
Le sourire de don Puglisi pour son assassin
Depuis 1992, l’abbé Giuseppe Puglisi est curé à Palerme. Il s’est donné une mission : lutter contre la mafia, toute-puissante ici, et arracher de son emprise les enfants de la paroisse en leur donnant des objectifs plus dignes. C’est dangereux, il le sait, et les avertissements des parrains, qu’il dérange, n’ont pas manqué ces derniers mois, sans le faire renoncer. Lorsque, le soir du 15 septembre 1993, don Pino, comme disent familièrement ses paroissiens, rentre à son presbytère, il voit un jeune homme qui le guette : il reconnaît Salvatore Gregoli, mafieux notoire. Il sait ce que signifie la présence à sa porte de ce garçon, soupçonné de dizaines de meurtres. Le curé dit calmement : « Je m’y attendais » et lui adresse un sourire radieux, plein d’amour et de compassion, que la balle que Gregoli lui tire dans la tête ne suffira pas à effacer.
Les raisons d'y croire
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Salvatore Gregoli, bien qu’il n’ait qu’une vingtaine d’années, est un tueur professionnel au service de la mafia palermitaine. Après son arrestation, il avouera cinquante assassinats. Il n’a jusqu’ici jamais éprouvé le moindre remords ; ses seules préoccupations sont d’échapper à la police et de monter dans la hiérarchie du crime organisé. Il n’a d’ailleurs émis aucune réticence quand le parrain lui a demandé de liquider un curé qui devenait un obstacle gênant pour les affaires de la famiglia. Rien ne laisse donc présager le moindre retournement de sa part. Il a d’ailleurs tiré sans le moindre état d’âme.
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Il suit mécaniquement le plan qu’il a préparé et qui doit dédouaner la mafia, se servant d’un type d’arme inhabituel et prenant les affaires de sa victime pour laisser croire à un vol qui a mal tourné, mais il sait que rien ne sera plus pareil pour lui. L’extraordinaire sourire de don Pino et le regard de bonté qu’il a porté sur un homme qui venait le tuer ont atteint Salvatore en plein cœur. Il vient de comprendre que Dieu existe, même pour les gens comme lui, que la miséricorde et le pardon ne sont pas des mots creux que l’on dit à l’église, mais que les vrais chrétiens, même confrontés à une mort violente et injuste, sont capables de les mettre en pratique pour de bon.
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Tandis qu’il s’enfuit, le tueur se répète : « J’ai tué un saint ; j’en répondrai devant Dieu… J’ai tué un saint ! » Tel un nouveau baptême, le sang de sa victime vient de le laver de ses péchés énormes et de le sortir de la « mala vita » pour refaire de lui un catholique fervent.
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Gregoli est précisément le type de garçon pour lequel don Puglisi a accepté de mourir : un enfant perdu, né dans un quartier périphérique de Palerme gangrené par la mafia, à la pauvreté absolue, où le chômage est endémique. La seule issue pour la jeunesse semble être d’entrer au service de la mafia ; c’est cet engrenage que don Pino a voulu briser au prix de sa vie.
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Quand il arrive à Palerme, dans un quartier qu’il sait entre les mains de la mafia, l’abbé Puglisi pourrait regarder ailleurs et laisser les parrains, qui se montrent d’ailleurs généreux avec les œuvres et financent l’organisation des fêtes et des processions, continuer leurs trafics. Il s’y refuse et n’accepte pas leur argent. Il a le courage de dénoncer les pratiques mafieuses, ose porter une condamnation publique contre les parrains locaux, qui se donnent des airs respectables, et dire que leurs agissements n’ont rien de catholique. Il refuse de pactiser avec le mensonge, qui vient du diable et oblige beaucoup de gens à réfléchir.
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Don Pino agit aussi sur le terrain : il organise des cours du soir, des catéchèses, fonde le foyer « Padre nostro » pour accueillir les jeunes et leur donner d’autres perspectives que la mafia. Il aime à dire : « Si chacun fait quelque chose, ensemble, nous finirons par faire beaucoup. » Il lui suffit en effet de quelques mois pour commencer à tarir le recrutement mafieux dans le quartier ; il devient vraiment l’homme à abattre, mais les âmes qu’il sauve lui importent plus que sa vie.
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Aux menaces succèdent les agressions physiques et les petits attentats. Il ne tient pas compte de ces mises en garde, qui se multiplient. L’amour du Christ, les vertus de force et de justice lui donnent jusqu’au bout un courage héroïque. Sa mort et la façon dont il a accueilli son assassin prouvent que ses prédications sur le pardon et l’amour des ennemis n’étaient pas uniquement des mots pour lui, mais des vérités dont il vivait intimement et qu’il voulait faire partager aux autres.
En savoir plus
Né à Brancaccio, un quartier périphérique de Palerme, le 15 septembre 1937, fête de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, Giuseppe Puglisi est le fils d’un cordonnier et d’une couturière. Il doit à la piété de ses parents et à l’éducation catholique qu’il a reçue d’eux d’être resté imperméable aux tentations mafieuses qui minent son milieu populaire.
Entré au séminaire de Palerme en 1953, il est ordonné prêtre le 2 juillet 1960 au sanctuaire Notre-Dame-des-Remèdes. D’abord vicaire de la paroisse San Salvatore, près de chez lui, puis recteur de San Giovanni dei Lebbrosi, il devient en 1970 curé de la paroisse rurale de Godrano. Ce village mafieux est ravagé par une vendetta ancestrale qui dresse l’un contre l’autre deux clans rivaux et a déjà causé d’innombrables morts. Personne n’avait réussi à y mettre fin et à réconcilier les familles ennemies. Lorsqu’il quitte Godrano, en 1978, don Pino aura accompli l’impossible et mis un terme à cette tuerie, simplement en prêchant l’Évangile à temps et à contretemps, en enseignant le pardon des offenses, l’amour des ennemis et en obtenant la mise en œuvre de la loi du Christ.
On lui confie ensuite le poste de vice-recteur du petit séminaire diocésain et la pastorale des vocations, ainsi que la direction spirituelle du grand séminaire. Il enseigne aussi dans un lycée. Tout cela lui donne un charisme spécial pour s’occuper des jeunes et pour leur proposer d’autres buts que la mafia, contre laquelle il ose prendre position, jusqu’à porter gravement atteinte aux intérêts de la Pieuvre quand il devient curé de San Gaetano, en plein cœur de ses fiefs, ce qui conduira à son assassinat, le jour de ses cinquante-sept ans, le 15 septembre 1993.
Reconnu martyr, don Pino a été béatifié en 2013.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Au delà
Converti par le sourire de sa victime, Gregoli, à sa sortie de prison, se repent, comme plusieurs de ses amis, se convertit et mène aujourd’hui la vie honnête d’un bon mari et d’un bon père de famille. Il reconnaît que le souvenir de la cinquantaine d’hommes qu’il tués le hante. Il explique que, sans le souvenir du sourire de don Puglisi, il redouterait atrocement le jugement de Dieu. Il est sûr néanmoins que, si sa victime lui a pardonné, Dieu aura également pitié de lui.
Aller plus loin
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Un site officiel de l’archidiocèse de Palerme est dédié au bienheureux Giuseppe Puglisi (disponibles en plusieurs langues).
En complément
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La biographie du site Santi e Beati : « Beato Giuseppe Puglisi Sacerdote e martire ».
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Il existe aussi plusieurs documentaires disponibles sur YouTube consacrés à Don Pino.
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L’article d’Aleteia : « Italie : "Don Pino", martyr de la lutte anti-mafia ».