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Les martyrs
Angleterre
Nº 673
1469 – 1535

John Fisher († 1535) se fait défenseur de l’héritage du Christ

Depuis ses premières années à Cambridge comme simple étudiant jusqu’au faîte de la gloire comme chancelier de l’université, John Fisher montre des signes d’intelligence hors du commun, qui étonneront ses contemporains. Éminent érudit et évêque de Rochester, John Fisher défend avec zèle et finesse la doctrine catholique. C’est aussi un prêtre dévoué envers tous ceux qu’il rencontre. Refusant héroïquement de reconnaître le roi Henry comme chef suprême de l’Église d’Angleterre, il est emprisonné et condamné à être décapité. La sentence est exécutée le 22 juin 1535. John Fisher est béatifié en 1886 et élevé au rang des saints en 1935.


Les raisons d'y croire

  • À quatorze ans, en 1484, John entre à l’université de Cambridge. Il y réussit brillamment ses études, obtenant le Master of Arts, dans le domaine de ce que nous appelons aujourd’hui les sciences humaines et sociales. Il est élu cette même année pour enseigner. Il n’a que vingt-deux ans et c’est à son talent seul qu’il doit cette charge. Le 5 juillet 1501, il est reçu docteur en théologie (Doctor of Divinity).

  • À partir de 1504, John Fisher est choisi comme chancelier de Cambridge. Il le restera jusqu’à son martyre. C’est un professeur pleinement donné à sa tâche et dévoué au rôle passionnant de contribuer à conduire les intelligences de ses élèves vers la vérité.

  • Il participe à l’œuvre de recherche scientifique et de diffusion du savoir à laquelle l’Église a toujours travaillé . Il veut en effet promouvoir l’enseignement supérieur par l’étude approfondie des auteurs antiques, latins et grecs, mais aussi de la langue hébraïque. Il tâche dans ce but d’attirer à Cambridge les meilleurs érudits contemporains.

  • Fort de sa profonde culture, il se lance en 1523 dans la lutte contre la Réforme luthérienne, qui se répand en Angleterre. Il défend à cette époque la primauté de l’Église de Rome aux côtés du roi Henry VIII et publie le De veritate corporis et sanguinis Christi in Eucharistia, dans lequel il explique pourquoi la sainte eucharistie n’est pas un symbole mais le réel corps de l’Homme-Dieu, bien que présent sous un état mystérieux qu’on appelle pour cette raison « sacramentel ». Ce traité lui vaut le surnom de « défenseur de la foi ».

  • Mais Henry VIII répudie en 1532 Catherine d’Aragon pour prétendre épouser Anne Boleyn. Il veut obtenir pour ce faire la dispense papale. Le pape Paul II la lui refuse parce qu’il ne trouve pas de raisons qui puissent faire reconnaître le mariage comme invalide. Parce que le roi Henry VIII passe outre le refus du Saint-Siège, il est excommunié. En réponse, le 3 novembre 1534, Henry VIII impose l’Acte de suprématie, qui oblige toute personne majeure à prêter serment au roi comme « chef unique et suprême de l’Église d’Angleterre ». C’est, de fait, la naissance de l’Église anglicane, qui nie l’autorité spirituelle du pape sur la chrétienté. L’évêque de Rochester refuse de s’y soumettre. Aussi est-il arrêté le 13 avril et emprisonné à la Tour de Londres.

  • L’attitude de John Fisher s’explique par sa seule volonté de rester catholique, c’est-à-dire fidèle à la foi romaine reçue de Jésus-Christ, héritée des apôtres, et transmise à tous par l’Église catholique. C’est en effet dans le but de poursuivre sur terre son rôle après son retour auprès de son Père, le jour de l’Ascension, que le Christ a fondé l’Église. La fidélité au Christ implique la fidélité à l’Église : fidélité à sa foi, à ses sacrements, et au souverain pontife légitime qui est le successeur de saint Pierre, auquel Jésus-Christ a remis le gouvernement de l’Église.

  • Le Parlement adopte le Treasons Act qui punit de mort tout manquement au serment exigé. C’est pourquoi Mgr Fisher subira un procès inique destiné à les livrer au bourreau. Il est décapité le 22 juin 1535.


En savoir plus

John est né à Beverley, dans le comté du Yorkshire de l’Est, le 19 octobre 1469, de Robert Fisher, commerçant, et Anne, son épouse. Il est l’aîné de quatre enfants. Lorsque Robert Fisher meurt, en 1477, Anne se remarie avec William White. De cette seconde union naîtront cinq autres enfants. John gardera des liens avec tous.

