
Les cinquante-sept criminels de l’abbé Cafasso au paradis
En plus de ses activités paroissiales, de son poste de professeur de séminaire et de son rôle de confesseur, l’abbé Joseph Cafasso aura exercé le dur apostolat d’aumônier de prison pendant près de quarante ans et accompagné au gibet cinquante-sept condamnés à mort. Tous ces hommes connurent des fins édifiantes et moururent joyeusement ! L’abbé Cafasso les appelait « mes saints pendus ». Son secret ? Une confiance absolue en la Vierge de la Consolata, à laquelle il confiait les suppliciés, leur promettant de pouvoir aller droit au paradis, en dépit de leurs crimes, et les chargeant de commissions pour elle.
Les raisons d'y croire
Indifférente aux causes réelles qui les poussaient au crime, la société et la justice turinoises de l’époque tenaient pour irrécupérables les délinquants et ne connaissaient comme remèdes au problème que l’incarcération de longue durée et, pour les cas les plus graves, la peine de mort. Les aumôniers de prison étaient donc tenus pour inutiles aussi bien par les pouvoirs publics que par les détenus, souvent déchristianisés. On leur faisait mauvais accueil, qui pouvait même dégénérer en violences. Dans ces conditions, alors qu’il n’éprouvait a priori aucune attirance pour cette mission, il fallut à l’abbé Cafasso un sens de la miséricorde divine et une angoisse de leur salut extraordinaires pour s’y dévouer si bien et si longtemps.
Joseph Cafasso appartient, avec don Cottolengo et don Bosco, à ceux que l’on appelle « les saints sociaux du Piémont » en raison de leur implication totale dans les énormes problèmes auxquels le royaume était alors confronté et dont seule l’Église se préoccupa efficacement. L’inhumanité des conditions carcérales, la promiscuité des détenus, la surpopulation, l’absence d’hygiène ne dérangeaient personne, car elles faisaient partie intégrante de la peine, mais elles le scandalisaient.
Étant donné les rapports tendus entre le pouvoir politique et l’Église, en raison de la réunification italienne qui menaçait la souveraineté du pape, don Cafasso aurait pu, afin des s’éviter des ennuis, se garder de dénoncer ces scandales. Mais il s’impliqua sans crainte dans une campagne d’opinion contre cet état de choses. Cela demandait une force hors du commun. Que ce courage venait de Dieu, et non des hommes, et que son objectif était surnaturel, on en eut la preuve quand on proposa à Giuseppe de briguer la députation, un honneur que beaucoup à sa place auraient ambitionné. Mais il répondit : «Au jour du Jugement, Dieu me demandera si j’ai été un bon prêtre, pas si j’ai été un bon député.»
Accompagner les condamnés à mort jusqu’à l’échafaud sous les insultes de la foule et assister à l’exécution est difficile ; peu acceptaient cette tâche. Mais Cafasso, certain que ces derniers instants étaient l’occasion ultime offerte à la miséricorde divine de se manifester, assista à cinquante-sept pendaisons et obtint des grâces de conversion et de repentir à tous ces hommes, sans exception.
Cafasso affirme devoir ce charisme qui retournait les cœurs à Notre Dame de la Consolata, dont l’image était exposée sur le chemin de la voiture des condamnés.
Aujourd’hui, à l’emplacement de l’ancien gibet de Turin, se dresse une statue de Joseph Cafasso, qui rappelleque son action auprès des condamnés à mort était reconnue par tous.
En savoir plus
Né le 15 janvier 1811 à Castelnuovo d’Asti, aujourd’hui Castelnuovo Don Bosco, Giuseppe Cafasso est un enfant fragile atteint d’une grave déformation de la colonne vertébrale qui le rend presque bossu. Comme cette déviation lui comprime la cage thoracique, il a la voix faible. On l’admet pourtant au séminaire turinois de Chieri et il est ordonné prêtre avec dispense d’âge en 1833, à vingt-deux ans.
