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Les martyrs
Paris (France)
Nº 734
2 septembre 1792

Les martyrs du couvent des Carmes

« J’appartiens à l’Église catholique, apostolique et romaine. » À ce titre, exécution immédiate. Le 2 septembre 1792, lors des massacres de septembre, plus d’une centaine de prêtres et de religieux réfractaires enfermés au couvent des Carmes, à Paris, sont massacrés pour avoir refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé. Sommés un à un de se soumettre, tous persistent dans leur fidélité à l’Église du Christ. Ils sont tués à l’arme blanche dans le cloître et le jardin. Leur attitude impressionne jusqu’à certains témoins révolutionnaires. L’Église a reconnu comme martyres 191 victimes des massacres de septembre et les a béatifiées en 1926.


Les raisons d'y croire

  • Nous connaissons en détail l’histoire du martyre des Carmes et des massacres de septembre 1792 grâce aux témoignages de quelques rescapés – notamment l’abbé de Lapize de la Pannonie et l’abbé Saurin – qui ont pu survivre aux tueries, et dont les récits ont été soigneusement recueillis. À cela s’ajoutent des lettres, des journaux de l’époque et des procès-verbaux qui ont permis, parmi les nombreuses victimes, d’identifier 191 martyrs morts en haine de la foi, et de retracer leur parcours, leurs paroles et leurs gestes.

  • Les massacres de septembre 1792 ne sont pas le résultat d’une rébellion politique, mais d’un témoignage de foi. C’est par fidélité à l’Église du Christ que les ecclésiastiques ont refusé de prêter le serment constitutionnel. Ils choisissent l’obéissance à Dieu plutôt qu’aux hommes (cf. Ac 5,29-32 ). « Je ne puis, sans trahir mon Dieu, reconnaître une autorité qui veut me faire renier mon vœu et désobéir à l’Église », explique l’un d’eux, Salomon Leclercq.

  • Pour les 191 personnes assassinées, il y a quelque chose – la foi chrétienne – et quelqu’un – Jésus – qui mérite qu’on donne sa vie. Si chacun d’eux a voulu tout donner pour le Christ, c’est qu’il y a en lui une vérité si profonde qu’elle dépasse tout le reste. En refusant le compromis, ils montrent que la vérité de l’Évangile ne dépend pas des régimes politiques ou des modes de pensée.

  • Les martyrs des Carmes ont suivi le Christ jusque dans sa Passion : comme Jésus, ils ont été condamnés injustement et, devant la menace de mort, ils ont offert leur vie. Les témoignages décrivent une scène saisissante : à l’extérieur, une foule vociférante, et, à l’intérieur, la paix priante d’hommes prêts à mourir pour leur foi. Dans la chapelle, au pied du crucifix, ils chantent les psaumes. Cette attitude extraordinaire, marquée par la douceur, la prière et le pardon, renvoie à l’attitude du Christ en Croix.

  • Le commissaire révolutionnaire Maillard, frappé par leur calme, confia : « Je m’y perds ; je n’y connais plus rien ; vos prêtres allaient à la mort avec la même joie que s’ils fussent allés à des noces ! » Le lien de ces hommes avec le Christ est existentiel, c’est lui qu’ils prennent pour modèle et cela leur donne une force, un courage et une joie surnaturels.

  • On retrouve dans des lettres écrites par ces martyrs avant leur mort une espérance profonde dans la Résurrection. Cela renvoie directement à la parole du Christ : « Celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » ( Lc 9,24 ).

  • Parmi les martyrs qui seront béatifiés figure Salomon Leclercq. En 2007, un miracle lui est attribué : une fillette vénézuélienne, Maria Alejandra Hernandez, mordue par un serpent venimeux, guérit de façon inexpliquée après que des religieuses ont prié par l’intercession de Salomon. Ce miracle est reconnu officiellement en 2011 et Salomon Leclerc est canonisé par le pape François le 16 octobre 2016.


En savoir plus

L’adoption de la Constitution civile du clergé, en juillet 1790, au cœur des premières années de la Révolution française, bouleverse profondément les rapports entre l’Église catholique et l’État. Ce texte impose aux membres du clergé de prêter serment à la Nation, subordonnant ainsi leur fonction et leur mission spirituelles à une autorité politique. Refuser ce serment, c’est se placer en marge de la nouvelle légitimité républicaine ; le prêter, c’est rompre avec l’Église léguée par Jésus. Beaucoup de prêtres dits « réfractaires » refusent de trahir leur mission pastorale et leur communion avec le pape. Pour ces hommes de foi, la Révolution devient rapidement un temps de persécution.

