
Périnaïk, témoin de la mission divine de Jeanne d’Arc
Originaire de Gurunhuel, en Bretagne, Périnaïk est orpheline et vit avec une servante, dans la prière et le souci des bonnes œuvres. Dieu se dévoile à elle à travers des apparitions, en se présentant comme le Bon Pasteur. Elle apprend les exploits et la mission de Jeanne d’Arc et décide, avec sa servante, de la rejoindre. Dès lors, en 1429, Périnaïk devient l’amie de la Pucelle d’Orléans, sur les champs de bataille mais aussi dans les camps de soldats. Au printemps suivant, capturée par les Anglo-Bourguignons près de Corbeil, Périnaïk est emprisonnée, jugée comme hérétique et sorcière, et brûlée vive près de Notre-Dame de Paris, le 3 septembre 1430, neuf mois avant Jeanne d’Arc, pour avoir attesté que Jeanne « était bonne, et que ce qu’elle faisait était bien fait et selon Dieu ».
Les raisons d'y croire
-
Le premier témoignage qui raconte cette histoire est le Journal d’un bourgeois de Paris, attribué à un chanoine de Notre-Dame, Jean Chuffart. Contemporain des faits, il raconte tout ce qui s’est passé à Paris entre 1405 et 1449, et notamment le procès de Périnaïk, qu’il nomme « Pierronne la Bretonne ».
-
Le second témoin n’est pas des moindres puisqu’il s’agit du grand inquisiteur de France, qui présida au procès de Périnaïk : Jean Graverent. Le 4 juillet 1431, Jean Graverent prêche à Saint-Martin-des-Champs, louant l’œuvre de ceux qui brûlèrent Jeanne. Dans son sermon, il relate que « Pierrone et sa compagne » reçurent la communion le jour de Noël 1429 au côté de Jeanne d’Arc à Jargeau, par leur aumônier, le frère Richard.
-
Le troisième témoin est Jean Nider, qui écrit, dans son Traité des Fourmis, comment maître Nicole Lami, de l’université de Paris, lui raconta que deux femmes, « se disant publiquement envoyées par Dieu pour secourir Jeanne la Pucelle, [furent] arrêtées comme coupables de sorcellerie ».
-
Jeanne d’Arc elle-même témoigna au cours de son procès que « son gouvernement était d’hommes ; mais, quant au logis, avait le plus souvent une femme avec elle ». Or, du point de vue historique, aucune autre femme ne prétend avoir été la compagne de Jeanne d’Arc : il s’agit bien de Périnaïk.
-
Périnaïk « affirmait et jurait que Dieu lui apparaissait souvent en forme humaine et lui parlait comme un ami parle à un ami » (Journal d’un bourgeois de Paris). Ainsi, elle n’est pas seulement l’amie de Jeanne, mais bénéficie aussi de visions divines. Traduite devant un tribunal ecclésiastique à Paris, Périnaïk refuse de se dédire. Le motif officiel de sa condamnation mentionne ses visions. Toutefois, les historiens considèrent que c’est surtout son soutien à Jeanne d’Arc qui lui valut cette fin tragique. Elle est punie pour avoir souligné publiquement les vertus et la mission divine de la Pucelle.
-
Périnaïk aurait pu sauver sa vie. Son refus du compromis témoigne d’une conviction profonde, qui va au-delà d’un délire ou d’une préférence personnelle. Elle accepte la mort pour défendre ce qu’elle croit être une manifestation du divin, ce qui donne un poids moral et spirituel à son témoignage. En cela, elle rejoint la lignée des martyrs chrétiens, dont la constance jusqu’à la mort peut être considérée comme un sceau de vérité spirituelle.
-
Le plus frappant dans le témoignage de Périnaïk est qu’elle affirme avoir eu des visions qui soutiennent celles de Jeanne d’Arc, sans avoir auparavant de connexion avec elle et sans en tirer aucun bénéfice personnel. Périnaïk ne recherchait ni la gloire militaire ni l’autorité politique, et n’a bénéficié de rien de tout cela. Sa fidélité à Jeanne repose uniquement sur la reconnaissance spirituelle de la mission divine de la Pucelle.
-
Contrairement à d’autres « visionnaires » contemporaines, Périnaïk n’a pas été rejetée par Jeanne d’Arc. Jeanne montrait un grand discernement spirituel. Par exemple, elle avait publiquement rejeté les prétentions de Katherine de La Rochelle, mais elle accepta Périnaïk. La reconnaissance mutuelle entre deux âmes mystiques, sans aucun intérêt temporel, suggère une source spirituelle commune et authentique. Si ces deux femmes, issues de milieux très différents, témoignent sans se concerter d’une même vérité transcendante, cela renforce la légitimité de leurs expériences mystiques, et donc l’origine divine de leur mission.