Les premières années d’école se déroulent sans nul doute à l’ombre de la collégiale de Beverley, dans l’école qui y est attachée. À quatorze ans, en 1484, John entre à l’université de Cambridge. Il est élève du collège Michaelhouse – « college », en anglais, désigne une institution d’enseignement supérieur –, où enseigne alors en tant que Bachelor of Arts le prêtre William Melton. Ce dernier est son tuteur. Il deviendra un célèbre philosophe, théologien et prédicateur.

Une dispense d’âge est octroyée par le Saint-Siège, et John est ordonné prêtre le 17 décembre 1491 par l’archevêque d’York Thomas Rotherham. Nommé curé à Northallerton, dans le Yorkshire, il ne peut en exercer correctement la responsabilité paroissiale et se démet de ce bénéfice (office et revenus afférents) en 1494. John se montre en cela honnête et juste : combien d’hommes aujourd’hui occupent des postes dont ils n’exercent pas la charge mais profitent pourtant des avantages ? Les études nécessaires pour préparer le doctorat de théologie à Cambridge occupent en effet le révérend John Fisher à plein temps. Il est désigné pour l’année 1494 comme responsable de la discipline au College (senior proctor) et trois ans plus tard Master debator, c’est-à-dire chargé de diriger les débats – exercices universitaires formant à l’argumentation et à la controverse. Le 5 juillet 1501, il est reçu docteur en théologie (Doctor of Divinity). Il est élu dix jours plus tard vice-chancelier de l’université de Cambridge. Il sera choisi comme président du Queen's College of St Margaret and St Bernard (le Queens’ College) entre 1505 et 1508.

En 1504, le roi Henry VII propose le révérend John Fisher comme évêque de Rochester, sur les conseils de l’ancien chancelier de Cambridge devenu évêque de Winchester, Richard Fox. Le pape Jules II notifie sa nomination à l’intéressé, par une bulle du 14 octobre 1504. John Fisher est consacré évêque le 24 novembre, dans la chapelle du palais de Lambeth, à Londres, des mains de l’archevêque de Cantorbéry, William Warham. Rochester est un des plus petits évêchés du royaume, et de peu de revenus. Bien que ses titulaires parviennent habituellement au bout de quelques années à des postes plus prestigieux, Mgr Fisher ne quittera pas « sa pauvre épouse ». Il y demeurera pendant les trente et une années qui lui resteront à vivre. Il ne brigue pas d’autres postes, mais remplit avec droiture et dévouement la tâche qu’il a reçue de l’Église.

L’évêque de Rochester veille à ce que ses diocésains soient bien instruits de la doctrine révélée, et encourage et soutient financièrement les prédicateurs. Il prie aussi pour les défunts et consacre également ses ressources personnelles à créer des fondations de messes pour le salut des âmes des trépassés. Sa devise épiscopale exprime ce souci : Faciam vos fieri piscatores hominum (en anglais : I will make you fishers of men). Un poisson pêché figure aussi sur ses armoiries. Ce sont des armes parlantes, c’est-à-dire qu’elles font allusion à son patronyme, mais devise et blason expriment surtout sa profonde sollicitude pastorale.

Lorsque le pape Paul II lui refuse la dispense, le roi sollicite son aide : il est évêque de Rochester et confesseur de Catherine. Mais Mgr Fisher s’aligne sur le souverain pontife. Le roi, irrité, contraint le prélat à lui jurer fidélité, qui répond : « Seulement dans la mesure où la loi du Christ le permet. » C’est la rupture entre les deux hommes. La prétendue annulation du mariage est ensuite prononcée par Thomas Cranmer, nouvel archevêque de Cantorbéry, qui se montrera un des principaux artisans de la Réforme anglicane en donnant à l’Église d’Angleterre, notamment par les « Quarante-deux articles » de 1552, un caractère fortement calviniste.

