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Les martyrs
Italie et Tunisie
Nº 610
1425 – 1460

Dieu fait d’un lâche un héros de la foi (+1460)

Plein de bonne volonté pour le service de Dieu mais incapable de se discipliner, le frère dominicain Antonio Nerotti est effronté, arrogant et persuadé de valoir mieux que les autres. Pressé de partir porter l’Évangile en terre d’islam, son souhait se réalise, mais pas comme il l’avait imaginé… Pour avoir compté sur ses forces au lieu de s’appuyer sur Dieu, il s’effondre à la première épreuve, qu’il s’imaginait affronter glorieusement : à peine débarqué, il renie le Christ. Mais Dieu, pris de pitié, ne l’abandonne pas.


Les raisons d'y croire

  • Fra Antonio Nerotti est un jeune noble piémontais dont l’authentique désir de servir Dieu ne contrebalance pas des défauts incompatibles avec la vie religieuse. Antonio, imbu de sa naissance, est paresseux et velléitaire ; il a l’étude et l’effort en horreur, de sorte qu’il refuse de se plier aux apprentissages requis. Les annales du couvent dominicain San Marco, à Florence, comme le martyrologe dominicain, ne font pas mystère des problèmes que pose le jeune homme.

  • Antonio se croit capable de partir en mission en terre d’islam, d’y convertir en masse les infidèles et d’y trouver une fin glorieuse. Son prieur, réputé pour sa finesse psychologique et pour la valeur des conseils qu’il dispense, sous l’inspiration du Saint-Esprit, tente de lui ouvrir les yeux et de l’amener à patienter jusqu’à ce qu’il soit véritablement prêt pour une si dangereuse entreprise. Antonio, agacé et manquant à son vœu d’obéissance, fait intervenir ses relations familiales pour obtenir de Rome d’être envoyé dans un autre couvent de l’ordre.

  • Le portrait qui se dessine ainsi du religieux est celui d’un personnage instable, capricieux, vaniteux. Rien ne laisse supposer que les annales dominicaines noircissent le trait pour mieux valoriser la suite. D’ailleurs, une fois arrivé dans son nouveau couvent, en Sicile, Fra Antonio est toujours décrit comme « tiède et médiocre ». Il n’a donc toujours pas le profil d’un héros d’hagiographie.

  • Lorsqu’il est capturé par des pirates tunisiens et menacé d’être vendu comme esclave, Antonio apostasie afin d’échapper à ce sort que tant d’autres chrétiens acceptent pour ne pas renier le Christ. Il est libéré et se voit donner une maison, des esclaves et une épouse mahométane. Cette vie ne procure aucun bonheur au renégat ; c’est même le contraire, et il regrette amèrement sa lâcheté, sans voir aucun moyen de la réparer. Dieu, pris de pitié devant sa misère, y pourvoit.

  • Quelques mois plus tard, Antonio voit son ancien prieur, Antonin, mort le 2 mai précédent, lui apparaître en rêve. S’il lui reproche tristement sa désobéissance et sa vanité, qui l’ont mis dans cette situation terrible, il lui promet aussi qu’il pourra racheter ses fautes et obtenir le pardon divin. Ce songe n’est pas une projection psychologique de l’apostat, puisqu’il va effectivement entièrement le retourner et faire de ce lâche un héros, preuve qu’il vient bien de Dieu.

  • En se réveillant, Antonio se met en quête d’un prêtre catholique pour confesser son apostasie et son brûlant désir de la réparer. Le prêtre lui impose une période de jeûnes et de pénitences. Preuve de la véracité des faits, le récit est conforme aux usages du temps, qui font correspondre les pénitences des grands coupables avec le temps du carême et la confession publique des fautes le Jeudi saint.