Après la chute de la monarchie, le 10 août 1792, la tension atteint son paroxysme et la peur d’un complot intérieur accélère les arrestations : religieux et religieuses, prêtres, évêques, mais aussi laïcs sont emprisonnés à la pelle comme « ennemis de la patrie ». Environ 350 ecclésiastiques sont ainsi enfermés à Paris, souvent dans des maisons religieuses réquisitionnées et transformées en prisons improvisées.

Le 2 septembre 1792, vers seize heures, des groupes armés – fédérés marseillais, sans-culottes et émeutiers parisiens – envahissent les prisons de la capitale. Ce qui s’y déroule n’est pas un procès, mais un simulacre de justice : les ecclésiastiques sont appelés un à un et sommairement interrogés. La réponse invariable : « J’appartiens à l’Église catholique, apostolique et romaine », entraîne une condamnation immédiate à mort.

Parmi les lieux de détention, le couvent des Carmes, situé rue de Vaugirard, devient tristement célèbre. Ce jour-là, 115 prêtres et religieux y sont massacrés à coups d’épée ou de pique dans les jardins et la sacristie. Ils sont réunis dans la chapelle où, devant le crucifix, ils prient et chantent les psaumes. L’abbé Desprez, l’un des martyrs, s’exclame : « Nous voilà réfugiés dans l’oratoire. Voici les Marseillais ! Nous ne pouvons être mieux qu’au pied de la croix pour faire le sacrifice de nos vies. » Un survivant, l’abbé Saurin, raconte aussi : « Je n’entendis jamais dans l’église des Carmes ni cris, ni gémissements, ni lamentations ; chacun se laissait mener au lieu fatal sans former la moindre plainte, sans opposer la moindre résistance. »

Ce massacre, comme ceux des prisons de l’Abbaye et de La Force, ou du séminaire Saint-Firmin, est un exemple de la violence révolutionnaire. Sur les 1 300 victimes environ des massacres de septembre, 191 martyrs (3 évêques, 127 prêtres séculiers, 56 religieux et 5 laïcs) ont été reconnus morts in odium fidei (en haine de la foi) et béatifiés parle pape Pie XI en 1926.

Parmi les martyrs béatifiés figure le bienheureux Salomon Leclercq, Frère des Écoles Chrétiennes, né en 1745. Dans ses lettres, cet instituteur de formation exprime clairement son refus de toute compromission avec les lois qui violent sa conscience religieuse, notamment la Constitution civile du clergé. Frère Salomon distingue soigneusement l’obéissance due aux autorités civiles en matière temporelle, et l’autorité spirituelle de l’Église, à laquelle il demeure loyal. Contraint de vivre dans la clandestinité, il est finalement arrêté le 15 août 1792, jour de l’Assomption, et enfermé au couvent des Carmes.

Dans ses derniers écrits, Salomon évoque de manière implicite la possibilité de mourir pour sa foi, mais sans revendication dramatique. Sa disposition intérieure est celle du sacrifice librement consenti, où transparaît une spiritualité de l’abandon. Il ne se présente jamais en héros, mais en serviteur de Dieu confiant et paisible. « Si c’est là que le Seigneur m’appelle, je veux le suivre jusqu’au bout. La croix n’est jamais loin de celui qui aime véritablement […]. Il saura me donner la force dont j’ai besoin. » Le 2 septembre 1792, cette disposition devient réalité. Il meurt en pardonnant, le bréviaire à la main, sans plainte, ni haine, ni peur, comme tant d’autres martyrs des Carmes.

Le couvent des Carmes à Paris est aujourd’hui un lieu de mémoire : la crypte conserve les ossements de plusieurs victimes.

Solveig Parent


Au delà

Les massacres de septembre 1792 restent l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire révolutionnaire française, où la foi chrétienne devient une cible explicite de la violence politique. Pourtant, dans ce contexte de haine et de peur, des hommes – prêtres, religieux et laïcs – ont offert un témoignage lumineux de fidélité, de liberté intérieure et d’amour du Christ, jusqu’au martyre.


Aller plus loin

Le diocèse de Paris a composé un dossier sur les bienheureux martyrs de septembre 1792 .


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