L’évêque sait, comme Sir Thomas More , que seule la contestation de la qualité du roi Henry comme chef de l’Églised’Angleterre est passible de trahison. Le silence est donc à ce sujet la garantie du salut. Mais Richard Rich, qui deviendra plus tard chancelier du royaume sous Édouard VI, lui tend un piège le 7 mai. Ce dernier demande à Mgr Fisher d’éclairer le roi qui, pour le bien de sa conscience, souhaiterait connaître, dans le plus grand secret, la véritable opinion du prélat. Habitué au secret en matière de conscience, l’évêque déclare être convaincu « que le roi n’était pas, et ne pouvait pas être, selon la loi de Dieu, le chef suprême de l’Église d’Angleterre ». Rich est parjure, mais il tient en son pouvoir Mgr Fisher, qui a ainsi enfreint la loi. La détention de Mgr Fisher dure quatorze mois, sans qu’il lui soit jamais permis de voir un prêtre.

Le pape Paul III, élu à Rome en octobre 1534, veut sauver Mgr Fisher de la mort qui l’attend. Aussi décide-t-il le 20 mai de le créer cardinal pour le faire venir à Rome. Henry VIII y voit un affront fait à son autorité et refuse de le libérer. Le 17 juin, le cardinal Fisher est déchu de sa charge d’évêque de Rochester et traité comme un roturier. Il est condamné pour haute trahison par le tribunal du Banc du Roi au palais de Westminster à être pendu, éviscéré et équarri (hanged, drawn and quartered). Mais la fête toute prochaine de la Saint-Jean-Baptiste fait naître une gronde parmi la population londonienne : on compare l’évêque de Rochester à son saint patron, et le roi Henry à son homologue Hérode. Le cousin du Christ fut en effet décapité par le roi de Galilée Hérode Antipas pour avoir contesté la validité du mariage de ce dernier avec Hérodiade. Aussi Henry décide-t-il d’avancer l’exécution en commuant la peine en décapitation. Le parallèle n’en devient que plus frappant.

Le 22 juin, le cardinal Fisher est réveillé par les gardes. Ces derniers lui annoncent que l’exécution est prévue pour dix heures le jour même. Avant de mourir, il témoigne d’un courage calme et digne qui impressionne tous les assistants, et renie sur l’échafaud à trois reprises sa loyauté envers Henry VIII. Le cardinal John Fisher a la tête tranchée àTower Hill, près de l’enceinte nord de la Tour de Londres. Le corps dénudé reste exposé jusqu’au soir sur le lieu du supplice, tandis que la tête est enfoncée sur une pique et exposée à la vue de tous à l’entrée du Pont de Londres. Cependant, son aspect vermeil et vivant suscite tant d’intérêt qu’elle est jetée dans la Tamise au bout de quinze jours et remplacée par celle de Sir Thomas More.

Thomas More suit dans le martyre saint John Fisher le 6 juillet. C’est pourquoi les deux saints, béatifiés le 29 décembre 1886 par Léon XIII parmi les cinquante-quatre martyrs anglais, puis canonisés par Pie XI le 19 mai 1935, sont fêtés le même jour. Leurs restes reposent dans la chapelle Saint-Pierre-aux-Liens de la Tour de Londres.

Docteur en philosophie, Vincent-Marie Thomas est prêtre.


Aller plus loin

Jean Rouschausse, John Fisher, humaniste, évêque, réformateur, martyr, 1469 1535. Sa vie, son œuvre, Angers, éditions Moreana, 1972.


En complément

  • The English works of John Fisher, Bishop of Rochester (1469 1535): Sermons and other Writings, 1520 1535, edited by Cecilia A. Hatt, Oxford University Press, 2002.

  • Le Dicastère pour la cause des saints présente une courte biographie de saint John Fisher.

  • Lives of the English Martyrs Declared Blessed by Pope Leo XIII in 1886 and 1895, written by Fathers of the Oratory, of the secular Clergy and of the Society of Jesus, completed and edited by dom Bede Camm, O.S.B., volume I : Martyrs under Henry VIII, Londres, Longmans, Green and Co., 1914. La vie de saint John Fisher est rapportée aux pages 47-122. En ligne .

  • T.E. Bridgett, C.SS.R., Life of Blesssed John Fisher, Bishop of Rochester, Cardinal of the Holy Roman Chrurch and Martyr under Henry VIII, Londres, Burns and Oates / New-York, catholic publication Society, 1890. En ligne .

  • The English Martyrs. Papers from the Summer School of Catholic Studies held at Cambridge, July 28-Aug. 6, 1928, edited by the Rev. dom Bede Camm, Cambridge, W. Heffer and Sons, 1929. Le chapitre IV, p. 77-96, compare les actes de saint John Fisher à ceux de saint Thomas More. En ligne .

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