-
Enfin, le cas de Périnaïk montre que le message de Jeanne n’était pas seulement accepté par des élites politiques ou militaires : il touchait également les humbles, les femmes, les provinciaux. L’action de Dieu dans l’épopée de Jeanne d’Arc a été largement reconnue, ce qui confirme la fécondité de la dimension spirituelle de la mission de la Pucelle d’Orléans.
-
Près de la porte Saint-Étienne de Notre-Dame de Paris, des bas-reliefs représentent le martyre de Périnaïk. Est également représentée la réhabilitation de Périnaïk par la reine Marie d’Anjou, l’épouse de Charles VII. Ainsi les bas-reliefs ont-ils été sculptés comme une sorte de réparation, sur le lieu même de son supplice.
En savoir plus
Alors que sainte Jeanne d’Arc entre dans la grande histoire de France par sa victoire à Orléans, le 8 mai 1429, les volontaires bretons s’enrôlent dans l’armée du connétable Arthur de Richemont, et rejoignent l’armée royale. Jeanne pleure de joie de voir tant de soldats accourus pour défendre la sainteté de sa cause. La glorieuse victoire de Patay, le 17 juin, est largement due à l’engagement des Bretons.
Avec les hommes d’armes, quelques pieuses femmes se sont également portées volontaires ; c’est le cas de Périnaïk et de sa servante, qui vont former la petite cour de Jeanne. Belle aubaine pour Jeanne, notamment pour la vie de camp. Périnaïk demeure ainsi auprès de son amie durant près d’un an, lors du sacre de Charles VII, la défaite de Paris, le 8 septembre, et la campagne de la Loire.
En mars 1430, Périnaïk est envoyée avec sa servante par Jeanne vers Paris, avec peut-être une mission secrète pour préparer l’assaut qui délivrera la capitale. On sait en effet que le carme Jean Dallée ourdit plusieurs conjurations contre les Anglais, mais qu’elles furent chaque fois déjouées. Toujours est-il que les deux femmes sont prises par les Anglo-Bourguignons à Corbeil, début avril 1430, un mois et demi avant Jeanne. Emprisonnées près de la cathédrale, elles sont jugées par le tribunal ecclésiastique, dont l’un des membres éminents, Jean Nider, grand inquisiteur de France, est passé aux Anglais.
Durant tout le procès, qui dure six mois, il leur est demandé d’abjurer la mission divine de Jeanne. On sait par le procès de Rouen que les juges cherchèrent de toutes les manières des témoignages pour souiller la réputation de celle qui galvanisait les troupes. Périnaïk soutint jusqu’à la fin que Jeanne « était bonne, et que ce qu’elle faisait était bien fait et selon Dieu ». En outre, elle « affirma et jura que Dieu lui apparaissait souvent en forme humaine et lui parlait comme un ami parle à un ami ». Cela fut considéré comme un blasphème, suffisant pour obtenir sa condamnation. D’après le témoignage de Jean Nider, la servante de Périnaïk reconnut « les fraudes de l’ange de Satan, se repentit sur la remontrance des docteurs et, comme elle le devait, abjura ses erreurs. Mais l’autre, s’obstinant à y persévérer, fut livrée au feu ». Ainsi s’acheva la vie héroïque de la petite Bretonne, le 3 septembre 1430, morte pour Jeanne, pour la France et pour Jésus – « Jésus qui est vrai Roi de France », comme disait sainte Jeanne d’Arc.
Arnaud Boüan du Chef du Bos, passionné d’histoire, est auteur de vies de saints.
Au delà
Narcisse Quellien (1848 – 1902), poète, recueillit les traditions locales de Gurunhuel, notamment auprès de charbonniers de la forêt de Coat-an-Noz, qui conservaient le souvenir d’une « fille dont nous ne savons plus le nom ici : c’est la fille qui fut brûlée par les Anglais ». Ils avaient une image de femme encadrée dans une niche, dont le piédestal était en forme de bûcher. La statuette et le lieu de la dévotion ont aujourd’hui disparu, mais non le souvenir.
Aller plus loin
M.-W. Pascal-Etienne, Étude historique, Perinaik, une Bretonne compagne de Jeanne d’Arc, 1893. Peut être consulté en ligne .
En complément
-
Anonyme, Journal d’un bourgeois de Paris (1405-1449), Champion, 1881, p. 259, 260 et 271. Peut être consulté en ligne .
-
Narcisse Quellien, Perrinaïc la Bretonne, compagne de Jeanne d’Arc, Paris, 1891.
-
Germain Levèvre-Pontalis, Bibliothèque de l’école des chartes, 1892, vol. 53, p. 162-164.
-
Anatole France, Supplice de la Pierronne, vie de Jeanne d’Arc, t. II, p. 211-213.
-
Stéphen Coubé, Jeanne d’Arc et la France, Lethielleux, 1910, p. 191-204.