Conscient de sa jeunesse et de son inexpérience, il rejoint alors le Convitto Ecclesiastico di san Francesco d’Assisi, où les nouveaux prêtres ont le loisir de se perfectionner, et dont il assumera plus tard la direction. Il s’y découvre un charisme particulier pour l’accompagnement spirituel et la confession. Le grand charisme de l’abbé Cafasso, celui auquel il aurait voulu consacrer toute sa vie, est la formation des prêtres, estimant qu’il y avait encore beaucoup à apprendre, pour un jeune clerc, après sa sortie du séminaire et son ordination. On lui confie la chaire de théologie morale du séminaire. Cependant, les apostolats qu’il exerce dans plusieurs paroisses de Turin durant les années 1830 lui révèlent l’extrême misère sociale, mais surtout spirituelle, d’une grande partie de la population issue de l’exode rural. Beaucoup de ces hommes sombrent très jeunes dans la délinquance. De plus, il prend en charge l’aumônerie du complexe carcéral Le Nuove, où il s’illustre par sa charité, sa compassion et sa capacité à toucher les cœurs les plus endurcis. Il entame une lutte acharnée contre la scandaleuse indignité des conditions carcérales.
Conscient que la plupart des prisonniers n’ont reçu aucune éducation religieuse, qu’ils ont peu de sens moral et ne mesurent pas la portée de leurs crimes, don Cafasso entreprend de les catéchiser un par un en adaptant son enseignement au cas par cas. Pour les mêmes raisons, il entreprend aussi de s’occuper de leurs familles et de leurs proches à l’extérieur et, prenant le problème à son origine, cherche à éviter aux jeunes de tomber dans la délinquance. Ainsi est-il à l’origine de la vocation de Jean Bosco, son cadet de cinq ans, natif du même village que lui. Au jeune don Bosco qui lui demande où partir en mission, Cafasso répondit : « À Turin ! », lui exposant les besoins de la grande ville.
Il dit volontiers : « Nous sommes nés pour aimer, nous vivons pour aimer et nous mourons pour aimer éternellement davantage.» – découverte qui bouleverse ces truands. Aussi meurent-ils tous dans la certitude du pardon de Dieu et en se proclamant plus heureux que ceux qui leur survivent. Un seul, qui blasphème alors que le bourreau lui passe la corde au cou, s’en repent aussitôt. Un certain Faggiendi, bandit de grand chemin – l’un des fléaux de l’Italie de l’époque –, fait remarquer à don Giuseppe, qui lui promet immédiatement le paradis, tel le Christ au Bon Larron, qu’il n’évitera pas un temps de purgatoire, car il en a lourd sur la conscience. Cafasso lui assure qu’il n’en aura pas besoin et lui demande, quand il sera de « l’autre côté », d’aller aussitôt remercier la Madone de son intercession. Faggiendi arguant qu’il vaut mieux remercier d’abord Jésus, Cafasso lui rétorque que le Christ ne s’offusque jamais des honneurs rendus à sa Mère. La dévotion mariale et la foi de don Cafasso en Marie sont donc prodigieuses. Elles ne sont jamais déçues.
Malgré sa santé défaillante, le père Cafasso mène de front toutes ses tâches d’enseignement, ses charges de curé et ses nombreuses activités caritatives. Épuisé, Cafasso meurt d’une pneumonie le 23 juin 1860 ; il a à peine cinquante ans. Ceux qui l’assistent sur son lit de mort diront l’avoir vu se redresser et tendre les mains, avec un sourire ravi, à une invisible présence qu’ils penseront être Notre Dame de la Consolata, qu’il aimait tant et près de laquelle il est enterré. Ses derniers mots seront ceux qu’il adressait aux condamnés à mort : « J’espère que nous nous retrouverons tous au paradis !» Don Cafasso a été canonisé en 1947. Il est le patron du clergé italien, des aumôniers de prison, des prisonniers et des condamnés à mort.
Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.
Aller plus loin
Giuseppe Cafasso, Œuvres complètes, Effata, 2009-2013. En italien.
En complément
Luigi Nicolis di Robilant, San Giuseppe Cafasso, cofondatore del convitto ecclesiastico di Torino, Edizione del santuario della Consolata, 1960.
Giuseppe Buccellato (dir.), San Giuseppe Cafasso, il direttore spirituale di don Bosco, LAS Roma, 2008.
L’article d’Aleteia : « Le saint prêtre qui a laissé les pécheurs endurcis "pleurant de joie" ».
La notice biographique du site Santi e Beati : « San Giuseppe Cafasso » (en italien).