  • À la fin du carême, Antonio se revêt de l’habit dominicain, qu’il avait honteusement déposé, puis va trouver le bey (gouverneur représentant l’Empire ottoman à Tunis) et fait devant lui profession de foi catholique. Seules une conversion totale et des grâces exceptionnelles peuvent expliquer le revirement d’un homme qui, quatre mois plus tôt, par peur de souffrances et de périls moindres, a renié sa foi et qui, soudain, alors qu’il a obtenu toutes les facilités matérielles, se précipite au-devant du martyre.

  • Cette profession de foi s’accompagne d’une prédication remarquable, en arabe, dont chaque mot semble inspiré pour toucher les cœurs. Antonio n’ayant jamais manifesté de talents oratoires et étant à Tunis depuis seulement quelques mois, il faut une intervention divine pour le lui permettre.

  • D’abord emprisonné dans l’espoir qu’il se rétracte, le dominicain subit sans une plainte vexations et maltraitances. Là encore, c’est une grâce qui lui donne ce courage étranger à sa nature.

  • Il est condamné à mort sans broncher ni renier une seconde fois. Des marchands génois de passage à Tunis, témoins de la scène, la raconteront en Italie. Condamné à la lapidation, Antonio s’agenouille et reçoit la grêle de pierres sans un geste pour se protéger, rachetant son apostasie par son martyre le 10 avril 1460.

  • La présence des marchands italiens qui rachèteront son corps pour le rapatrier permet que le dénouement de l’histoire soit connu de ses supérieurs et qu’il puisse être vénéré comme martyr. Là encore, la providence est à l’œuvre à travers ces détails.


En savoir plus

Né à Rivoli, en Piémont, en 1425, Antonio Nerotti, parfois appelé Neyrot, de la forme française de son nom, usité dans cette région disputée entre Savoie et France, appartient à une riche famille turinoise. Si son désir de servir Dieu est sincère, il refuse, cependant, de se plier aux contraintes de la vie religieuse. À cette époque, le couvent San Marco, à Florence, est à son apogée ; il a pour prieur le futur saint Antonin et compte parmi ses religieux Fra Angelico, qui en décore les cellules de fresques inspirées. Mais, à côté de ces figures de sainteté, Fra Antonio Nerotti est source de problèmes. Les années qu’il passe chez les Dominicains, à Florence puis en Sicile, ne le corrigent pas de sa tendance à la paresse et à la désobéissance.

Vers l’automne 1459, sans doute à sa demande, il est transféré à Naples, mais, dans le détroit de Messine, son navire est arraisonné par des pirates barbaresques. Passagers et équipages sont conduits à Tunis pour y être vendus comme esclaves. Ainsi, le rêve africain d’Antonio se réalise, mais pas comme il l’avait imaginé… À peine débarqué, trahi par son habit religieux, Antonio comprend qu’il est bon pour le bagne. Le laisser-aller des années passées ne l’ayant pas préparé à pareille épreuve, lui qui rêvait de martyre s’effondre et accepte de se convertir à l’islam.

Dieu ne va cependant pas l’abandonner et, au début du carême de l’année 1460, lui donne les moyens de se racheter. Comme des religieux mercédaires – voués à racheter les captifs chrétiens contre rançon – sont présents à Tunis, Antonio réussit auprès de l’un d’eux à se confesser, à se réconcilier avec l’Église et à communier, avant de mourir martyr un Jeudi saint, le 10 avril 1460.

Tout au long de la traversée qui ramène son corps en Italie, chacun peut constater que la dépouille répand un parfum suave.

Le duc de Savoie, Amédée IX, obtiendra des Génois que la dépouille soit ramenée à Rivoli pour y être enterrée. On attribue à Antoine Neyrot de nombreux miracles, et sa fête est toujours solennisée dans sa ville natale.

Spécialiste de l’histoire de l’Église, postulateur d’une cause de béatification, journaliste pour de nombreux médias catholiques, Anne Bernet est l’auteur de plus d’une quarantaine d’ouvrages, pour la plupart consacrés à la sainteté.


Aller plus loin

  • Les Petits Bollandistes, peut être consulté en ligne .


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