrit son traité Des vierges à la demande de sa sœur, sainte Marcelline, qui admire l’héroïsme de Pélagie et veut la donner en exemple, au même titre que sainte Agnès et d’autres, à ses religieuses.

  • L’usage païen honore, surtout dans les mentalités romaines, le « suicide vertueux », par exemple celui du soldat vaincu qui se tue pour refuser la défaite et l’esclavage. Mais l’Église, au contraire, tient pour un péché très grave le fait de s’ôter volontairement la vie, quelles que soient les circonstances. Il faut donc que ces auteurs chrétiens aient été convaincus de la pureté d’intention de ces victimes et de la forte signification de cet acte pour les avoir données en exemple.

  • Dans une société antique où les femmes sont souvent instrumentalisées, ces auteurs exaltent la liberté que l’Église donne à la femme chrétienne de refuser le mariage pour se vouer à Dieu corps et âme, ce qui est alors révolutionnaire. Ils soulignent aussi que l’amour du Christ et de ses commandements l’a emporté, chez des jeunes femmes, sur l’amour de la vie et de ses plaisirs.

  • La cruauté des tourments imposés aux chrétiens finira par écœurer les païens honnêtes et même certains bourreaux. Des rhéteurs, d’abord très hostiles au christianisme, seront tellement bouleversés par le comportement des victimes qu’ils se convertiront, tel Lactance, qui écrira un pamphlet terrible contre les empereurs d’Orient, La Mort des persécuteurs.


En savoir plus

En octobre 306, la persécution contre les chrétiens, si elle s’apaise enfin en Occident, fait rage pour des années encore en Orient. Profondément cruels et haïssant les « adeptes du Galiléen », Galère, l’empereur d’Orient, et son neveu Maximin Daia vont aggraver une législation déjà atroce de supplices horribles, interdisant ou presque aux juges de prononcer de simples sentences de mort par le glaive, la décapitation (ou bona mors) étant désormais considérée comme une fin trop douce et trop rapide. Même les aristocrates, dont elle était un privilège, n’y ont plus droit. Daia s’acharne spécialement sur les chrétiennes, auxquelles il fait infliger de lentes et terribles tortures. On dit aussi qu’avant de les envoyer au bourreau ou au lupanar, il tient à abuser lui-même des plus jolies. La rumeur de ces turpitudes était répandue dans les églises syriennes et elle suffisait à convaincre ces femmes que tout valait mieux qu’être livrées au César.

Le 8 octobre 306, des soldats se présentent chez la jeune Pélagie, à Antioche. L’enfant de quinze ans est seule chez elle. Avec un sang-froid et une présence d’esprit remarquables, elle explique à l’officier qu’elle doit monter à l’étage se faire belle pour l’empereur et surtout récupérer avant la pluie le linge qu’elle a mis à sécher. Elle est ainsi autorisée à se rendre sur la terrasse de la maison, d’où elle se jette sans hésitation pour sauver sa vertu, ne laissant aux persécuteurs, comme l’écrit Chrysostome, qu’une dépouille sans valeur. Pélagie, qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme, Pélagie la Pénitente, ancienne courtisane convertie et repentante, est la patronne des blanchisseuses.

Vers la même date, une jeune femme de l’aristocratie syrienne, Domnina, dont l’époux appartient aux classes dirigeantes, et qui est donc bien informée de la réalité des faits, est dénoncée comme convertie par son propre mari, ainsi que leurs deux filles, Bérénice et Prosdokès. Arrêtée et sachant qu’elles vont toutes les trois être conduites à Daia, elle profite d’une halte au bord de l’Euphrate pour se noyer dans le fleuve, convainquant même les adolescentes de l’imiter. Toutes trois ont été canonisées. C’est bien la preuve qu’il existait un danger réel de viol.

En Occident, afin de dissuader les chrétiennes d’attenter à leurs jours pour sauver leur pureté, l’Église enseigne que la victime d’un viol ne pèche pas et que seul son agresseur porte le poids de la faute. Cela explique pourquoi de nombreuses chrétiennes condamnées au lupanar en sortiront vivantes à la fin de la persécution et seront honorées par leurs communautés, à l’instar des martyres. Mais cet enseignement n’a pas été répandu en Orient, de sorte que les filles et femmes comme Pélagie ou Domnina bénéficient du principe de « l’ignorance invincible », qui absout celui qui commet un péché grave sans savoir que c’en est un.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Au delà

Dans le cas de Pélagie, ce n’est pas le suicide en tant que tel qui est honoré, mais le témoignage de foi radicale, même s’il a pris une forme tragique et ambiguë. L’Église ne justifie pas les suicides religieux : elle rappelle au contraire la valeur absolue de toute vie humaine, même dans la souffrance.


Aller plus loin

Saint Ambroise, De virginibus. Disponible en ligne .


En complément

  • Saint Jean Chrysostome, Homélies. Disponible en ligne .

  • Anne Bernet, Les Chrétiens dans l’Empire romain, Tallandier, 2013.

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