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Les martyrs
Tarse (Cilicie, actuelle Turquie)
Nº 705
Juillet 304

Juliette de Tarse : le courage d’une mère pour ne pas renier le Christ

En juillet 304, au sommet de la persécution de Dioclétien contre les chrétiens, l’on arrête à Tarse une jeune veuve, Julitta (ou Juliette), dont le seul crime est d’appartenir à la religion proscrite. La jeune femme, qui croyait s’être mise à l’abri en quittant sa province, est accompagnée de son petit garçon, Kyriacos (ou Cyr), un bambin de trois ans. Afin de la pousser à abjurer, les autorités vont se servir de cet enfant pour faire pression sur sa mère : on la menace de tuer son fils sous ses yeux si elle ne renie pas le Christ. Le chantage est atroce, mais Juliette n’a pas l’intention d’y céder.


Les raisons d'y croire

  • Le récit du martyre des saints Cyr et Juliette est tardif, mais il s’appuie incontestablement sur des documents plus anciens, car il contient des détails et des précisions historiques et juridiques si exacts qu’ils ne peuvent provenir que de récits contemporains. De surcroît, l’histoire rapportée, qui n’est pas surchargée de merveilleux, contient des renseignements qui n’ont pu être rapportés que par des témoins oculaires directs. Si certains points de l’histoire sont rapportés différemment selon les sources, le martyr de Juliette et de son fils en tant que tel est historiquement certain et attesté.

  • Leur nom figure dans un martyrologe très ancien (le Martyrologe hiéronymien, IVe et Ve siècles), ce qui atteste d’une dévotion répandue rapidement. Que l’histoire de cette martyre et de son fils se soit répandue bien au-delà de l’Asie Mineure prouve aussi la réalité des faits et de l’émotion qu’a suscitée la mise à mort d’un enfant si jeune. En général, les plus jeunes martyrs romains sont des adolescents de douze à quinze ans, qui ont l’âge de répondre de leurs actes et de leurs choix. L’exécution d’un si petit enfant est donc une exception choquante et cela rend improbable qu’on l’ait inventée.

  • Les enfants martyrs sont extrêmement rares, mais d’autres cas que Cyr sont recensés, ce qui montre que ce n’était pas non plus impossible : par exemple, en 64, après l’incendie de Rome, ou en Grèce, où un couple d’esclaves, Zoé et Exupère, furent brûlés vifs avec leurs deux fils…

  • Juliette quitte sa ville d’Iconium pour gagner Séleucie, puis Tarse. Son périple à travers l’Asie Mineure correspond effectivement aux comportements de certains chrétiens aisés de l’époque, ceux qui ont les moyens et la possibilité de quitter leur région d’origine et de s’installer ailleurs dans l’espoir que la persécution ne sévira pas dans leur nouveau lieu de résidence. Cette attitude est la mise en application d’un conseil de l’Évangile : « Quand on vous persécutera dans une ville, allez dans une autre ! » Au IIIe siècle, l’Église a cherché à concilier deux notions antinomiques : une fuite que l’on aurait pu interpréter comme une lâcheté devant le témoignage suprême et l’imprudence d’aller au-devant d’une mort que Dieu ne souhaitait pas, et porter une part de responsabilité dans le péché que les bourreaux commettaient, ce qui était un manquement à la charité envers eux. L’histoire est donc crédible.

  • Le choix de sainte Juliette relève donc de la prudence et de la charité, mais il n’en est pas moins héroïque, car il faut beaucoup de courage pour s’en aller en abandonnant tout derrière soi, sachant que vos biens seront confisqués et que vous serez réduit à l’indigence. Accepter de perdre sa maison, ses richesses et son patrimoine pour demeurer fidèle au Christ est donc un comportement très méritoire.

  • Autre détail qui sonne juste, un nouveau gouverneur, Alexandre, vient d’être nommé à Tarse, ce qui signifie qu’il doit appartenir au parti païen qui orchestre la persécution, qu’il a des ordres pour en finir avec « la secte chrétienne » et qu’il a l’intention de faire du zèle et de plaire en haut lieu.

  • Lors de l’interrogatoire, à chaque question, Juliette se borne à répondre : « Je suis chrétienne. » Cette technique, qui consiste à répéter en boucle son identité et rien de plus, constitue une barrière psychologique défensive difficile à briser. L’on sait, entre autres par la Lettre sur les martyrs de Lyon , qu’elle était communément usitée chez les chrétiens.

  • Comme la torture ne vient pas à bout de la jeune femme, Alexandre la soumet à un horrible chantage : la menacer, si elle n’abjure pas, de tuer son enfant devant elle, ce qu’il fait finalement. Le genre de mort qu’il fait infliger à Cyr – lui fracasser le crâne contre un pilier –, correspond à une pratique de l’époque lorsqu’il s’agit de se débarrasser des jeunes enfants d’opposants politiques. Ce détail sonne donc à nouveau juste, hélas. En refusant d’abjurer, la jeune mère met en œuvre la parole du Christ demandant à ses fidèles de le préférer même à leurs plus légitimes affections (Mt 10,37 ; Lc 14,26).

  • Les deux servantes de Juliette, qui l’ont accompagnée jusqu’à Tarse et se sont cachées lors de son arrestation, ont quand même le courage de récupérer les corps de la mère et de l’enfant jetés à la voirie et de leur donner une sépulture. Une partie de leurs reliques seront, au Moyen Âge, déposées à Auxerre et à Nevers, ville dont saint Cyr et sainte Juliette sont les patrons.


En savoir plus

En juillet 304, pendant la persécution de Dioclétien, une jeune aristocrate chrétienne d’Iconium, Juliette, quitte la ville en pensant échapper aux mesures antichrétiennes. Malheureusement, pour la première fois, la persécution entamée en janvier 304 revêt un caractère universel, de sorte que les chrétiens ne sont plus en sécurité nulle part dans l’Empire romain. Juliette et son fils, Cyr, un enfant de trois ans, ont beau fuir de ville en ville à travers l’Irak et la Turquie actuels, le péril est partout le même. Finalement, à peine arrivée à Tarse, elle est arrêtée avec son enfant. Cela s’explique par le fait que la prévenue n’a encore personne à Tarse pour s’occuper de son fils, comme le prévoit la loi.

Désireux de faire un exemple et de prouver son zèle, le nouveau gouverneur fait frapper Juliette à coups de nerf de bœuf. La terreur du petit garçon, qui entend les hurlements de sa mère, donne au gouverneur l’idée de faire chanter la suppliciée : elle apostasie ou il tue son enfant. Devant le refus « contre-nature » et héroïque de la jeune femme, le magistrat, qui ne veut pas perdre la face, fait exécuter l’enfant. Il ne comprend pas que, ce faisant, il ôte à Juliette toute raison de vivre, donc de renier le Christ. Libérée de ses ultimes affections terrestres, menacée des pires supplices, la jeune femme riposte : « J’adore le Christ et non les démons. J’ai hâte de rejoindre mon fils dans son Royaume. » Devant les réactions horrifiées du public, et comprenant qu’il ne viendra pas à bout de la martyre, le gouverneur Alexandre la fait décapiter.

Les deux cadavres sont jetés à la voirie, conformément à la pratique judiciaire de l’époque. Les persécutions se poursuivant et s’intensifiant en Orient, les charniers à ciel ouvert attirent les charognards et finissent par provoquer diverses épidémies dramatiques, regardées par les défenseurs de la foi chrétienne comme un châtiment du Ciel contre les bourreaux et leurs complices.

Juliette est fêtée le 16 juin en Occident, et le 30 juillet en Orient .

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

Acta Sanctorum du mois de juillet, éditions des Bollandistes


En complément

David H. Farmer, The Oxford Dictionary of Saints, 1987.

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